Anthologie néo-romantique/Avant-propos

Librairie Léon Vanier, éditeur ; A. Messein, succr (p. np-9).

AVANT-PROPOS



Au moment où l’attention du public lettré est attirée par une nouvelle querelle du classicisme et du romantisme — querelle ouverte en choit, sinon en fait, par la préface des Chants de l’Aurore, puisque le livre d’André Joussain précéda de deux ans le Romantisme français de Pierre Lasserre, — il est naturel que la voix des nouveaux romantiques se fasse entendre, une fois de plus, pour affirmer les principes qui sont les leurs. La nécessité du présent ouvrage ressort d’ailleurs d’une enquête sur l’état actuel de la littérature et des arts, enquête récemment publiée par l’Echo de Paris, où nous relevons les opinions de Mme Juliette Adam, de MM. Jules Lemaître, Maurice Barres, René Doumic, Émile Fabre, Alfred Capus. Si divergentes que soient ces opinions, à certains égards, elles s’accordent cependant sur deux points. Elles reconnaissent l’utilité ou déplorent l’absence des écoles littéraires ; elles affirment la nécessité d’un retour à l’idéalisme. Or, le souhait qu’elles formulent est précisément en voie de réalisation : l’effort du Néo-Romantisme y répond.

Les nouveaux Romantiques s’efforcent, en effet, de faire rentier dans la littérature la notion de Vidéal qu’on en a mal à propos bannie, — ils réagissent contre les excès d’un naturalisme qui s’est complu « dans la peinture d’une humanité sans grandeur ». Et, par là même, ils reviennent à la tradition romantique.

Le naturalisme n’est cependant pas le seul ennemi qu’ils aient à combattre. Contre les décadents, ils préconisent la fidélité aux règles classiques. Ils pensent que le vers de Hugo et de Leconte de Liste peut suffire à l’expression de tous les sentiments et de toutes les idées. Ils croient que le vers libre des modernes ne répond à aucun besoin réel, et n’a sa raison d’être que dans la paresse ou l’incapacité de certains versificateurs. Ils reconnaisscnt à la vérité que le vers libre a pu être employé par des poètes d’un incontestable talent, mais il leur semble — à tort ou à raison — que ces derniers recourent instinctivement au vers classique toutes les fois qu’ils ont à exprimer des idées claires ou des sentiments forts, et retombent dans le vers libre dès qu’ils commencent à ne plus savoir ce qu’ils disent.

Contre les symbolistes enfin, les Néo-Romantiques revendiquent le droit de l’écrivain à se faire entendre de tous, à se servir d’une langue intelligible, à parler un français qu’on puisse comprendre en France. Paradoxe un peu fort a notre époque, et dont on voudra bien, nous l’espérons, excuser la hardiesse.

D’une manière plus précise, les nouveaux romantiques font porter leur effort sur trois points.

Sur la critique d’abord. Ce n’est un mystère pour personne qu’à l’exception de quelques hommes probes et sincères, les gens de lettres qui prennent le nom de critiques sont guidés dans leurs éloges, leurs attaques ou leurs réserves, par des préoccupations qui n’ont rien à voir avec la littérature. Restaurer la critique sincère, consciencieuse, combattue, tel est un des articles du programme néoromantique. Les études de M. Langevin, citées dans le présent volume, donneront une idée de ce que nous entendons par ce mot de critique qui n’est, dans l’esprit de la plupart des écrivains de l’heure actuelle, qu’un synonyme de réclame.

Sur le roman ensuite. Sans proscrire le roman moderne, mais en exigeant qu’il soit plus esthétique dans sa forme, plus idéaliste dans son fond, les Néo-Romantiques essayeront de remettre en honneur le roman historique, aujourd’hui si dédaigné. Ils estiment qu’il y aurait lieu d’appliquer à la reconstitution du passé les procédés du roman moderne, suivant en cela l’exemple donné par Flaubert dans Salammbô, ou, pour citer un contemporain, par M. Maurice Maindron dans ses romans sur le xvie siècle, — mais sans exclure ni la large sympathie humaine qui emplit l’œuvre d’un Walter Scott, ni le sens épique de l’histoire qui anime La légende des Siècles.

Sur le poème épique enfin. Et nous pouvons insister sur ce point plus longuement que sur le précédent, puisque M. André Joussain nous a déjà exposé sa théorie du poème épique dans la préface des Chants de l’Aurore, en même temps qu’il nous donnait une première esquisse de ce qu’il entend faire en ce genre, avec le Poème de la Terre. Le chef de la jeune école néo-romantique estime que le poète épique doit être un croyant. Carlyle a remarqué fort justement que « les poèmes épiques des vieux âges, tant qu’ils restèrent épiques et furent capables d’émouvoir profondément, furent considérés comme des narrations de faits ». De la ce qu’il y a de <s. creux » et de « faux », d’après lui, « dans les dieux abstraits-concrets, évangéliques et métaphysiques » du Paradis Perdu. M. Eugène Langevin, dans son étude sur Heredia, exprime la même pensée en relevant les raisons qui ont empêché l’auteur des Trophées de produire un poème épique et l’ont forcé de laisser inachevés ses Conquérants de l’or. Or, s’il en est ainsi, la seule épopée que puisse rêver le xxe siècle est une épopée scientifique, dans le genre de celle qu’André Joussain veut réaliser.

Qu’un tel mouvement soit dans le sens des tendances de notre époque, c’est ce qui ressort, nous semble-t-il, de l’examen impartial des faits. L’extravagance et l’obscurité du symbolisme, la grossièreté et le cynisme du naturalisme, commencent à ne plus récolter auprès du public que le dégoût et le mépris. On est las de voir des poètes pires que médiocres, et dont l’œuvre semble un véritable défi jeté au bon sens, obtenir le suffrage des Commissions et les lauriers de l’Académie. On souhaite, contre la platitude de la poésie contemporaine, le passage d’un souffle vraiment épique et vraiment lyrique. On commence à se révolter contre les mensonges et les absurdités d’une critique ignorante ou vénale. Il était temps, grand temps, qu’un groupe d’écrivains convaincus vînt revendiquer hautement les droits éternels de l’idéal et rappeler à ceux qui l’oublient que raison et probité ne sont pas des mots vides de sens… même en littérature.