Anthologie japonaise ; poésies anciennes et modernes/Man-yo-siou/Préface du Manyôsiou

PRÉFACE DU MAN-YO-SIOU



Dans l’épaisse forêt du langage, parmi les monuments de la langue antique de tous les âges, on a accumulé un grand nombre de pièces de poésies de trente et une syllabes, dont on a composé la collection des Dix mille feuilles (Man-yô-siû). Un certain auteur les a expliquées et a réuni successivement (pour en faciliter l’intelligence) des commentaires en si grand nombre, qu’il semble que cinq chars, attelés de neuf bœufs, suffiraient à peine pour les transporter. Nous qui en suivons la trace dans les siècles postérieurs, nous en sommes frappés d’étonnement.

Dans chacun des volumes de ce Recueil, les arguments des pièces de vers ont été écrits à la manière chinoise, et parfois, dans les mots du texte, des erreurs nous ont été transmises ; de plus, la lecture des signes et la ponctuation m’ont paru défectueuses, comme des roues mal ajustées ou dont l’essieu ne serait point huilé.

Aussi me suis-je étonné de ce qu’on ait négligé jusqu’à présent ces arguments, à l’aide desquels on peut saisir le sens des pièces, sans songer combien le nombre de ceux qui ont besoin de secours dans de telles études est considérable.

De plus, je ne crois pas que les arguments aient été composés après coup, et j’ai lieu de penser que le Man-yo-siû est l’œuvre de Yakamotsi. En effet, dans l’argument d’une pièce, le nom du père de ce personnage a été abrégé, et il est écrit simplement Oho-tomo-no Kimi, au lieu de Oho-tomo-no Tabito-no Kimi, ce qui ne peut s’expliquer que par le sentiment respectueux d’un fils pour son père. En outre, Yakamotsi a écrit son propre nom Oho-tomo-no Suku-né Yaka-motsi, ou bien Oho-tomo-no Yaka-motsi (sans désignation honorifique), ce qui prouve encore qu’il a été le compositeur du Recueil.

Un certain jour, le chef de la maison de librairie Tohe-ki-dô m’a demandé d’entreprendre la révision de cet ouvrage. Cette proposition m’a charmé, moi, humble lettré[1], et j’ai considéré mon libraire comme un ami de mille années. J’ai donc pris le mauvais pinceau[2] qui me sert d’habitude, et j’ai ajouté (au texte et au Commentaire du Man-yô-siû) des lectures et des ponctuations qui lui manquaient, dans l’espoir que cela serait de quelque utilité aux étudiants.

Si les hommes éclairés des divers pays qui liront mon modeste travail apprécient mes efforts avec bienveillance, s’ils corrigent mes erreurs, s’ils épuisent enfin la mesure du beau et du bien[3] ce sera la joie éternelle de ma vie.

Écrit dans la Cabane des Broussailles (Sô-sô-han), 14e année de l’ère impériale tem-pô (1843), en automne.

Nan-ryô Kyô-sya.
  1. Littéralement « vieil esclave ».
  2. Terme d’humilité.
  3. Allusion à un passage du Lu’n-yu’ ou Entretiens philosophiques de l’école de Confucius (chap. iii, § 25).