Anthologie japonaise ; poésies anciennes et modernes/Hyakou-nin-is-syou

II


百人一首


HYAKOU-NIN-IS-SYOU
collection des cent poëtes



Peu de livres jouissent au Japon d’une popularité égale à celle du recueil intitulé hyakŭ-nin-is-syu. Tous les indigènes, pour peu qu’ils aient reçu quelque instruction, savent par cœur les cent pièces qu’il renferme et se font un plaisir de les réciter. C’est par l’étude de ce recueil populaire que les jeunes gens commencent leur initiation à la littérature nationale. Réédité sans cesse, et sous toutes les formes, il a sa place dans chaque bibliothèque ; on le rencontre dans le palais du prince et dans l’humble cabane du pauvre lettré, chez l’habitant des villes comme chez le paysan, chez l’artiste aussi bien que chez l’industriel ou le négociant. Tantôt on le trouve publié avec de brillantes illustrations ou de longs et savants commentaires, tantôt il est reproduit sur de grandes feuilles ornées d’images, tantôt enfin il est imprimé sur des cartes dont on fait un jeu instructif pour la jeunesse. Dans ce dernier cas, on lit sur chaque carte un vers isolé de la collection, et celui auquel elle échoit par le hasard doit compléter le distique en faisant appel à ses souvenirs.

Je possède dans ma collection toute une série d’ouvrages sur le titre desquels figurent les mots hyakŭ-nin-is-syu. Les uns sont de simples reproductions des poésies du recueil original auquel on a donné ce nom ; ces reproductions sont généralement très-remarquables par la beauté de leur calligraphie et quelquefois par le développement des commentaires qu’elles renferment. Les autres sont des collections de poésies toutes différentes de celles-ci, le plus souvent d’un mérite secondaire, que des éditeurs ont essayé de répandre dans le public en les faisant profiter de la renommée attachée à l’Anthologie primitive dite « des Cent poètes ».

Les vingt-cinq pièces ou distiques dont j’ai donné ci-après la traduction, et qui forment le quart du recueil intitulé hyakŭ-nin-is-syu, sans présenter les mêmes difficultés que les poésies du Man-yô-siû, sont, pour la plupart, d’une concision telle qu’il est presque toujours nécessaire d’y ajouter quelques mots pour les rendre intelligibles à un lecteur européen. Je me suis efforcé cependant d’en donner une traduction aussi littérale que possible, sans avoir la prétention d’y avoir toujours réussi, là surtout où se trouvent des jeux de mots, fort goûtés des indigènes, mais qu’il serait intolérable de reproduire textuellement dans nos langues. Les notes placées à la suite de chaque pièce permettront aux philologues de trouver le sens précis des distiques, lorsqu’il m’a paru nécessaire de donner une traduction quelque peu libre de l’original.

L’édition dont je me suis surtout servi pour mon travail est intitulée hyakû-nin-is-syu hito-yo gatari, « Récits d’une nuit pour les pièces de vers des Cent poëtes ». Elle renferme à la suite de chaque pièce des notices historiques et littéraires dont j’ai fait quelques extraits dans le but de donner une idée des travaux des éditeurs indigènes. En tête de l’ouvrage se trouve une préface, écrite en beaux caractères cursifs (sô-syo), dont on trouvera ci-après la traduction. Ces sortes de préfaces, composées d’ordinaire par un ami de l’auteur et à la demande de celui-ci, sont le plus souvent rédigées dans un style recherché et emphatique dont les Japonais, comme les Chinois, font le plus grand cas. L’interprétation des morceaux de ce genre présente des difficultés exceptionnelles dont il est bon de fournir un exemple aux personnes qui veulent étudier la littérature des insulaires de l’extrême Orient.