Anthologie féminine/Mme Swetchine

Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 260-262).

Mme SWETCHINE

(1782-1857)


Sophie Soymonof, née sur les bords de la Neva, avait trente-quatre ans en 1816, quand elle vint s’installer à Paris, dans la haute société de la Restauration, et ouvrir un salon qui fut le plus recherché de l’époque.

L’ensemble de son extérieur n’attirait pas le regard, mais sa physionomie, son geste, son accent, étaient doués d’un attrait sympathique indéfinissable. Mariée à dix-sept ans à M. de Swetchine, qui en avait quarante-deux, ayant pour son mari un attachement plein de respect et une incessante sollicitude, elle ne fit jamais parler d’elle.

Les femmes, ordinairement peu accessibles à l’influence des autres femmes, étaient pleines de confiance envers Mme Swetchine. Les plus jeunes n’échappaient pas davantage à son empire. Ce qui peut faire naître l’hostilité entre les femmes n’existait pas en Mme Swetchine. Elle n’éveillait jamais un sentiment de rivalité, parce qu’on ne pouvait jamais surprendre en elle la tentation de se faire valoir aux dépens d’une autre ou d’éclipser qui que ce fût ; son désintéressement obtenait grâce pour sa supériorité. Cette femme, qui, dès qu’elle pouvait jouir d’une heure de solitude, se livrait aux études les plus graves et, elle l’avouait quelquefois, se plongeait dans la métaphysique comme dens un bain, n’était plus que grâce et enjouement dès qu’une jeune femme était entrée dans son salon.

« Une malice souriante et tempérée par une charité sincère, voilà l’impression générale que laisse la lecture des Airelles et des Pensées. »

« Il y a quelque chose de plus dans les écrits sur la Résignation et la Vieillesse : il y a une émotion qui parfois est d’autant plus active et pénétrante qu’elle se contient ; on dirait que la vertu que Mme Swetchine a le plus assidûment cultivée en elle soit la résignation… Il serait difficile de choisir quelques citations qui puissent donner une idée nette du talent de Mme Swetchine. C’est un talent d’âme. Le charme de ses écrits est dans la justesse parfaite du ton, dans la sincérité de l’accent. Tout y repose l’esprit, rien n’y brille[1].

Ne désirons d’esprit que ce qu’il en faut pour être parfaitement bon, et c’est en désirer beaucoup : car la bonté se compose, avant tout, de l’intelligence de tous les besoins hors de nous, et de tous les moyens d’y pourvoir qui sont en nous-mêmes.

Écrire au crayon, c’est parler à voix basse.

Ceux qui nous rendent heureux nous savent toujours gré de l’être ; leur reconnaissance est le prix de leurs propres bienfaits.

La politesse, chez une maîtresse de maison, consiste à alimenter la conversation et à ne s’en emparer jamais ; elle a la garde de cette espèce de feu sacré, mais il faut que tout le monde puisse s’en approcher.


  1. M. Caro, Philosophes et Philosophies.