Anthologie féminine/Mme Desbordes-Valmore

Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 273-275).
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Mme  DESBORDES-VALMORE

(1786-1859)


Marceline Desbordes eut une existence triste. Elle essaya d’abord du théâtre, mais elle était trop sentimentale pour cette carrière essentiellement mondaine. Elle se consacra à la littérature, après son mariage avec M. Valmore. Les portraits du temps nous la représentent bien comme on peut se la figurer en lisant ses poésies, idéale et rêveuse, avec de longues boucles de cheveux blonds et un profil de camée.

Ses œuvres ne périront point ; elles seront de plus en plus appréciées à cause de leur charme exquis. Il est impossible de les lire sans éprouver une vive sympathie pour cette âme tendre et passionnée qui s’exhale dans ses écrits ; les sentiments qu’elle exprime sont toujours purs et touchants.

Elle a publié : Élégies et Romances, 1819 ; Élégies et Poésies nouvelles, 1825 ; Pleurs, 1833 ; les Violettes, 1839 ; Pauvres fleurs, 1839 ; Contes en vers 1840 ; Bouquets et Prières, 1843; et en prose : 18 les Veillées d’artistes, l’Atelier d’un peintre, Jeunes têtes et jeunes cœurs.

Ce n’est pas sans une indicible émotion que nous retrouvons ces vers dans lesquels nous avons appris à lire, et les premiers qui se sont fixés dans notre mémoire ; pendant toute mon enfance je ne pouvais m’endormir sans les répéter comme une prière :

Cher petit oreiller, doux et chaud sous ma tête,
Plein de plumes choisies, et blanc, et fait pour moi !
Quand on a peur du vent, des loups, de la tempête,
Cher petit oreiller, que je dors bien sur toi.

Et comme mon petit cœur se serrait, et les larmes me venaient aux yeux, en continuant :

Beaucoup, beaucoup d’enfants, pauvres et nus, sans mère,
Sans maison, n’ont jamais d’oreiller pour dormir,
Ils ont toujours sommeil, ô destinée amère !
Maman, douce maman ! cela me fait gémir.
................

Et je me rappelle aussi ma première institutrice m'apprenant à faire un petit geste de la main au-dessus de terre, en disant :

Un tout petit enfant s’en allait à l’école.
On avait dit : « Allez ! », il tâchait d’obéir,
Mais son livre était lourd, il ne pouvait courir.
Il pleure et suit des yeux une abeille qui vole.

« Abeille, lui dit-il, voulez-vous me parler ?
Moi, je vais à l’école : il faut apprendre à lire !
Mais le maître est tout noir, et je n’ose pas rire.
Voulez-vous rire, abeille, et m’apprendre à voler ? »

Que j’étais loin alors de comprendre l’art de lire les vers comme nous l’enseigne l’éminent académicien, M. E. Legouvé !

Mais celle qui avait pris pour exergue :

  Je mourus sans rendre une offense,
  Mon sort fut une longue enfance,
  Et ma pensée un long amour,


et qui mettait tant de cœur et de talent dans ses poésies pour les enfants et les mères, avait les plus hautes envolées pour interpréter le sentiment de la femme aimante, sentiment trop délicat pour n’être pas souvent blessé ; on en trouve de maintes plaintes dans ses Élégies :

Va, mon âme, au-dessus de la foule qui passe.
Ainsi qu’un libre oiseau te baigner dans l’espace.
Va voir, et ne reviens qu’après avoir touché
Le rêve… mon beau rêve à la terre caché.
................
Moi, je suis une femme aussi comme ta mère.
Elle me défendrait de ton insulte amère ;
Plus grand que son amour, mon amour se donna.
Une femme aima trop, et Dieu lui pardonna !