Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Victor-Émile Michelet

Anthologie des poètes français du XIXème siècleAlphonse Lemerre, éditeur**** 1852 à 1866 (p. 264-268).




ÉMILE MICHELET


1861




Émile Michelet est né à Nantes le 1er  décembre 1861.

Il a publié beaucoup de poésies dans des Revues et des Recueils périodiques. On connaît de lui des Nouvelles et des Études critiques, et un grand nombre d’articles parus dans des journaux quotidiens.

Ses vers sont d’une inspiration mystique enveloppée d’une couleur somptueuse. Il serait prématuré de porter sur M. Michelet un jugement définitif, mais il est possible de constater l’orientation et les évolutions futures de son esprit à la fois préoccupe de métaphysique et de peinture.

Malgré ses raffinements d’artiste, M. Michelet, chose rare, est doué d’un sentiment critique très subtil et très juste. Il juge aussi bien qu’il crée. Il analyse avec finesse en même temps qu’il peint avec les plus riches couleurs.

a. l.





JEUNE FILLE AU BORD DE LA MER




Svelte, droite, piétée à l’angle des récifs,
Elle tord ses cheveux dorés dans l’air sonore,
Et ses yeux éperdus vers la mer et l’aurore
Ont l’éclat abîmé de deux héros captifs.


Sur les vagues, au seuil de l’Orient pensif,
Toute une floraison de roses vient d’éclore.
La clémente beauté des choses remémore
À la vierge l’espoir vivace et primitif.

Elle rêve de beaux hymens mélancoliques
Avec des dieux, venus sur les flots pacifiques,
Des dieux dont la prunelle a d’étranges pouvoirs...

Elle attend votre essor, fêtes ultérieures,
Cependant que, parmi le firmament, les Heures
Vont comme un vol silencieux de cygnes noirs.





NOCTURNES


I


À TERRE




La nuit douce court sur les tamarins :
Fluide bain de lumière lactée,
Silence apaisant, murmures câlins,
Tout fait au cœur comme une mante ouatée.

Près d’ici, du creux d’un rocher falot
Monte un froufrou de diaphanes ailes ;
Dans la lune blanche et le bruit du flot
Un très léger gazouillis d’hirondelles.

La plainte qui vient du cap au lointain,
C’est un soupir de quelque jeune fée
Qui, triste d’amour pour Saint-Corentin,
Mouille de pleurs sa robe dégrafée ;


Ou Morgane errant parmi les dolmens,
Les pieds dans les bruyères purpurines
Qui rit d’épier les libres hymens
Et les amours des phalènes marines.



II


EN MER



Un antre immense, rien qu’un antre
De ciel sombre et de sombre mer,
Et nous sommes toujours au centre
D’un cercle d’eau partout amer.

Et sur les airs que dans les voiles
Les vents chantent très cadencés
La houle berce les étoiles,
Et le ressac les trépassés.

Ainsi me berce au gré des lames
La triste langueur du roulis.
Oh ! paix aux lames, paix aux âmes
Que n’endorment pas les oublis !

Paix aux âmes que crucifie
Quelque éternel espoir menteur,
À ceux qui marchent dans la vie
De l’eau de mer autour du cœur !


À UN ENFANT




Enfant, tu comprendras combien l’heure est amère
Où tu viens saluer l’existence d’un cri,
Où ton vierge regard s’étonne de la Terre.

Les temps ne sont plus où sur ton berceau fleuri,
Souriantes parmi des robes d’or, les fées
Caresseraient ton front d’un souhait attendri.

Ah ! l’espérance a fui nos rives réprouvées,
Et les poètes même ont oublié ses yeux,
Ses yeux qui déliaient les âmes entravées.

Nous, jeunes gens, penchés sur l’œuvre des aïeux,
Nous mesurons l’inanité des tentatives,
Las d’avance et disant l’effort fastidieux.

Nous sommes las : courbant nos épaules chétives,
Nous attendons venir le colossal faisceau
Des races neuves aux forces jeunes et vives.

Fils, l’horizon est noir derrière ton berceau,
Et le lourd grondement des tempêtes prochaines
Menace, Humanité, ton fragile vaisseau !

Et voici déborder les géhennes trop pleines,
Voici que dans le soir du siècle l’on entend
Mystérieusement sonner l’airain des chaînes.

Pour quelle foi, pour quel futur avènement,
L’angoisse d’aujourd’hui ? si c’était l’heure auguste
De la reine Justice en camail éclatant !...


Chimère ! Nous avons haché d’un bras robuste
Les voiles qui cachaient les rouages des Lois :
La nature s’oppose au triomphe du juste.

Enfant, tu vas grandir au milieu des effrois,
Au milieu des stupeurs d’un monde qui s’effare,
Comme un fauve très vieux qui se sent aux abois.

Et si ton cœur esc tendre et haut, ton âme rare,
Chaque jour grandira l’horreur de te voir seul
Sur une mer sans borne où s’est éteint le phare.

Jeune, méprisant la hantise du linceul,
Tu subiras le mal de connaître les Causes
Et d’avoir à vinge ans la science d’un aïeul.

Des femmes vous offrant, entre leurs lèvres roses,
Le souris où l’on boit l’oubli... Toi, tu sauras
Le douloureux sourire et les baisers moroses.

Si le destin t’a fait de ses ongles ingrats
La blessure des grands amours sous la mamelle,
Si vers un idéal hautain s’ouvrent tes bras,

Tes bras seront cloués sur la croix éternelle
Construite pour le juste et le passionné,
Jusqu’au jour de la mort bénie et maternelle.

Et pourtant, aujourd’hui, futur infortuné,
Dans le rêve léger qui flotte sur tes langes,
Quand sonne la voix triste, hélas ! de ton aîné,

Jeune frère, vois-tu passer le vol des Anges ?