Anthologie de la littérature ukrainienne jusqu’au milieu du XIXe siècle/Le livre de la Genèse du peuple ukrainien

Nikolas Kostomarov :

Le livre de la Genèse du peuple ukrainien.
(Extrait.)

Ce pamphlet fut écrit, en 1846, par l’illustre historien de l’Ukraine dans un but de propagande pour la société secrète de Cyrille et de Méthode, dont il était membre ; mais la police empêcha alors qu’il ne se répandît dans les masses. Nous en donnons la seconde partie.

La grâce divine fut donnée à tous les peuples et d’abord à la race de Japhet, car celle de Sem avait refusé le Christ, par les Juifs, Et la grâce divine passa à la branche des Grecs, à celle des Romans, à celle des Germains et aux Slaves.

Or les Grecs, ayant reçu la grâce divine, la prostituèrent, car ils adoptèrent la foi nouvelle, mais ne dépouillèrent pas le vieil homme avec ses passions et ses lubricités ; ils conservèrent les empereurs, la noblesse, l’arrogance impériale et l’esclavage. Aussi le Seigneur les punit-il : pendant mille ans l’empire des Grecs alla en dépérissant, jusqu’à ce qu’il mourût tout-à-fait et tombât entre les mains des Turcs.

Les Romans — Italiens, Français, Espagnols — reçurent la grâce divine et ces nations commencèrent à prospérer, à acquérir une vie nouvelle et des lumières. Et le Seigneur les bénit, car ils avaient reçu la sainte foi mieux que les Grecs. Cependant ils n’avaient pas complètement dépouillé le vieil homme, avec ses passions et ses lubricités : ils gardèrent les rois et la noblesse et ils inventèrent un chef de la chrétienté : le Pape. Et ce pape s’imagina qu’il tenait le pouvoir sur tout le monde chrétien, que personne ne pouvait le juger et que tout ce qu’il pensait était bon.

Et les Germains — les nations allemandes — reçurent la grâce divine et commencèrent à prospérer, à acquérir une vie nouvelle et des lumières. Et le Seigneur les bénit, car ils avaient adopté la foi encore mieux que les Grecs et les Romans. Au milieu d’eux parut Luther, qui se mit à enseigner que les chrétiens devaient vivre comme ils avaient vécu avant que les rois et les grands se fussent emparés de la doctrine du Christ et l’eussent dénaturée, que le chef irresponsable de la chrétienté, le Pape, ne devait pas exister, car il n’y avait qu’un seul chef pour tous — le Christ. Mais les Allemands aussi ne dépouillèrent pas complètement le vieil homme, car ils gardèrent des rois et des seigneurs et les laissèrent gouverner l’église du Christ encore pis que ne l’avaient fait le pape et les évêques.

Et cette dernière imposture se montra pire que la première, car non seulement chez les Allemands, mais aussi dans les autres contrées les rois prirent le dessus et afin de maintenir les peuples dans l’esclavage, ils érigèrent des idoles, et, détournant les hommes du Christ, ils ordonnèrent de les adorer et de se battre pour elles.

Car, quelque idole que l’on adore, c’est la même chose : quoique les Français fussent baptisés, ils estimaient moins le Christ que l’honneur national — tel était le nom de leur idole. Les Anglais adorèrent le veau d’or, les autres nations eurent aussi leurs idoles et les rois et les seigneurs les envoyaient à la tuerie pour un lopin de terre, du tabac, du thé, du vin. Et le tabac, le thé et le vin devinrent chez eux des dieux, car il est dit : « Où est votre trésor, là est votre cœur. » Le cœur d’un chrétien est avec Jésus Christ et le cœur d’un idolâtre est avec son idole. Or, comme dit l’apôtre, ils avaient fait de leur ventre leur dieu.

Et les dissidents inventèrent un nouveau dieu, plus puissant que tous les déicules et ce dieu s’appela en français l’égoïsme ou l’intérêt.

Et les philosophes se mirent à crier sur tous les toits que c’était une ignominie de croire au Fils de Dieu, qu’il n’y avait ni enfer, ni paradis et que tout le monde devait adorer l’égoïsme ou intérêt.

Or c’étaient les rois et les seigneurs, qui avaient amené tout cela, la mesure de leurs iniquités était pleine à déverser ; le Seigneur justicier tourna contre la race adultère son glaive à deux tranchants, les Français se révoltèrent et dirent : « Nous ne voulons plus de rois, ni de seigneurs, nous voulons être libres et égaux. »

Mais cela ne pouvait être, car il n’y a de liberté que là où est l’Esprit de Dieu, et l’Esprit de Dieu avait déjà été chassé de France par les rois, les marquis et les philosophes.

Et les Français tuèrent leur roi, chassèrent leurs seigneurs et eux-mêmes se mirent à s’entretuer jusqu’à ce qu’ils tombassent dans un esclavage encore pire.

Car, par leur exemple, le Seigneur voulut montrer à tous les peuples qu’il n’y avait pas de liberté sans la foi.

Et depuis ce temps-là les races romanes et germaines sont dans le trouble, elles ont rétabli les rois et les seigneurs ; elles ne cessent de proclamer la liberté, mais la liberté n’habite pas chez elles, car il n’y a point de liberté sans foi.

Or les Slaves sont les derniers venus dans la famille de Japhet.

Il arrive que le plus jeune fils aime le mieux son père, et qu’il reçoive cependant une part moindre que celles de ses aînés, mais, plus tard, quand ceux-ci ont gaspillé leur héritage, tandis que le plus jeune a conservé le sien intact, il vient au secours de ses frères.

La race slave avant de recevoir la foi n’avait ni empereur, ni seigneurs, tous étaient égaux et chez eux il n’y avait point d’idoles, car les Slaves adoraient le Dieu unique et tout-puissant, avant même qu’ils le connussent — comme le dit des Slaves un historien grec.

Après que les aînés, les Grecs, les Romans et les Germains, eurent été éclairés, le Seigneur envoya chez leurs frères slaves puînés les deux frères Constantin et Méthode. Le Seigneur les couvrit de son esprit, ils traduisirent en langue slave les Saintes Écritures et décidèrent de célébrer le service divin dans la langue qui servait dans la vie courante, ce qui n’existait ni chez les Romans, ni chez les Germains, car on y célébrait le service divin en langue latine, de sorte que les premiers ne comprenaient que très peu et les seconds point du tout ce qu’on y disait.

Et bientôt les Slaves pratiquèrent la foi du Christ, comme aucun autre peuple ne l’avait pratiquée.

Cependant il y avait deux défauts chez les Slaves : d’abord qu’ils ne s’entendaient pas entre eux, ensuite que, comme c’est la coutume des frères plus jeunes, ils imitaient en tout, soit pour leur bien, soit pour leur mal, leurs aînés, sans s’apercevoir que ce qu’ils avaient était meilleur que ce qu’avaient leurs frères.

Et ils empruntèrent aux Germains les rois et les princes, les boïars et les seigneurs. Or les rois n’étaient auparavant chez eux que des fonctionnaires élus, aussi ne s’élevaient-ils pas orgueilleusement aux yeux du peuple, mais partageaient le repas de l’homme le plus simple et labouraient eux-mêmes la terre, mais plus tard ils prirent l’orgueil et les pompes, une garde et une cour.

Les Slaves n’avaient pas non plus de seigneurs, ils avaient des anciens : les plus avancés en âge, et qui avec cela étaient les plus sages, avaient de l’autorité dans les assemblées — or, plus tard, apparurent chez eux les seigneurs et les serfs.

Et l’Éternel punit la race slave plus encore que les autres races, car le Seigneur dit lui-même : « Plus on vous aura donné, plus vous aurez à répondre. » Et les Slaves devinrent les esclaves de l’étranger : les Tchèques et les Polabes des Allemands, les Serbes et les Bulgares des Grecs et des Turcs, les Moscovites des Tartares.

Et il sembla que la race slave elle aussi dépérissait, car les Slaves qui habitaient le long de l’Elbe et le littoral de la Mer Baltique périrent de façon qu’il n’en resta plus de traces.

Mais la colère de Dieu contre la race slave n’était pas encore à bout, car Dieu décréta que sur elle s’accomplirait ce qui est écrit : « La pierre qui a été laissée de côté dans la construction en deviendra la pierre angulaire. »

Les temps s’accomplirent et il parut dans les pays slaves trois royaumes indépendants : la Pologne, la Lithuanie et la Moscovie.

La Pologne était le royaume des Polonais et ces derniers criaient : « Chez nous aussi règnent la liberté et l’égalité. » Mais ils laissèrent établir le système seigneurial et le peuple polonais s’abêtit, car le bas peuple tomba dans l’esclavage le plus dur qui ait jamais existé et les seigneurs pendirent et assommèrent leurs serfs sans aucune ombre de justice.

La Moscovie était le royaume des Moscovites. Et il y avait chez eux une grande République de Novogorod, où tous étaient libres et égaux, quoiqu’ils eussent des seigneurs. Et Novogorod périt pour avoir accepté les seigneurs. Et le tzar de Moscou prit la haute main sur tous les Moscovites, n’y ayant réussi qu’en s’humiliant devant les Tartares et en baisant les pieds du Khan, un infidèle, pour qu’il l’aidât à maintenir dans un esclavage sans issue le peuple chrétien des Moscovites.

Et le peuple moscovite s’abêtit et tomba dans l’idolâtrie, car il mit son tzar à la place de Dieu et trouvait bon tout ce qu’il disait. Or le tzar Ivan pendit et noya les gens par dizaines de mille à Novogorod et cependant, les chroniqueurs, en racontant cela, l’appelaient adepte du Christ.

La Lithuanie était le royaume des Lithuaniens et l’Ukraine était comprise dans la Lithuanie. Et la Lithuanie s’unit à la Pologne.

Or l’Ukraine s’unit à la Pologne, comme une sœur s’unit à sa sœur, un peuple slave à un autre peuple slave, indivisiblement mais sans se mêler, à l’image des trois hypostases de Dieu, unies et distinctes, comme s’uniront dans l’avenir toutes les nations slaves entre elles.

L’Ukraine n’aimait ni le tzar, ni les seigneurs ; elle créa ses cosaques, c’est-à-dire une confrérie véritable, dans laquelle chacun des membres était frère des autres, qu’il eût été auparavant serf ou seigneur, pourvu qu’il fût chrétien. Et tous les cosaques étaient égaux entre eux ; les anciens étaient élus aux assemblées et ils devaient servir tout le monde, selon la parole du Christ. Et il n’y avait chez les cosaques ni titres, ni pompes seigneuriales.

Et ils se proposèrent de conserver la pureté chrétienne. C’est pourquoi le vieux chroniqueur dit en parlant des cosaques : « On n’entend pas parler chez eux de vol et de fornication. »

Or les cosaques prirent pour mission de défendre la sainte foi et de délivrer leur prochain de l’esclavage. C’est pourquoi l’hetman Svirhovsky alla défendre la Valachie et que les cosaques refusèrent la coupe remplie d’or qu’on leur offrait pour leurs services ; ils ne la prirent pas parce qu’ils versaient leur sang pour la foi et pour le prochain et qu’ils servaient Dieu et non pas des idoles d’or.

Et Sahaïdatchny alla à Kafa qu’il détruisit et où il délivra plus de dix mille captifs d’une prison souterraine perpétuelle.

Et il y eut beaucoup d’autres chevaliers qui firent de même, sans que leurs exploits aient été rapportés par aucun livre de ce monde, mais ils sont inscrits au ciel, car les prières de ceux qu’ils avaient délivrés de la captivité ont intercédé pour eux devant l’Éternel.

Aussi la classe des cosaques croissait-elle et se multipliait-elle de jour en jour, et, sous peu, tout aurait été cosaque en Ukraine, tous auraient été libres et égaux, l’Ukraine n’aurait eu pour la gouverner d’autre tzar, ni d’autre seigneur que Dieu lui-même. Et à l’exemple de l’Ukraine il en serait advenu de même à la Pologne et ensuite aux autres pays slaves.

Car l’Ukraine ne désirait pas marcher dans les traces des autres nations et suivait la loi de Dieu. Aussi tout étranger voyageant en Ukraine s’étonnait-il que dans aucun pays au monde on ne priât Dieu avec tant de ferveur, nulle part les maris n’aimaient tant leur femme et les enfants leurs parents. Et lorsque les seigneurs et les jésuites voulurent mettre de force l’Ukraine sous leur dominations et faire croire à des chrétiens ukrainiens que tout ce que le pape disait était vrai, alors apparurent en Ukraine des confréries, comme celles qui existaient chez les premiers chrétiens et tous, s’étant fait inscrire dans une de ces confréries, qu’ils fussent seigneurs ou paysans, se donnaient entre eux le nom de frère. C’est pour que les gens vissent que la vraie foi existait en Ukraine, que là il n’y avait point d’idoles et qu’il n’y surgissait pas d’hérésie.

Or les seigneurs virent que la classe cosaque s’accroissait et que sous peu il n’y aurait plus que des cosaques, c’est-à-dire, des hommes libres et ils s’empressèrent de défendre à leurs serfs qu’ils ne devinssent cosaques et ils voulurent abaisser le menu peuple au niveau de la bête, de façon qu’il n’eût plus ni sentiment, ni raison. Et ils se mirent à exploiter leurs serfs, les abandonnant aux juifs, les livrant à des supplices qui n’avaient eu de semblables que ceux des premiers chrétiens : ils les écorchaient vifs, faisaient cuire leurs enfants dans des marmites et mirent des chiens aux mamelles des mères pour qu’elles les allaitassent.

Et les seigneurs désiraient rendre le peuple aussi stupide que le bois ou la pierre ; ils ne lui permirent plus d’aller à l’église pour faire baptiser les enfants, se marier, communier ou enterrer les morts, afin que les gens du peuple perdissent tout visage humain.

On se mit aussi à opprimer les cosaques, à les faire disparaître, car une confrérie chrétienne de ce genre nuisait aux intérêts des seigneurs.

Mais il n’en fut point comme les seigneurs l’avaient pensé, car les cosaques se révoltèrent et les gens du peuple suivirent leur exemple. Ils battirent et chassèrent les seigneurs et l’Ukraine devint la terre libre des cosaques, car tous furent égaux et libres, mais pas pour longtemps.

Et l’Ukraine voulut de nouveau vivre fraternellement avec la Pologne, étroitement unies, mais distinctes — cependant la Pologne ne voulut renoncer en aucune manière à ses prétentions seigneuriales.

Alors l’Ukraine se rapprocha de la Moscovie et s’unit à elle, comme un peuple slave s’unit à un peuple slave, étroitement, mais sans se mêler, à l’image des trois hypostases de Dieu, unies et distinctes, comme s’uniront dans l’avenir toutes les nations slaves entre elles.

Mais l’Ukraine s’aperçut bientôt qu’elle était tombée dans l’esclavage, car, dans sa simplicité, elle n’avait pas remarqué ce qu’était le tzar moscovite ; or le tzar moscovite n’était pas autre chose qu’une idole et un tyran.

Et l’Ukraine se détourna de la Moscovie et la malheureuse ne savait plus sur quoi reposer sa tête.

Car elle aimait et les Polonais et les Moscovites comme des frères, elle ne désirait pas se brouiller avec eux, mais voulait qu’ils vécussent ensemble, qu’ils s’unissent comme un peuple slave s’unit à un autre peuple slave, que ces deux s’unissent à un troisième et qu’il y eût trois Républiques unies dans une seule alliance, étroitement mais sans se mêler, à l’image des trois hypostases de Dieu, unies et distinctes, comme dans l’avenir les nations slaves s’uniront entre elles.

Mais ni les Polonais, ni les Moscovites ne la comprirent. Et les seigneurs polonais et le tzar moscovite virent qu’il n’arriveraient à rien avec l’Ukraine et ils se dirent entre eux : que l’Ukraine ne soit ni à toi, ni à moi, déchirons-la par moitié, puisque le Dniéper la divise en deux ; que la rive gauche soit donnée en jouissance au tzar de Moscou et que la rive droite devienne la proie des seigneurs polonais.

Et l’Ukraine se défendit pendant cinquante ans et ce fut la guerre pour la liberté la plus sacrée et la plus glorieuse qu’il y ait dans l’histoire, comme aussi le partage de l’Ukraine fut la plus grande infamie que l’on puisse trouver dans l’histoire.

Et l’Ukraine s’était épuisée : les Polonais chassèrent les cosaques de la rive droite du Dniéper et les seigneurs régnèrent sur les malheureux restes d’un peuple libre.

Or, sur la rive gauche les cosaques se maintenaient encore, mais peu à peu ils tombèrent dans l’esclavage sans espoir du tzar moscovite, puis de l’empereur de Pétersbourg, car le dernier tzar de Moscou et premier empereur de Pétersbourg coucha des centaines de mille de cosaques dans des fossés et sur leurs os bâtit sa capitale.

Et la tzarine allemande Catherine, la notoire adultère, l’impie, la meurtrière de son mari, donna le dernier coup à l’organisation cosaque et à la liberté ; car, ayant choisi ceux qui étaient les anciens en Ukraine, elle leur distribua des titres et des terres, elle leur livra leurs frères libres comme esclaves, faisant des uns des seigneurs et des autres des serfs.

L’Ukraine succomba, mais ce n’était qu’en apparence. Elle n’avait pas péri ; car elle ne voulut reconnaître ni le tzar, ni les seigneurs et quoiqu’elle eût un tzar, il lui restait étranger, et quoiqu’elle eût des seigneurs, ils lui restèrent aussi étrangers. Bien que ces avortons eussent du sang ukrainien dans les veines, ils ne souillaient pas de leurs bouches odieuses la langue ukrainienne et ne se donnaient point pour Ukrainiens. C’est pourquoi un véritable Ukrainien, qu’il soit de basse origine ou d’origine seigneuriale, ne doit maintenant aimer ni le tzar, ni les seigneurs, mais il doit aimer et avoir présent à la pensée un Dieu unique, Jésus-Christ, Maître et Seigneur sur la terre et dans les cieux.

Ainsi en a-t-il été auparavant, ainsi en est-il encore.

Et le monde slave, quoiqu’il ait souffert et souffre encore dans l’esclavage, n’a pas inventé de lui-même cette servitude, car ni le tzar, ni les seigneurs n’ont été imaginés par l’esprit slave, mais par celui des Allemands ou des Tartares. Or, à présent, quoiqu’il y ait en Russie un tzar despote, il n’est cependant pas slave, mais allemand. C’est pourquoi ses fonctionnaires sont aussi des Allemands ; c’est pourquoi, quoiqu’il y ait en Russie des seigneurs, il se transforment bien vite en allemands ou en français. Et un véritable Slave n’aime ni le tzar, ni les seigneurs, mais il aime et a toujours présent à l’esprit un Dieu unique, Jésus-Christ, Maître et Seigneur sur la terre et dans les cieux.

Ainsi en a-t-il été auparavant, ainsi en est-il encore.

L’Ukraine gît dans sa tombe, mais elle n’est point morte, car sa voix, cette voix appelant tous les Slaves à la liberté et à la fraternité, a retenti dans tout le monde slave. Elle retentit cette voix de l’Ukraine, en Pologne, lorsque, le 3 Mai, les Polonais décidèrent qu’il n’y aurait plus de seigneurs et que tous seraient égaux dans la République ; c’est ce que l’Ukraine avait voulu 120 ans auparavant.

Or on ne laissa pas la Pologne réaliser son vœu : on la déchira, comme on avait autrefois déchiré l’Ukraine.

Et il le fallait bien, puisqu’elle n’avait pas écouté la voix de l’Ukraine, et qu’elle avait perdu sa sœur.

Mais la Pologne n’a pas péri, car l’Ukraine la réveillera, l’Ukraine qui ne se souvient pas du mal qu’on lui a fait et qui aime sa sœur, comme si rien ne s’était passé entre elles.

Et la voix de l’Ukraine a retenti en Moscovie, lorsque après la mort du tzar Alexandre, les Russes voulurent chasser le tzar et les seigneurs, fonder la République et unir tous les Slaves, à l’image des trois hypostases de Dieu, unies et distinctes ; c’est ce que l’Ukraine avait voulu 200 ans auparavant.

Mais le despote ne le souffrit pas : les uns rendirent l’âme sur le gibet, d’autres furent tourmentés à mort dans les mines, enfin d’autres furent envoyés à la boucherie chez les Tcherkesses.

Et le bourreau despote continue à régner sur les trois peuples slaves, il gouverne par des Allemands, il avilit, déforme et pervertit la bonne nature slave ; et il n’y a rien à faire.

Car la voix de l’Ukraine ne s’est pas éteinte.

Et l’Ukraine se lèvera de son tombeau, de nouveau elle appellera ses frères slaves, sa voix se fera entendre, le monde slave se soulèvera et il ne restera plus ni tzar, ni tzarévitch, ni tzarevna, ni prince, ni comte, ni duc, ni altesse, ni excellence, ni seigneur, ni boïard, ni serf, ni esclave — tout aussi bien en Moscovie, qu’en Pologne, en Ukraine, en Bohème, en Carinthie, en Serbie, ou en Bulgarie.

Et l’Ukraine deviendra une République indépendante dans la fédération slave.

Alors tous les peuples, montrant du doigt sur la carte l’endroit où l’Ukraine sera peinte, diront : « Voilà la pierre que le constructeur avait négligée, c’est elle qui est devenue la pierre angulaire de la construction. »