Anthologie féminine/Mme de Puysieux

Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 167-172).

Mme DE PUYSIEUX (Madeleine d’Arsaut)

(1720-1795)


Née à Paris, élevée au couvent, ce qui n’influença guère ses opinions, elle épousa à dix-sept ans un avocat au Parlement de Paris, Philippe-Florent de Puysieux, âgé de vingt-deux ans, qui s^occupait à faire des traductions d’ouvrages anglais pour les libraires. Il traduisit, en outre : La femme n’est pas inférieure à l’homme. Sa jeune femme l’aidait ; mais bientôt mari et femme se fatiguèrent de travailler, et se livrèrent aux plaisirs chacun de son côté. Nous ne suivrons donc pas Mme de Puysieux dans sa vie intérieure, nous contentant d’indiquer que Diderot, de 1745 à 1750, vint plus d’une fois à l’aide au jeune ménage. Ce fut pendant cette période, en 1749, que Mme de Puysieux publia les Conseils à une amie, qui obtinrent un grand succès, et où l’on crut reconnaître en maints endroits la plume du mordant philosophe. Cet ouvrage n’est pas positivement un livre de morale, ni même un livre moral, comme quelques sentences détachées pourraient le faire croire ; c’est plutôt la science de la vie selon le monde. En 1750 parut un second volume, les Caractères, contre-partie du premier, et qui sont des avis à un père pour diriger les premiers pas de son fils dans le monde. Ils furent accueillis avec la même faveur que le précédent.

Mme de Puysieux ne sut pas être fidèle à Diderot pendant qu’il fut enfermé à la Bastille, et il rompit ses relations avec elle. Ses ouvrages s’en ressentirent. Quoiqu’elle eût protesté énergiquement contre la part qu’on attribuait au maître dans ses écrits, ils ne s’élevèrent plus au-dessus de la médiocrité.

Néanmoins, elle publia encore :

Le Plaisir et la Volupté, conte allégorique (1752) ; Zalmire et Almanzine (1753) ; Mémoires de la comtesse de Zurlac (1755) ; Réflexions et avis sur les défauts et ridicules à la mode (1761) ; Alzarac (1762) ; l’Histoire de Mlle de Theuille (1768) ; Mémoires d’un homme de bien (1768) ; le Marquis à la mode, comédie en trois actes.

Puis il ne fut plus question d’elle.


CONSEILS À UNE AMIE

Les talents chassent l’ennui.

Les choses trop connues perdent de leur valeur ; on a une espèce de vénération pour celles qui sont rares. Voulez-vous être longtemps belle, montrez-vous rarement. Voulez-vous inspirer l’envie de vous connoître, rendez votre connoissance difficile ; les plus belles perdent beaucoup il être trop connues.

Ne tirez jamais le voile tout à fait sur vos qualités ; c’est au temps à le lever entièrement, laissez-le faire.

Que votre société soit douce ; ne faites point sentir votre supériorité. L’esprit, les talents, le mérite, le rang et la fortune, sont pour les autres un, poids assez pesant sans l’augmenter de celui de l’ostentation.

Faites rarement les avances : prévenir certaines gens, c’est leur ôter l’envie de se lier.

Quoique l’on dise que les personnes qui parlent bien n’ennuient jamais, la grande volubilité de langue étourdit toujours.

Il est plus facile d’écouter les autres que de s’écouter soi-même.

Un des plus grands bonheurs, c’est de pouvoir se suffire à soi-même.

Le temps de la jeunesse est le seul pour apprendre, et il vient un âge où les plaisirs nous quittent ; il faut bien des ressources à une femme pour la consoler de cet abandon.

Il faut avoir une extrême modestie sur son savoir, et cacher soigneusement, surtout devant les autres femmes, que l’on sait quelque chose qu’elles ignorent.

Les grâces et les belles manières sont plus nécessaires aux femmes qu’une belle figure ; sans les grâces, la beauté ne plaît jamais. L’art corrige la nature ou l’embellit.

On revient de la colère, de l’indignation ou de l’indifférence, mais jamais du mépris.

On perd tout le mérite des bienfaits passés quand ils ne sont pas renouvelés.

On est toujours dédommagé des sacrifices que l’on a faits à la vertu : tous les plaisirs que nous procurent nos passions satisfaites n’ont jamais valu le repos d’une personne qui n’est attachée qu’à ses devoirs.

Ne faites point de vers : il est trop difficile d’en faire de bons. De tous les talens restreints à l’état d’homme, c’est peut-être le plus ridicule pour une femme. Il me semble que celle qu’on verroit à la tête de ses ouvriers, avec une longue perche à la main, conduire l’ordonnance d’un bâtiment, seroit moins bizarre que celle qui se tourmenteroit à composer deux couplets de chanson. Les langues, la poésie, les lois du royaume, les matières de religion, toutes ces belles choses sont insupportables dans une femme : je les en avertis au nom de tous les hommes sensés.

Si parler bien est la marque de la belle éducation, bien écrire marque la femme d’esprit ; c’est la façon d’écrire qui distingue la femme ordinaire d’avec la femme d’esprit. Parlez bien, écrivez encore mieux ; pensez bien, et pensez haut avec vos amis, et tâchez surtout de vous exprimer avec aisance. Pour acquérir la facilité de s’énoncer, il est nécessaire de savoir bien sa langue, et de connoître toute la force des termes : faute d’en trouver qui conviennent, on reste court, dans la crainte d’en hasarder de mal placés. Mme de *** est admirable à voir ; mais il ne faut pas l’entendre : chaque mot qu’elle prononce obscurcit sa figure, de façon qu’on la quitte comme si elle étoit laide ; malgré la beauté de ses yeux et l’éclat de son teint, elle n’a jamais su conserver de conquêtes ; elle les fait en se montrant, elle les perd en parlant. Quelle fatalité !

Il faut se défaire de l’excès de timidité : une noble assurance prête beaucoup à la figure, et fait merveille dans la conversation. La timidité gêne et embarrasse ; faute d’un peu de hardiesse, on ne hasarde rien, on manque l’occasion de dire de bonnes choses, et on perd même celle de s’avancer. La fortune aime les téméraires, et les femmes le sont quelquefois ; ce n’est pas ce qu’elles font de mieux. Quand l’assurance est accompagnée de la beauté et de l’esprit, il n’est rien dont on ne vienne à bout ; mais, dût-on échouer dans toutes les entreprises, j’aime encore mieux la timidité que l’excès opposé.

L’art de plaire est le plus grand des arts. Quand on plaît, tout réussit, tout est facile. Ce talent dépend d’un je ne sais quoi qu’il est si difficile de définir et que si peu de personnes possèdent, que ceux qui l’ont en doivent rendre grâces à la nature.