Annuaire encyclopédique/1862/Économie politique




Économie politique
1862


ÉCONOMIE POLITIQUE. L’année n’a pas été favorable à la science économique. Nous n’avons a signaler qu’un petit nombre d’ouvrages nouveaux, et encore les deux plus importants d’entre eux : les Principes de la science sociale de Carey et le Dictionnaire du commerce et de la navigation, publiés par la librairie Guillaumin, et achevés dans la période dont nous avons à nous occuper, avaient-ils été commencés bien antérieurement.

Nous avons rendu compte dans l’Annuaire de 1859-60 du premier volume du Dictionnaire du commerce et de la navigation ; le second a été terminé à la fin de 1861 et a tenu toutes les promesses du premier. L’étendue de ce volume a de beaucoup dépassé les prévisions des éditeurs. Au lieu de 90 feuilles, comme son aîné, il est arrivé au chiffre énorme de 115 feuilles, et il est facile de se faire une idée de la masse de renseignements de toute sorte contenus dans ces 3,680 colonnes. D’ailleurs, on ne peut que féliciter les éditeurs de ne pas s’être renfermes dans des limites trop étroites en mutilant leurs articles ou en sacrifiant une partie de leur sujet L’achèvement de cette grande publication ayant exige plusieurs années, on pouvait craindre que certaines indications relatives aux articles des premières livraisons ne fussent devenues inexactes, notamment pour ce qui regarde les droits de douane, modifiés constamment par la législation et les traités. On a remédié a cet inconvénient par un supplément place à la fin du second volume et qui contient le tableau complet de tous les droits de douane en vigueur au moment de la publication.

Le troisième volume des Principes de la science sociale de M. Carey a complété la traduction de cet ouvrage important qui forme l’exposé détaillé des doctrines de l’illustre économiste américain. Au premier abord on pourrait s’effrayer de ces trois gros volumes qui s’annoncent comme contenant la théorie non-seulement des lois économiques, mais de tous les phénomènes sociaux, et de la loi identique qui, suivant l’auteur, régit la mature quand elle revêt la forme d’argile et de sable aussi bien que lorsqu’elle prend la forme de l’homme et des sociétés humaines. Mais on se rassure bientôt en voyant qu’en somme on n’y traite que des questions d’économie politique, et que si l’ouvrage a tant d’étendue, c’est, d’une part, parce qu’il reproduit souvent les mêmes idées sous des formes différentes, et que,d’autre part, il contient une foule d’observations et de citations sur la situation économique, la statistique, l’industrie, l’agriculture et le commerce de tous les peuples et de tous les temps. Ces renseignements sont très-utiles sans doute, notamment quand ils sont tires de sources authentiques ou qu’ils proviennent d’observations personnelles comme celles que l’auteur a pu donner sur le développement économique des diverses contrées de l’Amérique du Nord ; malheureusement, M. Carey n’a pas toujours mis assez de choix dans ses citations, et on ne trouverait pas, par exemple, dans son livre des notions aussi erronées sur certaines parties de la législation française, s’il avait étudie cette législation dans nos recueils de codes au lieu d’emprunter ses renseignements a des touristes anglais ou américains. Le système de M. Carey n’ayant été expose dans son ensemble que dans cet ouvrage, nous croyons devoir en donner ici un aperçu rapide.

Nous ne rappellerons que pour mémoire la loi générale, applicable an monde matériel et au monde humain que M. Carey place en tête de son système, parce qu’il y attache lui-même beaucoup d’importance. Mais, de son l’édifice qu’après coup, et ses idées sur le développement social étaient tout à fait arrêtées, quand il découvrit cette prétendue analogie qui d’ailleurs n’est pas neuve et qui ne saurait tenir devant un examen sérieux. Voici cette loi : « Toute matière est soumise à l’action des forces centripètes et centrifuges, les uns concluant à la production de centres locaux ; les autres a la destruction de ces centres et à la production de masses centrales, L’harmonie du monde matériel résulte de l’équilibre de ces forces. En outre, la mature est soumise à l’action des forces chimiques, en vertu desquelles les a tomes se combinent les uns avec les autres et la tendance a cette combinaison est en raison directe de l’individualisation plus parfaite des particules obtenues. La quantité de la matière existante étant toujours la même, c’est par le mouvement que s’exerce sa puissance, et plus il y a vitesse du mouvement, plus grande est la tendance de la matière a s’élever dans l’échelle des êtres. Les mêmes lois régissent la société humaine. La tendance, a l’association répond à la gravitation de la matière ; cette tendance produit des centres généraux et locaux ; mais plus l’individualité est développée dans ces centres, plus il y a diversité dans les aptitudes des hommes qui les composent, et plus aussi il y a de combinaisons sociales, d’activité, de mouvement, de responsabilité, de progression voit combien l’analogie établie par M. Carey est forcée. Les mots de liberty, de responsabilité et de progrès dont il se sert si souvent auraient du suffire pour lui faire comprendre l’immense distance qui sépare le monde physique du monde moral.

Le système économique de M. Carey se résume en quatre idées principales : la valeur est égale au prix de reproduction ; les mauvaises terres sont occupées et cultivées avant les bonnes ; l’accumulation de la population dans des centres locaux très-nombreux est la condition la plus favorable au travail et à la prospérité générale ; le commerce à grandes distances et qui exige de couteux transports est une cause de décadence et de ruine. Ces principes reparaissent dans toutes les parties de l’ouvrage où sont traitées d’ailleurs, assez confusément, toutes les matières de l’économie politique. Ils sont peu liés entre eux, sauf les deux derniers, et l’on voit que ce sont des résultats auxquels l’auteur est arrivé successivement et séparément

C’est par sa théorie de la valeur, en effet, que M. Carey a débuté, et il revendique la priorité sur les idées analogues de Bastiat. M. Carey admet que la valeur d’un produit est en raison du travail exige pour le reproduire, et que, par conséquent, la valeur baisse constamment à mesure que le travail humain, aide d’instruments plus parfaits, acquiert plus de puissance et devient plus productif. Cette formule ne diffère que par une faible nuance du principe posé par Adam Smith : que le prix naturel d’un produit équivaut au travail qu’il coute, et si M. Carey n’entendait l’appliquer qu’aux objets industriels que l’homme peut produire à volonté, elle ne serait pas bien nouvelle. Mais il l’applique même à la terre et prétend que le prix du sol est lui-même en proportion du travail qu’il a fallu pour le produire, c’est-à-dire pour le mettre en état de culture. L’argument dont il se sert pour prouver cette thèse est des plus singuliers. Prenant pour base de la valeur du sol de l’Angleterre le produit annuel capitalise a 5%. Il l’estime à 6 milliards de francs, valeur du travail de 24 millions d’ouvriers pendant une année, le travail de chaque ouvrier coûtant 50 liv. sterl. par an. Il prouve facilement que ce travail serait insuffisant pour faire de la Grande-Bretagne du temps de César, ce qu’elle est aujourd’hui avec ses terrains desséchés, enclos, draines ; ses routes et ses chemins de fer, ses mines de houille, de fer, de cuivre ; les innombrables constructions qui le recouvrent. M. Carey ajoute que la valeur du sol anglais est donc inférieure au prix même de reproduction. Mais cette observation suffirait a elle seule pour prouver que ce prix ne saurait être la base de la valeur des terres. Oui certainement, elle est inférieure à ce prix, en vertu de cette loi bienfaisante qui fait que les capitaux s’amortissent successivement et que les générations venues les dernières jouissent gratuitement des travaux accumulés par les générations antérieures. Une bien faible partie des capitaux anciennement produits ont conserve leur valeur ; tous les autres ne possèdent que celle qu’ils ont acquise pendant les deux ou trois générations qui nous ont précédés. Pour les terres avant tout, c’est leur revenu actuel qui en détermine le prix en comparaison des autres terres, et c’est le monopole résultant de leur nature même qui en constitue la valeur relativement aux autres capitaux. Le raisonnement de M. Carey n’a ébranlé en rien ce fait incontestable.

Il en est de même de sa théorie sur l’occupation successive des terres. Il fait voir par de nombreux exemples historiques, dont plusieurs cependant sont très-contestables, que dans les temps anciens et modernes les colons qui venaient mettre en culture des territoires nouveaux, occupaient d’abord les terres les plus légères, les plus faciles a travailler, situées sur les plateaux et le flanc des collines et qu’ils ne descendaient que plus tard dans les vallées, beaucoup plus fertiles, mais couvertes de forêts qu’il fallait défricher et dont les terrains gras et humides exigeaient un travail et des instruments perfectionnés. Nous admettons volontiers la justesse de cette hypothèse historique, et en effet elle est très-vraisemblable. Mais elle ne prouve rien contre la théorie de Ricardo, à laquelle on prétend l’opposer et n’empêche pas le prix des terres d’être en proportion de leur produit net, c’est-à-dire de la rente plus ou moins considérable qu’elles laissent, le travail nécessaire pour les cultiver étant remboursé. M. Carey a eu le tort d’attacher un sens absolu aux mots bonnes et mauvaises terres, tandis qu’ils n’ont qu’une signification purement relative. Pour les colons primitifs les terres que nous considérons comme les meilleures aujourd’hui étaient les plus mauvaises, car avec les moyens dont ils disposaient, c’étaient celles qui rendaient le moins de produit à travail égal.

Nous sommes mieux d’accord avec lui quand il combat le système de Malthus et qu’il insiste, sur les avantages que présence une population assez dense, répartie dans un assez grand nombre de centres locaux. La terre ne donne rien, dit M. Carey, elle ne fait que prêter, et tous les aliments qu’elle fournit pour la nourriture de l’homme et des animaux doivent lui être restitués comme engrais. Or, quand dans une localité il y a diversité de travaux, quand le charpentier, le forgeron, le maçon, le fileur, le tisserand, les industriels de toute sorte se trouvent à côté de l’agriculteur et échangent chaque jour leurs produits avec les siens, le producteur et le consommateur se trouvent en présence ; un mouvement rapide a lieu parmi les produits du travail avec un accroissement constant-dans la puissance de rembourser à la terre, notre mère, les prêts qu’elle nous faits et d’établir auprès d’elle un crédit pour des prêts future plus considérables. La concentration des hommes dans des communautés dispersées sur tout le sol forme donc la condition essentielle de la prospérité sociale, tandis que la centralisation qui dépeuple les campagnes pour accumuler les hommes dans de grandes capitales est une cause de décadence pour les sociétés. L’auteur approuve beaucoup le système social de la France qui, par la division égale des héritages, retient la population dans les campagnes. La France, du reste, est un pays d’anomalies, car son système social tend à la décentralisation, tandis que son système politique est centralisateur par excellence. Les États-Unis d’Amérique présentent l’anomalie directement contraire. L’auteur ne croit pas d’ailleurs que la concentration locale puisse conclure à l’excès de population qui est le fléau de l’industrie centralisée. L’homme raisonnable et aisé trouve assez de freins en lui-même sans qu’il soit besoin de recourir aux obstacles de Malthus.

C’est à cette théorie de la concentration que se rattachent également les idées de M. Carey sur le commerce et le trafic. Ces deux mots expriment pour lui des choses bien différentes. Le véritable commerce est l’échange qui s’opère sur les lieux mêmes de la production entre les producteurs. C’est ce commerce seul qui donne une vive impulsion au travail, qui permet d’utiliser toutes les forces de la nature. Grâce à lui, une circulation incessante s’établit dans la société, toute matière sert à des transformations nouvelles, le prix des matières premières s’élève, tandis que celui des produits s’abaisse ; la valeur de l’homme et de la terre est en progression constante. Le trafic, au contraire, c’est-à-dire le commerce à distance, grève les produits de tous les frais de transport ; il appauvrit les producteurs de matières premières, en centralisant le travail dans les grandes villes industrielles et n’enrichit que les intermédiaires, c’est-à-dire les trafiquants. C’est le système anglais que l’auteur flétrit énergiquement chaque fois qu’il en trouve l’occasion. Ce sont ces considérations sans doute, et l’observation de ce qui s’est produit en Amérique sous les divers régimes douaniers auxquels les États-Unis ont été soumis depuis 1817, qui ont déterminé M. Carey à abandonner les principes de libre change qu’il avait professes d’abord et à recommander à sa patrie l’adoption d’un système protecteur. Tel est le résumé des idées de M. Carey. Si elles ne sont pas toutes également justes, elles dénotent certainement un esprit original, et l’on ne saurait contester qu’il a enrichi la science d’aperçus nouveaux.

L’œuvre la plus importante de l’année après celles dont nous venons de parler est le Précis de la science économique et de ses principales applications, par M. Cherbuliez. 1862, 2 vol. in-8o. M. Cherbuliez est connu depuis longtemps pour être un grand adversaire de toute espèce de socialisme et un disciple orthodoxe d’Adam Smith, de Ricardo et de Malthus. Son livre ne pouvait donc guère être qu’un exposé nouveau des principes connus depuis longtemps par la plupart des économistes. Il a porté dans cet exposé les qualités de son esprit clair, froid et méthodique ; son ouvrage se divise en deux parties : la première intitulée Science économique, comprend dans trois livres consacrés à la production, à la circulation et à la distribution de la richesse, le résume de toutes les questions théoriques que soulève la science ; dans la seconde partie, législation économique ou économie politique appliquée, l’auteur traite, sous des divisions analogues les principales questions pratiques, telles que celles des monopoles, des brevets d’invention, de l’instruction professionelle, des caisses d’épargne, de la législation douanière, de l’assistance, des impôts.— L’ouvrage de M. Proudhon sur l’Impôt 1862, présente les qualités et les défauts ordinaires des travaux sortis de la plume de cet écrivain ; un style tantôt lourd et obscur, tantôt pétillant et passionné ; les rapprochements les plus Granges, les paradoxes les plus singuliers à côté d’observations justes, d’aperçus lucides ; en somme, l’auteur, après avoir fait passer tous les impôts possibles par le crible de sa dialectique hégélienne, conclut a la conservation des impôts existants. — M, Joseph Garnier a donné une seconde édition de son excellent Traité des finances (1862, in-18), ce manuel lucide et commode qui met à la portée de chacun toutes les notions utiles sur l’impôt, l’administration financière, les emprunts publics, etc. Cette édition a été beaucoup augmentée et enrichie particulièrement de notes très-intéressantes. — M. Wohlkoff, connu par ses théories un peu obscures sur la rente foncière et la propriété et ses tentatives pour vulgariser chez nous les doctrines de l’économiste allemand Thunen, a exposé de nouveau ses idées dans ses Lectures d’Économie politique nationale (1861, in-18). —Dans un travail facile, mais qui ne contient rien de neuf, les Crises et le Crédit (1862, in-8 ), M. A. Rey a plaidé la cause de la liberté des banques et a demandé l’établissement de banques d’escompte et de banques de dépôt. — M. Legoyt a publié un excellent volume sous ce titre : L’émigration européenne avec un appendice sur l’émigration africaine, indoue, chinoise. Cet ouvrage, couronné par la Société de statistique de Marseille, est un exposé complet de l’histoire de l’émigration européenne et des principales questions qui s’y rattachent. On trouvera à l’article Émigration un aperçu sur cet important travail. — Il nous reste en fin à citer trois ouvrages d’économie politique appliquée : la 2e édition de l’ouvrage publié par M. H. Bacqués, sous le titre : les Douanes françaises, essai historique (1862, in-18) ; les Études d’économie forestière de M. Jules Clavé (1862, in-18), et enfin un nouveau volume de la collection de monographies que publie la Société d’Économie sociale fondée en 1856 par M. Le Play. Cette collection, intitulée les Ouvriers des deux mondes fait suite aux Ouvriers européens de M. Le Play ; elle en est arrivée à son troisième volume et contient jusqu’ici la description de 28 types d’ouvriers appartenant aux différentes contrées du globe.

L’étranger n’a pas été plus fécond que la France en ouvrages d’économie politique. Nous n’avons à mentionner qu’un travail de M. Roessler, sur la question des salaires (Zur Kritik der Lehrevom Arbeits Lohn (Erl. 1861, in-8o) où l’auteur cherche à réfuter surtout les doctrines communistes ; la première livraison d’un écrit périodique intitulé : Concordia (Leips., 1861), dans lequel M. Huber se propose d’examiner les principales questions d’économie politique ; cette première livraison est consacrée aux associations industrielles et commerciales ; enfin un recueil d’articles publiés par M. Roscher dans divers écrits périodiques et réunis sous le titre de Ansichten der Volkswirthschaft aus dem geschichtlichen Standpunkt (Leips., 1861, in-8.) Les sept articles contenus en ce volume sont consacrés principalement à des sujets historiques, tels que : l’agriculture des anciens Germains, les développements de l’industrie, la portée économique des machines, etc.

Les ouvrages périodiques et les journaux ont suivi leurs cours habituel. MM. Block et Guillaumin, ont donné le 18e volume de leur Annuaire d’Économie politique et de statistique : M. Horn le 3e de son Annuaire international de crédit public ; le Journal des économistes a publié divers articles intéressants, parmi lesquels nous citerons notamment : la suite des Études sur le système des impôts de M. De Parieu, les Rapports faits par M. Louis Reybaud à l’Académie des sciences morales et politiques sur la Condition morale, intellectuelle et matérielle des ouvriers qui vivent de l’industrie du coton ; les travaux ayant pour objet : l’influence des droits de douane et de la concurrence étrangère sur les prix et la consommation, par M. Maurice Block ; les nouvelles tendances imprimées aux grandes administrations municipales de la France, par M. Ambroise Clément ; une Réforme sociale en Angleterre : l’extinction de la dime et des droits seigneuriaux, par M. Henri Doniol. — La science économique s’est enrichie en outre d’un nouveau recueil périodique, format in-4o, paraissant le 10 et le 25 de chaque mois sous le titre l'Économiste français, et publie sous la direction de M. Jules Duval. Ce nouveau journal a pris pour devise la formule : Libre et harmonique essor des forces, qui en indique parfaitement l'esprit. Le publiciste distingué qui le dirige a compris le rôle essentiel réservé à la colonisation dans les sociétés modernes ; aussi son recueil est-il divisé en deux parties : une partie générale, comprenant la revue des faits, des lois et des doctrines économiques et dans laquelle nous signalerons des Études sur le budget de la France de M. Hyppolyte Destrem, et un article sur la Propriété littéraire et artistique de M. Jules Duval ; et une seconde partie, la plus considérable, consacrée exclusivement aux colonies, qui non-seulement comprend une chronique détaillée du monde colonial, mais traite toutes les questions coloniales et algériennes avec le talent et le savoir qu’on pouvait attendre du directeur de la Revue, dont les études spéciales sur les colonies sont bien connues du monde économiste. Il faut signaler encore un recueil d’une grande importance, qui se détache, il est vrai, par son but, de l'économie proprement dite , mais qui s’en rapproche sans cesse et souvent se confond avec elle ; c’est le Journal de la Société de statistique de Paris, organe d’une compagnie savante, qui s’est formée en 1860 sous la présidence de MM. Villermé et Michel Chevalier, et avec le concours de MM. Wolowski, de Lavergne, V. Foucher, de Fontette, Legoyt, Lehir. M. Legoyt, qui en est le secrétaire perpétuel, a donné à ce recueil des articles d’un grand intérêt sur le régime financier de l’Angleterre, sur la situation économique de ce pays, etc. ; le Dr Boudin y a traité des races humaines, de leur acclimatement et de leur mortalité dans les pays chauds ; M. de Malarce a traité la question de la moralité comparée d’après la criminalité ; M. le professeur Wappæus celle de la fécondité et de la mortalité des populations européennes. Nous y trouvons encore, parmi d’autres travaux remarquables, une étude de M. Guillard sur les lois de la vie et de la mort, portant le titre de Démographie.

La Société d’Économie politique a discuté diverses questions de principe et de pratique, dont deux surtout ont donne lieu à des débats intéressants. La première était relative au retour de la monnaie d’argent dans la circulation. M. Horn avait publie dans le numéro de juillet du Journal des économistes un article ou il cherchait à prouver que le rapport entre l’or et l’argent tendait à se modifier ; que l’or n’affluait plus avec la même abondance en Europe ; que l’argent, au contraire, y arrivait en plus grande quantité et s’écoutait moins rapidement que dans la période de 1850 à 1857 ; qu’un revirement semblait donc se préparer, et que l’argent reprendrait peut-être une partie de son ancien r&le dans la circulation. Ces prévisions étaient confirmées dans le moment même par les faits, car le 3 juillet 1861 la Banque de France ouvrait ses caisses, et le public voyait reparaitre avec profusion les pièces de cinq francs. Cependant, les conclusions de M. Horn furent contestées dans la Société d’Économie politique. M. Andre Cochut exprima l’opinion que le retour des pièces de cinq francs n’était qu’un phénomène accidentel et transitoire, dû à une opération de la Banque. L’argent étant revenu à peu près au prix de l’or, la Banque de France a profité de cette occasion pour transformer son encaisse. Ledebat pouvait porter seulement sur les causes qui avaient ramené l’argent au pair, Suivant M. Cochut elles étaient tout accidentelles et provenaient principalement des payements imposes aux Chinois et aux Marocains comme contributions de guerre, d’un envoi extraordinaire d’argent du Mexique, de la suspension des envois d’or de la Californie par suite de la guerre d’Amérique, d’expéditions d’or aux États-Unis en échange de colon, et de la mesure beige qui a rendu le cours légal aux pièces de 20 fr. françaises. Les chiffres d’importation et d’exportation des métaux précieux, cites par M. Horn, semblaient prouver au contraire que le nouveau rapport entre l’or et l’argent provenait de causes plus générales. L’avenir pourra seul résoudre ce problème.

La seconde question était posée ainsi : Les corporations doivent-elles avoir le droit de propriété ? Nous avons été heureux de voir que sur ce point la plupart des économistes ont été fidèles à leurs principes, et, qu’admettant la liberté et le droit de l’individu d’user de sa propriété comme il l’entend, ils lui accordent aussi le droit de la mettre en commun, s’il le juge convenable. M. Garbe, M. Horn, M. Joseph Garnier ont parie dans ce ce sens. C’est en effet la crainte qu’inspirent à beaucoup de personnes les associations religieuses et les richesses qu’elles pourraient acqu6rir, qui seule peut faire pencher vers la solution contraire ; et certainement tout préjugé anti-religieux à part, il ne serait pas avantageux au point de vue économique que des associations religieuses ou de bienfaisance immobilisassent entre leurs mains une grande partie de la propriété foncière. Aussi admettrions-nous volontiers une solution moyenne analogue à celle qu’a proposée M. Clamageran. Ce publiciste demande qu’on ne reconnaisse aux associations que la propriété des biens meubles et immeubles nécessaires à l’accomplissement de leur œuvre et appropriés à cette destination, par exemple, s’il s’agit d’une corporation religieuse les lieux de culte et leurs accessoires, et qu’on leur interdise déposséder aucuns biens meubles ou immeubles susceptibles de produire des revenus perpétuels. Nous irions même plus loin et ne soumettrions à aucune restriction légale leur propriété mobilière, que la loi parvient difficilement d’ailleurs & saisir. Mais quant à la propriété immobilière nous pensons que tous les intérêts seraient sauvegardes par un arrangement pareil à celui que propose M. Clamageran.

Le congrès des économistes allemands s’est tenu a Stuttgard le 9 septembre et les jours suivants. Les discussions qui y ont eu lieu ont présenté peu d’intérêt général. Le seul fait remarquable, c’est que dans deux votes du congrès, habituellement libre-échangiste, les protectionnistes ont eu la majorité. A. Ott.