Anthologie (Pierre de Coubertin)/V/XIII

Anthologie (Pierre de Coubertin)/V
AnthologieÉditions Paul Roubaud (p. 179-181).

confiance !

Les fêtes organisées en Suisse l’été de 1932 par les soins principalement de MM. le colonel Bauer, le Dr Messerli et W. Hirschy, pour honorer la soixante-dixième année de l’auteur, se sont déroulées à Berne, à l’Ambassade de France et à la Légation de Grèce, en présence des autorités fédérales et cantonales et à Lausanne à l’Aula de l’Université où des discours furent prononcés par MM. le conseiller d’État Perret, le recteur Arnold Reymond, le comte de Baillet-Latour et W. Hirschy. L’Union Chorale y prêtait son concours. Le soir un dîner fut offert à Ouchy au Beau-Rivage Palace par le Conseil d’État Vaudois et la Municipalité de Lausanne. La veille un dîner avait été donné au Club International à Genève sous la présidence du comte Albert Apponyi. Au cours de ces diverses cérémonies furent offertes à M. de Coubertin, parmi d’autres objets une médaille en or frappée à Lausanne à son effigie et une couronne de lauriers en argent ciselé don des sociétés athéniennes. Des télégrammes, reçus de Stockholm, d’Amsterdam, d’Helsingfors, de Berlin, de Vienne, de Zagreb, de Bukarest, de Prague, d’Athènes, de Tokio, de Shanghaï, de Lisbonne, de New-York, de Los Angeles, de Barcelone et de Sao Paulo, avaient associé les autorités, les Comités olympiques et les Associations de ces différents pays à la manifestation.

C’est à cette occasion que furent prononcées, à l’Aula de l’Université de Lausanne, les paroles suivantes par lesquelles se termine ce recueil de « Pages choisies ».


Le cadre où se tient notre assemblée éveille en moi de lointains et puissants souvenirs. C’est ici qu’il y a dix-neuf ans, un Congrès international fonda la psychologie sportive. C’est dans la salle voisine de celle-ci que, cinq ans et demi plus tard, comme on sortait de la terrible guerre, j’osai, à l’occasion de son cinquantenaire négligé, exposer en six leçons l’œuvre de la République française (1870-1920), à laquelle était encore injustement refusé ailleurs l’accès des galeries de l’histoire. C’est ici également que pour la première fois, j’ai communiqué au public les principes réformateurs des enseignements secondaire et post-scolaire, tels que nous avions été amenés à les poser, mes collaborateurs et moi, et tels qu’ils sont synthétisés sur cette affiche qu’on a eu la délicate attention de placer derrière moi, en pendant avec la Charte de la réforme sportive. Tout cela s’est fait sous les auspices de trois recteurs amis, MM. de Felice, Lugeon et Chavan, dont je ne saurais oublier de citer les noms, en même temps que celui de M. le recteur Arnold Reymond, auquel m’attachent les liens de la plus vive sympathie admirative.

Mais ce que j’évoque là, c’est du passé. La jeunesse aime qu’on lui parle d’avenir, et comme elle a raison ! Il n’y faut point manquer, si l’on a la chance de s’adresser à elle. D’autant que les voix qui sortent du crépuscule, que ce soit celui de l’âge ou celui de la douleur, ont droit d’être doublement entendues lorsqu’elles parlent de confiance. Et c’est là précisément le mot que je veux prononcer.

Un petit poème anglais peu connu, inspiré par un passage de Gœthe, contient à peu près en ces termes un conseil à recueillir : « Tenez-vous bien en selle, garçons, et foncez hardiment à travers le nuage ! » ; le nuage c’est donc une obscurité transitoire et de l’autre côté, on reverra le soleil et l’azur. Il faut y croire. Certes la nuée qui va se lever sur votre route, mes chers jeunes, est singulièrement opaque, âpre, redoutable… Loin de moi d’en méconnaître les inquiétants contours et même les dangers trop réels. Mais n’importe, foncez à travers la nuée et vous retrouverez au delà la vie claire et fraîche. Courage, donc, et espérance ! Courage indomptable, espérance tenace.

Pour vous soutenir et vous guider, qu’une triple volonté demeure en vous : la volonté de la joie physique que procure l’effort musculaire intensif, excessif même et violent — puis la volonté de l’altruisme franc, complet, continu… car, sachez-le bien, la société prochaine sera altruiste ou elle ne sera pas : il faudra choisir entre cela et le chaos ; — enfin, la volonté de compréhension des ensembles. Levez vos regards, menacés de myopie par l’esclavage du spécialisme : ne craignez pas de devenir presbytes. Dirigez-les vers les sommets de la nature et de l’histoire. C’est de ces sommets que découlent pour l’homme la puissance et l’action.

Tels sont mes vœux pour tous, pour cette ville préférée, pour les générations qui se lèvent, pour tous ceux qui, répondant à notre appel, ont demandé au sport de bronzer à la fois leurs muscles et leur vouloir, pour les nations au foyer desquelles j’ai trouvé le long de mon existence un accueil favorable, pour les cités lumineuses et pour celles qui sont encore enténébrées.

« Tenez-vous bien en selle, garçons, et foncez hardiment à travers le nuage. »