Anthologie des poètes bretons du XVIIe siècle/Rondeaux sur les rois de France

Anthologie des poètes bretons du XVIIe siècleSociété des bibliophiles bretons et de l’histoire de la Bretagne (p. 237-246).

RONDEAUX

SUR LES ROIS DE FRANCE

(1688)


Aa Bibliothèque publique de Rennes (no 7849 du catalogue imprimé) possède un fort rare et curieux volume, dont voici le titre : Rondeaux sur tous les rois de France et Sonnets sur différents sujets, — à Nantes chez Joseph Heuqueville, imprimeur et marchand libraire juré de l’Université, au Bon-Pasteur, m.dc. lxxxviii. C’est un in-quarto de 144 pages, portant un permis d’imprimer, fait à Nantes le 3 juillet 1688 et signé Charles Valleton. Le livre n’est cité dans aucun répertoire de bibliographie ; l’auteur était vraisemblablement Nantais, au moins habitait-il Nantes et y avait-il des relations, ainsi que l’atteste un sonnet à M. de Louvat, gouverneur de Belle-Isle, sur la mort de son fils, pensionnaire au collège de l’Oratoire à Nantes. L’impression, très soignée, fait honneur à Joseph Heuqueville ; une différence légère d’orthographe et la suppression de la particule, ne m’empêchent pas de regarder cet imprimeur nantais comme le descendant direct de Sébastien de Huqueville ou Hucqueville, aux presses duquel nous devons, entre autres ouvrages, la Belle et curieuse recherche d’Albert Padioleau (1631), et l’Episemasie de Pierre Biré (1637).

La vogue des rondeaux avait survécu à Voiture, le roi et le maître du genre ; elle venait de s’affirmer par le succès de la bizarre tentative de Benserade (Ire édit., 1676) ; il n’était pas, au demeurant, beaucoup plus singulier de travestir en rondeaux les Métamorphoses d’Ovide que de célébrer, aussi en rondeaux, la chevelure de Clodion, la matoiserie de Louis XI ou les conquêtes de Louis XIV ; notre Nantais anonyme dut s’applaudir et être complimenté de cette idée. Ce n’était pas un maladroit, d’ailleurs ; le rondeau, ce petit poème incisif, bien français, et qui attend toujours son Pétrarque, n’avait pas de secrets pour lui ; il y excellait, surtout quand, affranchi des grands souvenirs historiques, il pouvait broder des variations sur cette période, si vague et indéterminée alors, qui va de l’époque gallo-romaine à la fin du moyen âge. Les rondeaux sur Clodion, Mérovée, Childebert, les rois fainéants sont amusants, avec un léger penchant au grotesque et à la caricature ; voici celui de Clotaire III, l’un des plus

inconnus de ces roitelets :

Il faut mourir, qui s’en échape ?
Fussiés-vous caché dans la trape,
Fussiés-vous marquis ou bourgeois,
Monarque, prince, ou villageois,
Ou tôt ou tard la mort vous hape.
Jeunes et vieux elle vous drape.
Ah ! je l’entens déjà qui frappe
À la porte, j’entens sa voix :
Il faut mourir.
Fût-on plus savant qu’Esculape,
On n’en sauveroit pas le Pape ;
Le pieux Clotaire, autrefois,
Tout jeune encor subit ses loix,
Point de quartier quand elle attrape :
Il faut mourir.

À mesure qu’il approche des temps modernes, on sent que le poète est plus gêné dans son essor ; il se tire assez ingénieusement du rondeau sur Louis XI, en faisant courir, d’un bout à l’autre, une fine ironie :

De tous les rois voici le plus sincère,
Le plus loyal, sans porte de derrière ;
On reconnut, dès qu’il estoit dauphin,
Qu’à la douceur il devoit estre enclin ;
Jamais enfant plus soumis à son père,
La piété fut son vray caractère,
Règne jamais ne fut moins sanguinaire,
Il affecta d’estre le plus humain
De tous les rois.
Il ne sçavoit que c’est que d’estre fin ;
On le voyoit aller son grand chemin ;
Le Bourguignon eut raison de le croire.

D’attachement à la vie il n’eut guère,
Avec plaisir souffrant le dur destin
De tous les rois.

On voit que notre auteur manie assez dextrement l’ironie, et ce n’est pas là un exemple isolé ; j’aurais pu citer le finale du rondeau sur Clovis III, prince qui apprenoit le latin :

Ce latin-là cent fois m’a pensé faire
Mourir tout jeune ;

et ce trait contre les médecins, à propos de Charles le Chauve :

Son médecin, corrompu par finance,
L’empoisonnant, le ravit à la France…
Nos médecins sont plus habiles gens ;
Sans nuls boucons[1] ils abrégent nos ans,
Asses souvent d’une simple ordonnance.

La lecture des Rondeaux m’a aussi révélé, chez le poète, une certaine indépendance d’esprit, une certaine liberté de critique ; tout bon catholique qu’il est, il blâme le massacre de la Saint-Barthélemy :

Des huguenots la funeste insolence,
Sous Charles neuf, fut grande en notre France ;
Pour extirper ce fatal ennemy,
La nuit d’avant la Saint-Barthélemy,
On en tua partout, à toute outrance.

Plusieurs ont cru qu’un peu moins de vengeance
Eût été mieux, outre qu’en abondance
On trouva morts des innocens, parmy
Des huguenots.

Il est juste d’ajouter que les rondeaux sur Louis XIV (il y en a douze) respirent l’enthousiasme le plus ardent ; ils embrassent les sujets les plus variés, la création de l’hôtel des Invalides, la fondation de Saint-Cyr, l’édit sur les duels, la réforme des ordres religieux ; celui-ci, à propos de la répression sévère des pirateries barbaresques et du bombardement tout récent d’Alger par Duquesne (1681-83), n’est pas le moins curieux :

Il vous en cuit, lâche et maudite race
D’avoir naguère encouru la disgrâce
D’un potentat qu’il falloit ménager ;
De ce qu’il a fait contre votre Alger,
De vos esprits le souvenir s’efface.
De l’insulter vous avez eu l’audace !
Oh ! Louis rend bien pain blanc pour foüace,
Et, puis qu’encor vous voulez en manger,
Il vous en cuit.
Pendant qu’icy la rime m’embarrasse,
Je voudrois voir ce qui chés vous se passe ;
À votre avis sçavons-nous nous vanger ?
Offence-t-on les François sans danger ?
Le feu punit maintenant votre audace.
Il vous en cuit.

Avec les empereurs romains, notre anonyme avait ses coudées plus franches qu’avec les monarques nationaux ; il a pourtant suivi Suétone plus fidèlement que Mézeray ; le rondeau sur Vitellius est des plus piquants qu’il ait faits :

Le gros glouton qu’il est Vitellius !
Chaque repas coûte dix mille écus,
Et tous les jours il en veut faire quatre,
Ni plus ni moins, sans hausser ni rabattre.
Tels avaleurs ont-ils du superflux ?
Des mets exquis de tous cotez venus,
Et jusqu’à luy dans Rome non connus,
Luy sont servis à table pour l’ébattre,
Le gros glouton !
Son seul plaisir et ses seules vertus
Il les mettoit, ainsi que les goulus,
À vaillamment de toutes dents combattre ;
Mais quelqu’un vient son appétit abattre,
Et fait si bien qu’il ne mangera plus,
Le gros glouton !

On sait que le refrain joue, dans l’ensemble du rondeau, le rôle capital, et qu’il en est à la fois — comme dit M. de Banville (Petit traité de poésie française) — le sujet, la raison d’être, et le moyen d’expression ; or je doute que Voiture lui-même, l’auteur de si exquis refrains de rondeaux, en ait trouvé beaucoup de plus persuasifs, de plus mordants, de mieux en situation, que celui-ci, appliqué au César gargantuesque : le gros glouton !

À la suite de ces pièces que l’on peut presque dire historiques, se lisent d’autres rondeaux sur différents sujets (quelques-uns de circonstance ou de complaisance, sur une décollation de saint Jean-Baptiste qui étoit dans la chambre de Madame de *** ; sur un portrait du bienheureux Pierre de Luxembourg, etc.) ; puis des fables (toujours en rondeaux) imitées ou plutôt assez faiblement parodiées de La Fontaine (l’Agneau et le Loup, le Renard et les Raisins) ; enfin, des rondeaux philosophiques (quel assemblage de mots et de choses !) sur l’Universel des philosophes ; sur ce que dit M. Gassendi ; sur le Pyrrhonisme réfuté. Voici une strophe familière, triviale même, de ce dernier :

Les sens souvent et le raisonnement
Errent ; hé bien ! suivons-les prudemment.
Du pain n’est pas du jambon de Mayence,
Le goût le dit, à Rome comme en France,
Vous le nieriez des lèvres seulement.

Le plus intéressant de ces rondeaux métaphysiques et qui a surtout, à nos yeux, le mérite de rattacher à la Bretagne le grand homme qu’un accident fortuit de naissance a seul pu lui faire contester, est écrit sur M. Descartes ; quoiqu’il y ait un demi-calembour dans le refrain du rondeau, l’auteur parle sérieusement, en cartésien résolu, en adversaire déclaré de la philosophie scolastique :

Descartes, ce sçavant génie,
Qui réduit Scot à l’agonie,
Sortoit originairement
De Bretagne, et d’un noble sang ;
Est-il un Breton qui le nie ?
Du monde, eût-on cent ans de vie,
On ne peut sçavoir l’harmonie,
À moins d’avoir absolument
 Descartes.


Par luy de l’Echole est bannie
Cette chicane d’Hibernie,
Des pédans le doux élément ;
À vous le dire franchement,
Mon plaisir est, quand je manie
Descartes.

La seconde partie du volume qui nous occupe, beaucoup moins importante, à tous égards, que la première, est remplie par une quarantaine de sonnets. Ils sont très variés d’objets ; il y en a qui se rapportent à des événements d’intérêt public (sur le rétablissement de la santé du Roy, sur la mort du prince de Condé), d’autres, à des faits de moindre importance (celui, par exemple, sur l’embrasement de la cathédrale de la Rochelle) ; la plupart sont tirés de l’Ancien ou du Nouveau Testament, paraphrasant des scènes de la Bible ou de l’Évangile. Les uns et les autres sont au-dessous du médiocre, comme pensée et comme expression ; les tours ingénieux, la concision et le nerf qui plaisent et charment, dans les rondeaux, font place ici à un style mou et traînant, sans le moindre relief ; ce serait, s’il n’y avait des références au précédent recueil, à croire que les sonnets sont d’une autre main que les rondeaux. Le premier des sept sonnets bibliques, consacrés à Judith, est le seul qui m’ait offert quelques traits heureux :

Dans la crainte du Ciel, à la fleur de son âge,
La divine Judith occupe tous ses jours ;

Et, passant loin du monde un tranquille veuvage,
Sçait défendre à son cœur de secondes amours.

Sur son corps délicat un poil rude et sauvage
Luy tient lieu d’ornement et de riches atours ;
Ses longs jeûnes, au lieu de plomber son visage,
Semblent, pour l’embellir, lui prêter du secours.

Pendant qu’en sa maison, avec son domestique,
À servir le Seigneur entière elle s’applique,
Ses appas négligez ont plus de majesté.

Calliste, qui toujours voudriez estre belle,
Ayez pour les plaisirs une haine mortelle,
Puisque la pénitence augmente la beauté.

Si je cite encore le sonnet, dont j’ai déjà fait mention, à M. de Louvat, c’est uniquement parce que son titre atteste les relations bretonnes de l’auteur, et le pose dans un milieu nantais ; ce sonnet est une amplification quelconque, et, au point de vue littéraire, le plus léger rondeau, un nouveau Vitellius eût bien mieux fait notre affaire :

Il n’est plus, ce cher fils ; la Parque impitoyable,
Cueillant dans son matin la plus belle des fleurs,
Nous la laisse arroser d’un déluge de pleurs,
Et se fait de nos cris un spectacle agréable.

Déjà, plein du désir de vous être semblable,
D’un cœur noble il montroit les naissantes ardeurs,
Et les grâces, en luy, prodiguant leurs faveurs,
À l’envy s’efforçoient de nous le rendre aimable.


Ô ciel, s’il ne devoit être vu qu’un moment,
Tu devois épargner tes dons en le formant ;
Moins parfait, il nous eût demandé moins de larmes.

Mais, puisqu’en luy donnant cet esprit et ce corps,
À pleines mains sur luy tu versas tes trésors,
Pour ta gloire il falloit conserver tant de charmes.

Olivier de Gourcuff


  1. Boucon, morceau, ou breuvage empoisonné (Dictionnaire de Trévoux.)