Anthologie japonaise ; poésies anciennes et modernes/Zak-ka/La chanson de l’alphabet

LA CHANSON DE L’ALPHABET



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Iro-va nihoye-to tsiri nuru-wo.
Wa-ga yo tare-zo tsŭne naram ?
U-ï-no oku-yama keô koyete,
Asaki yŭme misi ehi mo sezŭ[1].


Les charmes et les parfums (de la vie) se dissipent en vérité ;

Dans notre monde, est-il quelque chose qui dure toujours ?

En la profonde montagne de l’existence, le jour présent s’abîme,

Et n’est plus même, hélas ! une fragile image de songe[2]. いろ iro () littéralement « couleur », signifie en outre « le plaisir sensuel[3] ». — « Quand les femmes sont belles, dit un lexicographe japonais[4], les hommes les appellent de ce nom ; c’est pourquoi, dans les anciens livres canoniques, on nomme les femmes en disant 色(イロ) iro. »

にほへ nihoye (), littéralement, « parfum » signifie « l’ivresse amoureuse ».

ちりぬる tsiri-nuru () « s’éparpiller, se disperser ».

うゐ u-ï (有為) litt. « le avoir l’existence »[5].

  1. Si-ka-zen-yô, p. 48.
  2. Cette chanson a été traduite en vers français par un de mes élèves de l’École spéciale des langues orientales, de la manière suivante :

    Plaisir et volupté, tout ici-bas s’efface !
    Est-il rien d’éternel en ce monde chétif ?
    Au gouffre de la vie, hélas ! chaque jour passe,
    Et ce n’est même pas un songe fugitif.

    Un autre de mes auditeurs a traduit la même pièce comme il suit dans la langue de son pays :

    Short liv’d is pleasure’s trance, a rose hipp’d in its bloom,
    What lovely thing of earth escapes stem Fate’s decrees?
    Down life’s abyss, sweet day! thou vanishest in gloom,
    Thou wast a dream alas! a shed that flits and flees.

  3. Comparez ce mot au portugais cor, qui veut dire en même temps « couleur, désir, envie ». — L’expression « couleurs et parfums d’ici-bas » a été également employée par un poëte persan, mais, suivant son savant interprète, il faut entendre par là « les illusions et les fictions » de la vie. Nicolas, Les Quatrains de Khèyam, pp. 68-69.
  4. Makinosima Téroutaké, dans son Syo-gen-zi-kô (Examen des caractères et des mots des livres).
  5. On a essayé de faire quelque chose d’analogue pour la série des lettres de notre alphabet, mais avec bien moins de succès : « Abbé, cédez ; eh ! f……, j’ai hache. Ijikaël aime Éno ; (le chef) Péku est resté. (Brave) Uveï ! que six Grecs aident. » (!!) Revue orientale et américaine, t. VIII, p. 201.