Anthologie des poètes bretons du XVIIe siècle/Introduction


Anthologie des poètes bretons du XVIIe siècleSociété des bibliophiles bretons et de l’histoire de la Bretagne (p. v-xi).

INTRODUCTION


Il n’y a pas eu de grand poète, en Bretagne, depuis les bardes inconnus dont M. de la Villemarqué s’est fait l’interprète habile et ému, jusqu’à Auguste Brizeux, l’initiateur et le modèle de la poésie intime et locale, l’émule de William Cowper et du Gœthe d’Hermann et Dorothée. Mais, à défaut des poètes qui tracent un sillon enflammé ou laissent traîner une douce lueur d’étoiles, la Bretagne a vu naître et se consacrer à la Muse, des dernières années du XVe siècle aux premières du XIXe, bien des talents ingénieux et aimables, que les caprices de la mode et l’éloignement de la capitale ont fait méconnaître ou oublier.

Ce qui frappe tout d’abord, quand on étudie la poésie bretonne du XVIIe siècle, c’est le prolongement de l’école du XVIe, et ce qu’on pourrait appeler la fidélité à Ronsard. La Bretagne, affirmant une fois de plus sa ténacité proverbiale, donne un dernier asile à la Pléiade proscrite, battue en brèche de tous côtés, et, jusqu’en 1625, en plein triomphe et trois ans avant la mort de Malherbe, le ronsardisme y fleurit à l’aise. François Auffray tente maladroitement de transporter dans le drame les complications mythologiques, la métaphysique abstraite de la Franciade, mais il épure sa forme et trouve sa vraie voie dans ses Hymnes et Cantiques, éloquents à la façon des Discours sur les misères de ce temps. Nicolas Dadier jonche de fleurs parfumées, prises au bouquet de Remi Belleau, le sanctuaire de sa Parthenice Mariane ; le dernier des élèves de Ronsard, ce Du Bartas à qui il ne manqua que le goût et la mesure pour devenir un Lucrèce chrétien, trouve un fervent adepte dans Alexandre de Rivière. Que si l’on objecte que Dadier et Rivière sont de simples traducteurs, il est aisé de répondre que leurs imitations du Mantouan et de Palingene rendraient des points, en liberté, aux belles infidèles de Perrot d’Ablancourt.

Cependant la Bretagne, pour rétive qu’elle soit aux nouveautés, laisse pénétrer la réforme de Malherbe, elle accepte le joug de Boileau, elle fait sa paix avec la poésie régulière et mesurée. Le poète qui scelle cet accord est resté le plus connu de cette période : c’est René Le Pays ; il y a plus et mieux en lui qu’un Voiture de province ; le bon sens narquois, l’enjouement piquant se font jour presque à chaque page de ses trois volumes, et ont à leur service une langue pleine de souplesse et de verdeur. À côté de Le Pays, le Croisicais René Gentilhomme, sieur de Lespine, s’essaie agréablement dans la poésie de cour, et le sémillant marquis de Montplaisir nous laisse entrevoir assez de ses jolis vers pour nous faire regretter qu’il se soit jugé trop grand seigneur pour les publier lui-même. On était encore sous Louis XIII et Richelieu, quand un poème, où la louange était trop vraiment nationale pour paraître excessive, et s’exprimait dans un style ferme et élevé, méritait de faire vivre le nom de Du Bois-Hus.

Le clergé de Bretagne, les ordres religieux, comptent dans leur rang des lettrés, qui ajoutent plus d’un fleuron à la couronne poétique de leur province. Dadier était carme, Aufray devint recteur de campagne ; un prêtre de Ploërmel, Messire Baudeville, dramatise la vie légendaire du saint patron de sa ville ; un jésuite de Nantes, le Père de Cériziers, écrit, sur le modèle de Boëce, qu’il avait paraphrasé d’abord, une Consolation mêlée de prose et de vers élégants, qu’entachent malheureusement les concetti ; un autre membre du clergé nantais, Jean Barrin de la Galissonnière, prélude à une pieuse vieillesse par des juvenilia, dont le moins compromettant et le plus littéraire est la traduction, souvent réimprimée, des Epîtres et Elégies d’Ovide ; l’évêque de Léon, Jean de Montigny, meurt à la fleur de l’âge, quand on pouvait croire que ses fruits passeraient les promesses des fleurs ; le vénérable Grignion de Montfort multiplie, dans un but d’édification, des cantiques simples et naïfs, au milieu desquels on est tout surpris de trouver une satire, vivante peinture des mœurs de son époque. L’Église réformée a aussi son poète militant, dans le pays d’Henri de Rohan et de François de la Noue ; c’est un pasteur de Blain, Philippe Le Noir, qui puise dans une touchante candeur assez de force pour mener jusqu’au bout le plus redoutable sujet, la vie et la mort de Jésus-Christ.

Si les genres majestueux, l’épopée, l’ode, l’élégie, font médiocre figure, si le drame n’a que deux échantillons, l’un (la Zoanthropie, d’Auffray) bien fruste et mal dégrossi, l’autre (la Vie de saint Armel) mutilé par les copistes, la poésie satirique nous offre, dans la Bretagne du XVIIe siècle, plus d’un représentant. Le cantique du Père de Montfort laisse place à l’observation caustique ; j’ai dit ailleurs les terreurs de l’Enfer d’Auffray, et les flèches acérées de ses quatrains. Paul Hay du Chastelet est un satirique âpre et honnête, qui annonce Boileau. Le trait moqueur s’embusque quelquefois derrière les récits de voyages et d’amour de Le Pays ; la main gantée de Montplaisir le décoche aisément ; il se change en massue dans l’espèce de gazette rimée par laquelle un Malouin, né malin et aimant le gros rire, riposte à la ridicule expédition des Anglais contre sa patrie, en 1694.

Les femmes — cette galanterie est un simple hommage à la vérité — tiennent un rang fort honorable sur le Parnasse breton du XVIIe siècle. La noble voix qui s’élève, qui célèbre en accents plaintifs la mort de Henri IV, est celle de la princesse Anne de Rohan. Catherine Descartes emprunte à son illustre oncle, qu’elle loue dignement et paraît revendiquer pour la Bretagne, quelque chose de son fier bon sens. Henriette de Castelnau, comtesse de Murat, croise les élégances parisiennes sur le costume breton dont sa personne et ses écrits aiment à se parer. Julienne Cuquemelle a été appelée la Cynthie des Bretons ; il semble que sa piété et sa modestie l’aient seules empêchée de devenir l’égale d’Anne de Schurmann ou d’Olympia Morata.

Que conclure de ce bref exposé du mouvement poétique en Bretagne, de la fin du règne de Henri IV au milieu du règne de Louis XIV ? Il faut se garder d’un enthousiasme irréfléchi et d’un scepticisme aussi peu raisonné ; ce fait, qu’il n’y a pas eu un talent de premier ordre, mais beaucoup de bons esprits au second plan, permet d’asseoir une opinion équitable entre ces deux extrêmes. Plus de vingt noms de poètes, sans que la quantité supplée toujours à la qualité, ont paru mériter d’être remis en lumière ou tirés de l’oubli. C’en est assez pour réfuter, en ce qui concerne la poésie du XVIIe siècle, le préjugé malveillant qui méconnaissait les richesses intellectuelles des Bretons. Sauf la Normandie, qui eut à cette époque une merveilleuse floraison poétique, il n’y avait alors aucune de nos provinces avec qui la Bretagne ne fût de force à se mesurer.

Olivier de Gourcuff.