JULIEN OCHSÉ



La poésie douloureuse et fiévreuse de Julien Ochsé, en rythmes souples et savants, émaillés de mots rares et de précieux vocables, mais selon la sévère ordonnance et la pure discipline traditionnelles, unit, harmonieusement complémentaires, les plus subtiles nuances de l’angoisse contemporaine aux thèmes immortels de l’âme universelle du monde.

D’avoir, infatigable voyageuse, en ses courses errantes, confronté l’illimité du songe à l’immensité des océans, cette poésie a pris une ampleur singulière, d’un séjour aux Iles de Paradis, dont les archipels sèment de fleurs les solitudes de la mer australe, où chante, dans l’éternelle lumière, la plainte éternelle des grandes houles, elle a pris son visage d’infinie tristesse. De la contemplation des ciels antarctiques, et de ces terres et de ces eaux où la mort a posé le sceau définitif de sa splendeur sans but et sans commencement, elle a gardé sa sérénité grave, en une face d’énigmatique beauté…

Avec Repose ailleurs, son dernier livre, le poète nous revient. Il nous revient, des jours de la Grande Épreuve où la mort guerrière a frôlé son front. Vivant, mais frappé de l’aile de l’Ange noir, ses chants ont des accents d’une infinie douceur. La lumière funéraire des soleils jamais voilés éclaire la route où vont ses pas anxieux…




LE BRUIT DES PAS


Des pas lointains s’en vont toujours autour de nous,
Des pas dans le jardin où les branches se froissent,
Des pas sur les chemins qui frappent les cailloux,
Des pas dans la maison se heurtant à l’angoisse,
Passages et départs, promenades, retours,
Inconnu que l’on craint, inconnu qu’on désire,
Dont la terre est l’obscur et commun carrefour,

Humanité lointaine, où frémit un délire
Qui nous fait hésiter parfois en écoutant
Si nous entendons fuir les hommes ou le temps…

Les pas des inconnus qui s’en vont sur la route,
Et dont les bruits changés dessinent les détours,
Les pas qui vont plus vite accompagnés du doute
Ou qui traînent plus lents quand les retient l’amour,
Ceux qui viennent vers nous, dont nous craignons l’approche
Ceux qui passent très loin, et où l’on entrevoit
Ainsi qu’une prière au son morne des cloches
La forme d’un passant et l’écho de sa voix…
Les pas dans le jardin, tournant près des parterres,
Avec un bruit léger de jupes entraînant
Une branche tombée à travers la poussière,
Et dont le son qui glisse est un écho du vent.
Ceux dont on peut revoir le geste et l’attitude
Dans la chambre, où, croyant être seul, on entend
Passer dans le jardin une autre solitude
Qui se rejoint à nous tout en s’en écartant.
Et la maison où vont parmi les nuits sonores
Les pas dont les paliers nous sont les carrefours.
Et qui passent du soir vers les chambres d’aurore
Où les lampes dans l’ombre ont rallumé le jour.
Leur silence soudain qui entr’ouvre une porte,
La porte qui se ferme avec un bruit d’adieu,
Où glisse doucement l’amour qui les escorte.
Où s’arrête un regret qui part, silencieux.
Et surtout, quand tout dort, les pas de l’insomnie
Frappant comme un appel triste sur les carreaux…
Rêve où passe la mort, songe ou passe la vie,
Les pas s’en vont, par n’importe où vers leurs tombeaux.