Anthologie féminine/Mme Adam

Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 367-373).

FEMMES POLITIQUES ET JOURNALISTES

Mme  ADAM


Juliette Lamber est née à Verberie, près Senlis ; son père était médecin. Elle épousa M. Émile Adam. C’est une des figures de femmes du XIXe siècle appelée à vivre dans la postérité, à cause du rôle politique qu’elle a su prendre et qui l’a sortie d’entre les nombreuses femmes de lettres de notre époque. Elle est presque unique en France en son genre. C’est ce que nous appelons une tête de ligne. Depuis 1870, et avec Gambetta pour commensal, dont son mari défunt était l’ami intime, elle a tenu un salon politique encore plus ou tout autant que littéraire et artistique. Elle a fondé une revue, tâche rarement entreprise par une femme. Dans cette revue, elle s’est surtout réservé la partie de la politique extérieure, et les Lettres qu’elle y publie périodiquement ne sont pas sans être lues avec considération dans les pays étrangers.

Mme Adam se délasse de temps en temps de la politique par des œuvres de sentiment et d’imagination.

Elle débuta en 1858 par :

Idées anti-proudhoniennes sur l’amour et la femme.

La Papauté dans la question italienne.

Garibaldi, sa vie, d’après des documents inédits.

Blanche de Civry.

Le Mandarin, 1860 ; Mon village ; Récits d’une Paysanne, 1862 ; Voyage autour du Grand Prix, 1863 ; Dans les Alpes, 1867 ; L’Éducation de Laure, 1868 ; Saine et sauve, 1870 ; Récits du golfe de Juan, 1873 ; Journal d’une Parisienne pendant le Siège de Paris ; Jean et Pascal, 1876 ; Laide, 1878 ; Grecque, 1879 ; Galathée, 1880 ; Poètes grecs contemporains, 1882 ; Chanson des nouveaux époux, 1882 ; Païenne, 1883 ; Patrie hongroise, 1884 ; Récits d’une paysanne, 1884 ; Coupable comédie, 1885 ; Pensées spirites, 1888 ; Lettre d’un Paysan hongrois.


païenne (extrait de)


Je regardais sur la route de Catane la silhouette boisée des Alpines, me demandant si l’artiste créateur, vieilli, avait tremblé en faisant ce dessin, ou si le temps, de ses dents ébréchées, avait rongé les lignes pures.

Sombre, avec ses bases puissantes, la montagne noire s’élevait dans le ciel à mesure que le soleil descendait.


Mes yeux fixent l’astre à son déclin, et je le vois répandre sa lumière, soit en flèches, soit en globules. Les flèches dansent, retenues autour de la face brillante, mais les globules semblent tomber de ses lèvres.

Signes divins, ces globules forment des caractères enchevêtrés, qu’Apollon n’a point encore appris à lire aux hommes nouveaux, et que, seule peut-être depuis les âges sacrés de la Grèce antique, je commence à déchiffrer.

La nappe d’azur du ciel s’émiette, poudroie, les cyprès s’entourent d’une buée d’ombre et se gonflent. Le Luberon blanchit, les Alpines se teintent lentement de violet.

Peu à peu, le soleil ramasse ses clartés et sa chaleur, puis, brusquement, il les rejette par delà l’horizon ; des feux s’allument au-dessous de l’astre et renvoient d’en bas leurs flammes au ciel.

Le dôme de la grande allée de platanes est rutilant sous la pourpre, le faîte des peupliers se dore ; des nuages se forment ; ils boivent une dernière fois à la coupe de lumière, ils sont lie de vin.

Le soir tombe. Les oliviers s’argentent. Les nuages se dissipent en flocons d’un gris tourterelle, des crinières dorées apparaissent une dernière fois au sommet des Alpines.

Bientôt la nuit froide pleure, le jour brûlant a disparu.


Lettre sur la politique extérieure
(Parue en août 1891, au moment où l’alliance franco-russe faisait le sujet des polémiques) :

. . . . . . . . . . . . . . . .

L’hypocrisie, les fausses assurances, les menaces, le reptilisme, les intrigues ont fait leur temps ; la déification de l’Allemagne s’en ira où vont les feuilles d’antan, où iront bientôt la « barbarie » de la Russie, « l’anarchie » de la France, et où sont allées déjà la haine du Tsar pour la République et sa répulsion pour notre hymne national. La vérité, qui plane comme une auréole autour de la figure d’Alexandre III, et qui est l’un des attributs du caractère français, apparaît enfin et se dégage de la fumée des saluts de nos canons à Cronstadt.

L’empereur de Russie, dans cette magnificence d’âme qui complète idéalement certains de ses actes, a voulu que l’un de ceux qui ont donné leur vie pour l’union franco-russe soit évoqué aux jours du succès de son œuvre, et il a autorisé les amis de Katkolf à lui élever un monument.

Je voudrais citer tout entières les lettres que j’ai reçues de Russie, surtout de Pétersbourg et de Moscou, durant ces derniers jours bénis entre tous. Moi aussi j’ai la récompense d’une lutte de vingt ans sans défaillance. Mes lecteurs fidèles savent mieux que personne que, depuis douze ans, la Nouvelle Revue n’a cessé de les diriger dans les voies du relèvement où la France marche à cette heure. Le Congrès de Berlin m’a brouillé avec mes amis politiques les plus puissants et les plus populaires. J’ai sacrifié à mes prévoyances nationales le désir légitime que j’avais d’exercer une influence dans un milieu gouvernemental au succès duquel je n’avais cessé de contribuer ; mais, par les mêmes raisons patriotiques qu’après 1877, je me suis écartée d’amitiés à la fois chères et illustres, de même aujourd’hui aucune divergence de détail, aucune antipathie de personne ne peut attiédir la gratitude que j’éprouve pour le ministère qui a donné à l’amiral Gervais la mission française qu’il vient de remplir.

J’envoie du fond de mon âme à M. le Président de la République, — pourquoi n’ajouterai-je pas, moi femme, à Mme Carnot, — dont le patriotisme n’a jamais cessé d’être en éveil, et j’en pourrais donner des preuves, j’envoie au groupe choisi des membres de notre armée et de notre marine qui entourent le chef de l’État à l’Élysée et y ont entretenu les sympathies franco-russes, le tribut d’une reconnaissance qui ne peut être dédaignée, car elle est celle de la première des russophiles qui, le jour de la capitulation de Paris, après avoir appris que la grande-duchesse héritière de Russie, aujourd’hui l’impératrice, avait refusé de boire à la victoire de Sedan, écrivait dans des notes journalières publiées sous le titre de Journal d’une Parisienne, siège de Paris : « Tournons-nous vers la Russie, c’est d’elle que nous viendra le relèvement. »

Et il est venu par la Russie, ce relèvement, après vingt années, durant lesquelles ni chagrins, ni déboires, ni calomnies, ni sacrifices, ni incompréhension de mes actes, ni soupçons, ni ridicules, ne m’ont été épargnés. Je me rappelle à cette heure, entre tant d’autres, l’un des mots les plus cruels et les plus récents qui me fut dit à l’Hippodrome, le jour de la première représentation de Skobeleff, par un grand journaliste d’un grand journal parisien, et qui donne bien l’idée du ton qu’on n’avait cessé de prendre avec moi : « Avant deux ans, me fut-il dit, vous serez traînée sur une claie sur les boulevards de Paris, car c’est vous qui avez le plus contribué à donner à la France le goût du cosaque. » Gambetta ne m’avait-il pas écrit, en 1876, un an avant le congrès de Berlin : « Il faut être effronté pour rêver l’alliance russe. » L’injure, on le voit, allait crescendo, comme allait, il est vrai, le progrès de l’idée russe en France. Et, puisque j’ai répété deux mots parmi les injures reçues, je me ravise et veux citer le passage d’une lettre de l’un de ceux qui ont prêché, en Russie, la bonne parole que de mon côté je prêchais en France........