Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Louis de Ronchaud
ouis de Ronchaud est né le 9 décembre 1816, à Lons-le-Saulnier. Il a publié quatre volumes de poésies : les Heures (1842), Comédies philosophiques, Poèmes dramatiques (1883), et Poèmes de la Mort (1887). Lamartine et l’art grec, tels ont été les deux maîtres de M. de Ronchaud, qui est à la fois un savant et un lettré. Toutefois, ses œuvres portent bien la marque de son propre esprit. Il s’est inspiré du grand poète et de la belle Grèce, mais sans renoncer à être personnel.
Le goût exquis, la délicatesse, la réserve, voilà les qualités particulières de cet écrivain éminemment distingué. Quand il tient la plume, M. de Ronchaud vise surtout à l’harmonie, à la finesse, à l’exacte nuance de l’expression. Ce sont là des vertus assez rares et qui lui font, à juste titre, une place à part parmi les poètes et les prosateurs contemporains.
Ses œuvres se trouvent chez A. Lemerre.
uand Phidias un jour vit son œuvre achevée,
Quand l’artiste pieux
Vit surgir devant lui la majesté rêvée
Du souvenir des Dieux ;
À genoux, étonné devant son propre ouvrage
Qu’il n’osait croire sien :
« Est-ce toi ? disait-il, vis-tu dans cette image,
Grand Zeus Olympien ?
« Est-ce toi, sur ton trône, ô majesté suprême ?
Ce fantôme adoré,
Zeus, est-ce toi fait homme ! Ou bien est-ce moi-même
En Dieu transfiguré ?
« Pour cette œuvre sublime en sa riche harmonie
Ophyr a donné l’or,
L’Inde a fourni l’ivoire, et moi de mon génie
J’ai versé le trésor.
« Car, tandis que le monde épuisait ses merveilles,
De ta divinité
Je tâchais d’entrevoir un rayon dans mes veilles
Pleines de ta beauté.
« J’ai composé ton front de tout ce que la terre
A de saint et de pur,
De tout ce que le ciel laisse voir de mystère
Au fond de son azur.
« J’ai composé ta lèvre au bienveillant sourire
De tout ce qu’a de doux
Le silence rêveur, quand le soir ne peut dire
Ce qui se passe en nous.
« Ton aigle est à tes pieds, la foudre en ta main gronde ;
J’ai mis le fier courroux
Sur tes conseils divins ; j’ai mis la paix du monde
Sur tes sacrés genoux.
« Ô Zeus, si je n’ai pas fait un ouvrage indigne,
J’ose ici t’en prier,
Daigne approuver d’en haut mon œuvre, fais un signe
À ton humble ouvrier ! »
Il disait. Le tonnerre a grondé sur le temple ;
La foudre, en éclatant
Aux pieds du trône, annonce à l’œil qui le contemple
Que le ciel est content.
Le colosse sacré, que l’éclair illumine,
Tout entier a relui ; —
Et Phidias crut voir une tête divine
Qui s’inclinait vers lui.
SONNET
ans le marbre sculpté dort la pensée antique,
Comme dort sous l’écorce une nymphe des bois ;
On croit entendre en lui murmurer une voix ;
On croit voir le pied nu soulever la tunique.
Apollon fait vibrer la lyre sous ses doigts,
La muette harmonie est changée en musique ;
Ses chants font affluer en paix sous le portique
Les dieux-hommes et les hommes-dieux d’autrefois.
La divine pensée à la forme divine
S’allie et vit encor jusque dans la ruine,
Ranimant du passé pour nous chaque lambeau.
Sous nos cieux étrangers et leur pâle lumière,
Tout le cœur d’un grand peuple a battu dans la pierre,
Tout l’esprit d’un grand peuple est sorti du tombeau.