Anthologie des poètes bretons du XVIIe siècle/Poetæ minores Armorici

Anthologie des poètes bretons du XVIIe siècleSociété des bibliophiles bretons et de l’histoire de la Bretagne (p. 272-283).

POETÆ MINORES

ARMORICI


J’ai compris sous cette dénomination, renouvelée de l’antiquité, quelques nébuleuses très pâles de la poésie bretonne au XVIIe siècle, auprès de qui Montplaisir et Le Pays, même Auffray et Le Noir, sont des étoiles de première grandeur. Nos poétereaux sont, presque tous, auteurs de pièces liminaires, de stances, de sonnets, de quatrains qui portent aux nues la Parthenice de Dadier, la Zoanthropie d’Auffray, le Zodiaque de Rivière, l’Emanuel de Le Noir. Leheulle et Guillaume Lucas, Th. Bertho et de Lanjamet, de la Ville-Geosse et les deux Michel de Rochemaillet, rivalisent d’hyperboles et de flatteries. Ce qu’il y a de moins mauvais dans ce fatras de louanges, ce sont des stances, placées en tête des Hymnes et Cantiques d’Auffray, où l’abbé Doremet, chanoine et grand vicaire de Saint-Malo, apprécie fort judicieusement le talent de son compatriote ; et c’est un sonnet de De Cran Henriet, sur l’Emanuel de Le Noir, que l’on peut citer entièrement :

Que l’on rencontre icy de charmes et d’appas !
Que notre ame en lisant y gouste de délices !
La méthode et les vers y sont sans artifices,
L’on y void de Jésus la vie et le trépas.

L’on void que de l’Enfer la puissance est à bas,
Tous les efforts sont vains de ses noires malices,
Nous sommes rachetez de ses cruels suplices,
Christ nous fait triompher par ses divins combats.

Le Ciel nous est ouvert pour aller à la gloire ;
En suivant le flambeau de cette sainte histoire,
Le Noir nous y conduit par un chemin de fleurs ;

Il excelle au Parnasse ainsi que dans les Temples,
Par son Emanuel il corrige nos mœurs,
Ainsi que fait Rohan par ses rares exemples.

Il conviendrait de mentionner à part, à cause de leur étendue, des Stances sur l’Histoire des saints de Bretagne d’Albert le Grand, dues à la plume d’un savant avocat de Nantes, Albert de Launay-Padioleau (1637) ; mais ces stances sont bien faibles et ne m’ont pas semblé plus mériter d’être rapportées ici qu’un quatrain d’un autre jurisconsulte, Pierre Belordeau, écrit à la mémoire du révérend évêque de Rennes, Messire François Lachiver, et formant comme la péroraison d’un petit traité, les Regrets funèbres, que la mort du prélat avait inspiré à Belordeau. Bien entortillée aussi et bien rocailleuse est une épître d’un certain Y. Fyot, adressée à Charles d’Argentré, fils de l’illustre Bertrand, et imprimée dans la 4e édition de la Coutume de ce dernier (Paris, N. Buon, 1628) ; il y a pourtant, dans cette épître, un portrait très soigné, et assez réussi, du grand magistrat :

Quand, plus doux que nectar, de sa plume couloient
Les célestes devis de sa muse privée,
Ou quand en plain palais, sur la chaire élevée,
(Vive image d’Astrée à l’œil étincelant),
Vénérable, il rendoit son oracle parlant,
De la droite raison inspirant dans les âmes
Le gracieux attrait et les ardentes flammes
De sa vertu plus belle en si rare sçavoir ;
D’Hélicon les lauriers premier il te fit voir,
Ma Bretagne, et portant en sa main, tousiours vives,
De justice et de paix les fécondes olives,
La créance il acquit des peuples et des rois.

C’est dommage qu’il y ait tant d’épithètes et un tour si embarrassé dans ce morceau ; l’image de d’Argentré, de cet émule des de Harlay et des de Thou, est tracée avec l’éloquence qui vient du cœur.

Nous terminerons l’examen de ces poésies par la meilleure d’entre elles ; c’est un véritable poème, de trois cents vers environ, qui sert de frontispice à l’Histoire généalogique de plusieurs maisons illustres de Bretagne, du Père Dupaz (1620), et qui est intitulé : À la gloire immortelle des Bretons ; il a pour auteur un sieur Jouchault, d’ailleurs inconnu ; il ne manque pas de couleur ni de relief, et il surabonde de patriotisme. L’éloge de la Bretagne, qui ne le cède à aucune nation, qui ne s’est jamais asservie, amène cette apostrophe à la France :

Grande Reine, tu sçais que ce plaisant séjour
Ne t’est eschëu de force, ains t’est escheu d’amour,
Quand, par les loix d’hymen, Anne, notre héroyne,
À tes Lys annexa les droits de son Ermine.

Un défilé pompeux commence ensuite : ce sont, d’abord, les ducs légendaires et historiques, Conan Mériadec, Hoël, Neomène, puis les preux :

Du Guesclin n’est-il pas l’ornement de la terre,
Des Maures la tempeste et l’effroy d’Angleterre,
Du peuple Ibérien et de ses puissants roys
L’astre préservateur, ainsi que des François ?
Montiel, Cnoles, Chisey, Grancon, et mille et mille
Luy acquièrent un champ en victoires fertile,
Et font que son triomphe, avec facilité,
Surgit au rendez-vous de l’immortalité.
Hé ! qui ne sçait le nom d’Olivier de Clisson,
Aussi de la Bretagne illustre nourrisson,
Lorsque, plein de bonheur, il fist son roy sacrer,
Lorsque victorieux il a fait massacrer
Les parjures mutins et la bande rebelle
Qu’avoit fait révolter ce Gantois Artevelle ?

C’est encore Richemont, sans qui

Le génie, qui tient la couronne françoise,
Se sentoit terrassé par la fortune angloise,
Paris estoit changé dans un Londre nouveau.

C’est Pierre de Rohan, tige d’une race glorieuse, ce sont les croisés de Bretagne. A-t-on, s’écrie le poète enthousiasmé, oublié les noms

De ces pieux Bretons, qui, dans la Palestine,
Ecrasèrent l’horreur de la gent sarrazine.
Quand Pierre, Jean, Alain, de divin zèle ardans,
Trois princes renommés, destruisoient les Soudans,
De leurs Bretons faisant une invincible armée,
Pour te rendre ton mieux, ô ville Solimée !

La gloire des armes est l’apanage des Bretons :

Bref, il ne s’est jamais fait voyage ou conqueste,
Où tousiours le Breton, plus roide que tempeste,
Ne se soit eslancé, et, par un brave effort,
N’ait aussi tost donné la crainte que la mort.

Mais, si les guerriers dominent, d’autres grands hommes, des théologiens, des jurisconsultes, se sont montrés leurs dignes rivaux :

Combien de cardinaux et de mitrez pasteurs
Sont issus de Bretagne, et combien de docteurs,
Abélard et Hervé, Boych, Baron, de Broye,
Raucelin, Duaren, et celuy qui envoye
Son nom jusques aux cieux, pour avoir pénétré
Dedans le cabinet de Thémis, d’Argentré !

Admirable pays, cette Bretagne, — conclut Jouchault, nation dont l’ennemi, dont le temps, n’ont pu changer le droit municipal, ni la langue,

Le langage certain dont les Gaules illustres
Se servoient dignement, il y a mille lustres.

À ce dernier trait surtout, à cet attachement pour le vieil idiome, qui était cultivé dès le début de l’ère chrétienne, on ne peut méconnaître un Breton.

Les vers, que je veux citer à présent, n’ont rien de bien remarquable, mais ils démontrent qu’il y avait en Bretagne, au XVIIe siècle, des cercles de beaux esprits, où l’on s’occupait de poésie. Le 11 janvier 1632, Philippe de Cospéan, alors évêque de Nantes et l’un des hommes les plus distingués de son époque, célébrait solennellement, dans son église cathédrale, le sacre d’un religieux de son diocèse, qui venait d’être promu évêque de Saintes ; à cette occasion, et pour payer au nouveau prélat un tribut de félicitations et de regrets, plusieurs notables habitants de Nantes composèrent des vers ; l’un d’eux, le sieur du Housseau-Poulain, avocat du roi au présidial de Nantes, écrivit le petit poème suivant, où il fait parler le Génie nantois :

Prélat sacré, tu vois de Nantes le Génie,
Qui salüe le tien en ce célèbre jour,
Et te vient tesmoigner, en ceste compagnie,
Par l’excès de son dueil, celuy de son amour.

Excuse le regret sensible qui me touche ;
Si mon front et ma voix sont tristes aujourd huy,
Je ne sçaurois avoir le ris dedans la bouche,
Et porter dans le sein la douleur et l’ennuy.

En me représentant que le jour de ta feste
Sera bientost suivy de ton esloignement,
Je dis qu’en te posant la mitre sur la teste,
On m’arrache du chef mon plus cher ornement.


Ce pompeux appareil m’est un sujet de plaintes,
Ces trophées me sont importuns en effet,
Et ne puis sans gémir voir la ville de Xaintes
Qui triomphe chez moy du tort qu’elle me fait.

Qui eust jamais pensé, t’aimant avec tendresse,
Que tes prospéritez m’eussent tant affligé,
Que j’eusse désiré, au fort de ma détresse,
Que le Pape et le Roy t’eussent moins obligé ?

Mon païs, qui vantoit l’honneur de ta naissance,
N’eust pas cru que l’Aunis t’eust brigué dessus luy,
Ny qu’aucun accident eust assez de puissance
Pour le rendre jaloux de la gloire d’autruy.

Le Loire, murmurant de sa perte apparante,
S’est enflé de despit, prest de se déborder,
Et va dans l’Océan quereller la Charante,
Qui luy ose ravir l’heur de te posséder.

Ceste solennité me seroit fort plaisante,
Si je pouvois encore après te retenir,
Mais les chatouillemens de la joye présente
Cedent aux sentimens de mon mal à venir.

Puisque tu es pasteur, je te voudrois le nostre,
Si le grand Cospéan ne retenoit mes vœux ;
Ne pouvant avoir l’un sans me priver de l’autre,
Je ne puis par raison vouloir ce que je veux.

Mais, puisqu’un saint décret maintenant vous assemble,
Je suis bien consolé de vous voir en ce lieu,
Car les noms de Philippe et de Jacques ensemble
Sont d’un heureux présage en l’Église de Dieu.

Albert Le Grand, qui cite cette pièce dans son Catalogue chronologique des évêques de Bretagne, se récrie d’admiration et il ajoute que l’auteur, fort oublié aujourd’hui, « étoit non moins chéry des Muses qu’admiré des plus équitables adorateurs de la déesse Astrée. » Il s’en faut que ces éloges soient justifiés, le bel esprit de province marche trop souvent sur les traces de l’abbé Cotin ; mais il n’était pas sans intérêt de montrer que les lettres étaient en honneur à Nantes, au début du XVIIe siècle, et que les faits d’histoire locale y fournissaient matière à la poésie.

Voici encore trois noms de petits poètes, relevés au cours de mes recherches. Le premier était Normand de naissance, mais il se naturalisa Breton, en fondant à Saint-Brieuc la première imprimerie de cette ville : c’est l’imprimeur Guillaume Doublet, duquel descendent par les femmes les Prud’homme d’aujourd’hui. Dans le Bibliophile Breton, publié par M. Plihon (1er  trimestre de 1884), M. Arthur de la Borderie nous apprend que Doublet inséra, en tête des Vies de S. Brieuc et de S. Guillaume, du chanoine La Devison (1627), des stances de sa composition, qui n’ont pas été reproduites dans la réimpression de ce livre, faite en 1874. Voici ces stances, dédiées « à Monsieur de la Devison » ; elles ne manquent pas d’originalité :

Roulez, siècles, roulez comme les flots baveux,
L’un l’autre s’estouffant d’une mortelle envie ;
Vous ne pourrez jamais faire que nos nepveux
De leurs sacrez prélats ne sçachent bien la vie.

Leurs mérites, cachez dans vostre antiquité,
Comme les diamans sous les eaux de Pactole,

Sortent présentement de ceste obscurité,
Pour se faire admirer de l’un à l’autre Pôle.

Docte La Devison, c’est par vostre moyen
Que ces astres bessons, patrons de nostre église,
Sont tirez de l’oubly : ainsi que ce Troyen,
Qui du milieu des feux retira son Anchise.

Je ne quitterai pas la Vie de S. Brieuc et l’article du Bibliophile Breton, sans constater que je me suis trompé en disant que François Auffray, le recteur de Pluduno, n’écrivit pas de vers depuis ses Hymnes et Cantiques (1625), jusqu’à sa mort (1652). En ces mêmes vies des SS. Brieuc et Guillaume, il se trouve des stances d’Auffray, également non réimprimées en 1874 ; ces stances ont sept strophes de six vers octosyllabiques ; je cite la première, qui sent toujours son Ronsard :

Bon Dieu ! que j’ayme ce volume,
Peint des traits d’une docte plume,
Et plein d’attraits délicieux !
Il semble, à chaque période,
Que c’est un second Hésiode,
Qui place au ciel ses demy-dieux.

Ce qui suit nous représente le bon chanoine La Devison versant « le musc et l’or  » image digne d’un temps où l’on recueillait les fleurs des vies des saints.

Un sieur Guérin, « advocat au Parlement, Breton, » a écrit, en tête d’Amour et Justice, tragi-comédie du sieur de Richemont (Paris, Claude Collet, 1632), huit vers, maladroitement entremêlés de termes juridiques, qui n’ont dû rien ajouter à sa réputation d’avocat.

Enfin, j’ai découvert, dans la riche bibliothèque de M. le marquis de Villoutreys, un marquis du Bois de la Musse, gentilhomme breton, auteur d’un sonnet adressé à « Monsieur de la Forge, Angevin, sur son Cercle des femmes sçavantes. » (Paris, Trabouillet, 1663.) Ce seigneur du Bois de la Musse est probablement celui que j’ai vu désigné, dans un acte du 9 février 1657, comme premier président de la Chambre des Comptes de Bretagne. Les deux quatrains de son sonnet, que j’ai transcrits, ne le cèdent pas, en préciosité, à la comédie de son ami de la Forge, dont une nouvelle édition doit paraître prochainement chez le libraire Henninger, à Heilbronn :

Que ton cercle me semble beau !
Il donne un nouveau lustre à tes muses galantes,
Et l’on verra ta gloire au-dessus du tombeau,
Tant que dans l’univers on verra des sçavantes.

J’admire ce riche tableau,
Et, dans ces images vivantes,
Si l’esprit est surpris des traits de ton pinceau,
Le cœur ne l’est pas moins de ces femmes charmantes.

Je ne cite pas les tercets, par charité, craignant qu’il ne se trouve un Alceste pour donner les étrivières au nouvel Oronte.


Tanguy Guégen, curé de Plouguerneau, auteur de plusieurs livres écrits en breton, a entremêlé de quelques noëls français un Recueil de noëls anciens et dévots, en breton, qu’il a fait paraître à Quimper-Corentin, chez Georges Allienne en 1650.

La Biographie universelle de Michaud (article signé H. Audiffret) prétend que Pierre de Lesconvel, gentilhomme breton du XVIIe siècle, connu par divers écrits en prose, « a composé un grand nombre de pièces de poésie insérées dans les journaux du temps ; » cette affirmation, dont nous n’avons pu contrôler l’exactitude, n’est pas répétée par les autres biographes de Lesconvel.

Aucun bibliographe ou bibliophile n’a vu un petit poème intitulé : la Parure des dames, qui selon Brunet et M. de Kerdanet (Notices sur les écrivains de la Bretagne), aurait vu le jour en 1606, et aurait pour auteur René-Timothée Lespine, gentilhomme du Croisic ; il serait séduisant de voir dans ce poète, le père de René de Lespine, poète aussi et Croisicais, né en 1610, et compris dans notre Anthologie ; mais rien ne vient confirmer cette hypothèse, l’existence de Timothée de Lespine et celle de son poème sont problématiques, et il convient très probablement de reléguer celui-ci parmi les apocryphes bretons.

Il faut faire aussi peu de cas de l’attribution suivante : une Bibliographie peu sérieuse, éditée récemment à Paris, attribue à un certain Arnault, de Nantes, un poème : Le Miroir d’inconstance, publié en 1603, s. 1. (in-16 de 133 pp., la dernière non chiffrée). La Bibliographie en question renvoie au Bulletin du Bibliophile de 1855, qui ne dit mot du livre ni de son auteur ; le Miroir d’Inconstance est écrit en strophes, et en vers de huit syllabes ; voici la moins compromettante des strophes citées par la Bibliographie :

L’honneur ne gist qu’en la pensée,
Ny le mal qu’en l’opinion,
Ceux qui ne l’ont point offencée,
Vivent exempts de passion.

Rien, en somme, n’est moins certain que l’origine bretonne de ces vers ; qui sait si Arnault, de Nantes, n’est pas de Mantes, ou d’ailleurs ? Puisque je suis sur le chapitre des attributions, des suppositions, je rappellerai que M. Édouard Fournier (Poètes français de Crepet, tome II, page 660), insinue que le sémillant abbé Mathieu de Montreuil était probablement né en Bretagne, vers 1620. C’eût été une précieuse recrue pour notre Anthologie, où il eût donné la main à ses amis, Jean de Montigny et l’abbé de Francheville. Malheureusement, les éditeurs de Montreuil, M.J.-V.-F. Liber, M. Octave Uzanne[1], le font Parisien, et c’est trop peu de son séjour en Bretagne, et même de sa longue intrigue avec la sénéchale de Rennes, pour aller contre une opinion aussi généralement reçue.

Olivier de Gourcuff.
  1. Toutefois, M. Octave Uzanne ne serait pas éloigné de voir dans Mathieu de Montreuil un Breton ; notre confrère fonde cette croyance sur certaines lettres du poète qu’il a si gracieusement édité. C’est toujours un texte formel qui manque : pourquoi Jal n’a-t-il pas tranché la question ?