Anthologie féminine/Mme la comtesse de Chambrun

Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 323-324).

LA COMTESSE DE CHAMBRUN

1827-1891


Marie-Jeanne Godard-Desmarest, née à Baccarat, seconde fille du grand industriel dont le père avait fondé la célèbre cristallerie, d’origine béarnaise par sa mère, épousa en 1853 le comte de Chambrun. D’une nature essentiellement poétique et sensible, elle ressentit vivement les grandes douleurs de l’âme : la perte d’une sœur, puis de sa mère. Elle souffrit beaucoup d’une existence oisive qu’elle emplissait cependant autant qu’elle pouvait par les bonnes œuvres et l’art. Profondément musicienne, élève de Reber, les dernières années de sa vie furent occupées surtout à faire entendre chez elle, dans une superbe chapelle, et dans un recueillement religieux, les chefs-d’œuvre de la musique. Son mari avait perdu la vue.

« Philosophe, il avait organisé avec méthode sa vie d’aveugle qui renonce volontiers à la lumière du jour, pourvu que cette obscurité extérieure rende encore plus vive et plus pure la lumière du dedans. » Elle l’initiait aux jouissances musicales.

Ces concerts spirituels réunissaient des artistes tels que Mme Krauss, Conneau, l’orchestre de Colonne, et le Tout-Paris s’efforçait de s’y faire inviter. La comtesse de Chambrun était poète. Une main pieuse a recueilli après sa mort ses poésies, afin qu’elle se survécût dans la pensée des êtres intelligents.

Nous citerons seulement l’une d’elles, la Passiflore ; outre qu’elle décrit bien l’état d’âme de la comtesse de Chambrun, elle a été mise en musique par Ambroise Thomas et par Gounod.


Voici sur mon déclin la fleur que j’ai choisie ;
D’autres l’appelleront fleur de la passion,
  Je la nomme fleur de la vie ;
  Qu’importe c’est le même nom.

  Elle a la couronne d’épines,
  Et l’échelle qui mène au ciel,
  Et l’éponge aux gouttes divines
  Tour à tour d’hysope et de miel ;

  Elle a le vert de l’espérance,
  Elle a le violet du deuil ;
  C’est la joie et c’est la souffrance,
  C’est le berceau, c’est le cercueil.

C’est donc sur mon déclin la fleur que j’ai choisie
D’une teinte pareille au jour qui va pâlir.
  Elle est l’image de la vie.
  C’est le passé, c’est l’avenir.