Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 14/Optique, article 2

OPTIQUE.

Recherche analitique des propriétés les plus générales
des faisceaux lumineux directs, réfléchis et réfractés ;

Par M. Gergonne.
≈≈≈≈≈≈≈≈≈

Malus, dans le XIVe cahier du Journal de l’école polytechnique, et postérieurement dans son Mémoire sur la double réfraction, a remarqué le premier que, à quelque loi mathématique que les rayons de lumière d’un même faisceau soient assujettis, ces rayons se distribuent, généralement parlant, en deux séries continues de surfaces développables, dont ils sont, à la fois, les élémens rectilignes et les intersections, de manière que ces rayons sont tous tangens, soit à deux surfaces distinctes soit à deux nappes d’une même surface, lieu des arêtes de rebroussement des surfaces développables des deux séries. Il a démontré de plus que, suivant que les surfaces développables de chaque série coupent ou non orthogonalement les surfaces développables de l’autre série, les rayons dont le faisceau se compose peuvent ou non être traversés orthogonalement par une même surface courbe.

Malus a reconnu en outre, que, si des rayons incidens étaient émanés d’un point fixe, ou parallèles à une droite fixe, ces rayons, après avoir été réfléchis ou réfractés, suivant les lois de l’optique, à la rencontre d’une surface mathématique quelconque, pouvaient être traversés orthogonalement par une même surface courbe ; mais il ne pensait pas qu’en général il pût en être encore de même pour ces mêmes rayons, après avoir été réfléchis ou réfractés de nouveau, à la rencontre d’une seconde surface courbe.

Dans un ouvrage recommandable d’ailleurs à beaucoup d’autres titres[1], M. Dupin, en traitant de la théorie des déblais et remblais, que le principe de la moindre action rattache à celle des mouvemens de la lumière, a reconnu que le principe de Malus était trop restreint, et que, pour que des rayons réfléchis ou réfractés pussent être traversés orthogonalement par une même surface courbe, il suffisait simplement que les rayons incidens offrissent la même possibilité ; d’où il a conclu ce beau théorème, savoir, que des rayons susceptibles d’être traversés orthogonalement par une même surface courbe, conservent constamment cette propriété, après avoir subi un nombre quelconque de réflexions et de réfractions, à la rencontre de quelques surfaces mathématiques que ce puisse être.

En cherchant à nous démontrer à nous-mêmes le théorème de M. Dupin, nous en avons rencontré un autre, lequel consiste en ce que, pour des rayons incidens susceptibles d’être traversés orthogonalement par une même surface, l’effet de tant de réflexions et de réfractions qu’on voudra peut toujours être remplacé soit par une réflexion soit par une réfraction unique.

C’est principalement à établir cette dernière proposition et à en développer les conséquences les plus importantes que nous destinons ce qu’on va lire ; mais, afin d’épargner au lecteur la peine de chercher autre part la démonstration des principes sur lesquels nous aurons besoin de nous appuyer, et de lui offrir un ensemble qui se soutienne de lui-même, nous démontrerons d’abord les théorèmes de Malus et ceux de M. Dupin. Ce soin nous paraît d’autant plus convenable que, d’une part, comme le remarque M. Dupin, les calculs de Malus, assez compliqués d’ailleurs, doivent être entachés de quelque erreur ; que d’un autre, M. Dupin n’a donné de démonstration directe de son théorème que pour le cas de la réflexion seulement, et qu’il se trouve même dans cette démonstration une assertion tout au moins hasardée.

Pour éviter une trop grande multiplicité d’accens, nous emploîrons constamment les majuscules comme symboles des coordonnées courantes, lesquelles seront toujours rectangulaires ; les diverses surfaces que nous aurons à considérer auront respectivement leurs coordonnées représentées par et les différentielles partielles successives des fonctions des variables indépendantes seront représentées suivant l’usage par Nous aurons soin d’ailleurs, à mesure que nous avancerons, d’éclairer l’usage de nos formules générales, en les appliquant à des cas particuliers.

§. I.
Manière d’exprimer des faisceaux de droites dans l’espace,
et d’en étudier les propriétés.

1. Soient des droites se succédant sans interruption les unes aux autres, suivant une loi mathématique quelconque, telle néanmoins que, par chacun des points d’un espace donné, circonscrit ou illimité, il en doive, en général, passer une et une seule ; comme il arriverait, par exemple, pour des droites émanées d’un même point fixe, ou parallèles à une même droite fixe ou, plus généralement encore, normales à une même surface donnée.

Pour exprimer analitiquement de telles droites, d’une manière à la fois commode et générale, qui permette d’en étudier les diverses propriétés, concevons qu’à travers leur système on fasse passer une surface arbitraire, donnée par l’équation

(S)

Comme on pourra supposer toutes les droites du système émanées de cette surface, nous l’appellerons la base du faisceau ; et le point où chacune d’elles percera cette même surface, et duquel elle sera censée émaner, sera dit le point d’application de cette droite ; de sorte que la base du faisceau sera le lieu des points d’application des droites qui le composent. Alors une quelconque des droites du système pourra être généralement exprimée, par deux équations de la forme

(D)

et étant des fonctions déterminées des variables indépendantes et dont la nature décidera de celle du système. On conçoit au surplus, que et pourraient bien aussi renfermer et même mais alors ces lettres ne devraient y être considérées que comme des symboles de fonctions de et données par l’équation (S). Il est même souvent bon d’introduire de tels symboles dans les équations (D), soit pour éviter les irrationnels dans et soit seulement pour obtenir ces coefficiens sous une forme plus simple.

Que, par exemple, l’équation de la base du faisceau soit

et que les équations générales des droites qui le composent soient

en mettant dans les numérateurs pour sa valeur donnée par l’équation de la base, et pour dans les dénominateurs, sa valeur donnée par la même équation, ces équations prendront cette forme plus simple, mais équivalente

2. Il est clair qu’avec les équations générales des droites du faisceau, on pourra construire tant de ces droites qu’on voudra. En se donnant en effet arbitrairement les deux variables indépendantes et l’équation de la base fera connaître on connaîtra donc ainsi un des points de la droite à construire ; et la substitution des valeurs de dans et fera connaître la direction de cette droite.

À l’inverse, dès que l’on connaîtra la loi mathématique à laquelle les droites d’un même faisceau seront assujetties, on pourra toujours en conclure les équations générales de ces droites. Supposons par exemple, que tous les points d’un plan donné par l’équation

pris pour base, on abaisse des perpendiculaires sur une droite donnée par les équations

ces droites formeront un certain faisceau, et, pour en trouver les équations générales, voici comment on opérera. Désignant par le pied de la perpendiculaire abaissée du point sur la droite dont il s’agit, on aura d’abord

et les équations de cette perpendiculaire, seront de la forme

La condition de perpendicularité donnera ensuite

ou

nous aurons donc, entre trois équations desquelles nous tirerons

et de là

d’où

de sorte que les équations générales des droites du faisceau seront

qu’au moyen de l’équation de la base, on pourra réduire ensuite à

c’est précisément le faisceau que nous avions d’abord pris pour exemple, et dont nous connaissons présentement le mode de génération.

3. À l’aide des trois équations

(S)

(D)

il sera toujours facile d’assigner les droites du faisceau qui ont une situation déterminée par rapport à sa base. Pour en donner deux exemples simples, supposons, en premier lieu, qu’on demande quels sont les points de cette base d’où les droites émanent dans des directions tangentes ; en observant que la normale à la base au point a pour ses équations

(N)

on verra que, pour cela, il faut qu’on ait

équation d’une surface qui coupera la base suivant une ligne courbe à double courbure, pour tous les points de laquelle cette circonstance aura lieu. D’où l’on voit que, dans le cas particulier où cette dernière équation ne différerait de l’équation (S) que par un simple facteur, les droites du faisceau seraient toutes des tangentes à sa base.

Appliquons ces considérations au faisceau donné par les trois équations


Ayant ici

l’équation du problème sera

c’est-à-dire,

équation d’un plan qui coupe la base suivant une droite donnée par les équations

Tel est donc le lieu de tous les points de la base d’où les droites du faisceau émanent dans des directions tangentes à cette base, et se confondent conséquemment avec elle, puisque celle-ci est une surface plane.

4. Supposons, en second lieu, que l’on demande quels sont les points de la base d’où les droites du faisceau émanent dans des directions normales à cette base. Il est clair qu’ici il faudra poser les deux équations

qui, combinées avec l’équation (S) feront connaître les points de la base, en nombre limité, pour lesquels cette circonstance aura lieu. Si cependant, dans des cas particuliers, chacune de ces équations se trouvait comportée par les deux autres, alors il y aurait sur la base une courbe à double courbure de chacun des points de laquelle les droites du faisceau émaneraient dans des directions normales à cette base. Et si ces trois équations, ne différaient les unes des autres que par un simple facteur, toutes les droites du système seraient des normales à sa base.

Appliquons ces considérations au faisceau de droites donné par les trois équations


Ayant ici

les deux équations du problème seront

c’est-à-dire,

équations qui, conjointement avec l’équation

de la base du faisceau, sont satisfaites en posant

mais il est aisé de voir (2) que cette solution ne saurait être admise. Elle se trouve introduite à raison de la forme que prennent alors et

5. La base d’un faisceau de droite étant une surface tout-à-fait arbitraire, on peut se proposer de substituer une nouvelle base à une base donnée. Les équations générales des droites du faisceau changent alors de forme ; et on opère ainsi une transformation assez analogue à celle des coordonnées. Mais voyons auparavant comment on peut transporter le point d’application de l’une des droites du faisceau de l’endroit où cette droite perce la base en un autre lieu quelconque sur sa direction ; de telle sorte qu’alors les coordonnées deviendront tout-à-fait indépendantes les unes des autres. Supposons qu’alors les équations de (D) soient

(D′)

et devront être des fonctions déterminées de et c’est à la recherche de ces fonctions que se réduira la résolution du problème.

Or, parce que le point doit être sur la droite (D′), on devra avoir

Ensuite, parce que la direction de cette droite doit toujours demeurer la même, on aura aussi

Joignant donc à ses quatre équations l’équation (S), pour en éliminer les trois coordonnées il en résultera, entre et deux équations desquelles on tirera les valeurs cherchées de ces inconnues, fonctions de

À ce procédé il sera peut-être quelquefois plus commode de substituer le suivant : l’élimination de et entre les quatre premières équations donne les deux suivantes

en y joignant donc l’équation (S), on en pourra tirer les valeurs de en lesquelles substituées dans et les changeront en et .

Quelque procédé qu’on emploie d’ailleurs, il s’offrira un moyen fort simple de vérifier les valeurs obtenues pour et Ce moyen consiste en ce qu’en établissant entre la même relation qui existait entre les valeurs de et doivent évidemment, en vertu de cette relation, être susceptibles de prendre une forme telle qu’elles ne diffèrent plus que par les accens des valeurs de et Cette manière simple de vérifier les valeurs obtenues pour et est d’autant plus précieuse que, le plus souvent, on trouve pour ces fonctions plusieurs systèmes de valeurs entre lesquelles il devient nécessaire de choisir.

Appliquons ces procédés et ces réflexions au faisceau de droites données par les trois équations


Pour appliquer la première méthode, nous poserons les cinq équations



tirant d’abord les valeurs de et des deux premières, pour les substituer dans les trois autres, celles-ci deviendront


entre lesquelles il ne sera plus question que d’éliminer Tirant donc de la dernière la valeur de cette coordonnée, pour la substituer dans les deux autres, on aura, pour déterminer les inconnues et les deux équations


En prenant leur somme, réduisant et décomposant, on trouve

Pour savoir quel est celui de ces deux facteurs qu’on doit égaler à zéro, supposons pour un moment qu’on ait

cette équation deviendra, en substituant et divisant par

mais alors et ne devront différer de et que par les accens. Or, en vertu de la relation

on trouve aisément donc, en vertu de la relation on doit aussi avoir et non c’est donc le premier facteur qu’il faut égaler à zéro ; cela donne

valeur qui, introduite dans les deux équations en et les change en celles-ci


dont la différence est

qui, combinée avec

donne

comme nous l’avions déjà trouvé (2).

Si, au contraire, nous voulons faire usage de la seconde méthode, nous poserons les trois équations


desquelles il s’agira de tirer les valeurs de Pour y parvenir facilement, prenons d’abord la somme des deux premières. En substituant, dans cette somme, pour sa valeur et divisant ensuite par il viendra

d’où

substituant ces valeurs dans les deux premières équations, elles deviendront


d’où

et de là


donc

comme ci-dessus. Ainsi, les droites du faisceau pourront simplement être exprimées par les deux équations

où les trois coordonnées sont tout-à-fait indépendantes les unes des autres.

Du moment qu’on est ainsi parvenu à exprimer les droites d’un faisceau en coordonnées indépendantes les unes des autres, on peut établir entre ces coordonnées quelle relation on voudra ; ce qui revient évidemment à donner au faisceau une nouvelle base tout-à-fait arbitraire. On pourra donc choisir cette base de manière à rendre les fonctions et les plus simples possibles, et notamment à en faire disparaître les irrationnels. On pourra donc la choisir aussi de telle sorte qu’elle ait une situation déterminée par rapport aux droites dont le faisceau se compose.

7. Pour en donner deux exemples simples, supposons d’abord qu’on exige que toutes les droites du faisceau soient tangentes à la nouvelle base ; il ne s’agira pour cela (3) que de prendre pour l’équation de cette base l’intégrale de l’équation différentielle partielle

On sent au surplus que, le problème étant déterminé de sa nature, ce ne sera ni l’intégrale générale, ni même l’intégrale complète de cette équation, avec ses deux constantes arbitraires, qui pourra le résoudre. Elle devra donc admettre une solution particulière qui sera la base cherchée.

En appliquant ces considérations au faisceau déjà pris pour exemple, nous aurons pour l’équation différentielle partielle de la surface à laquelle sont tangentes toutes les droites dont ce faisceau se compose, en supprimant les accens, pour plus de simplicité,

L’intégrale générale de cette équation est

On y satisfait aussi en posant

pourvu qu’on lie les deux constantes arbitraires et par la relation

elle admet enfin la solution particulière

laquelle revient aux deux suivantes :

qui sont en effet (2) celles de l’axe du cylindre auquel sont normales toutes les droites du faisceau. Nous donnerons plus loin, au surplus, un procédé direct, pour parvenir à la surface à laquelle toutes les droites d’un faisceau sont tangentes, à quelque base d’ailleurs que ce faisceau soit rapporté.

8. En second lieu ; si l’on voulait que toutes les droites du faisceau fussent normales à la nouvelle base, il faudrait qu’on eût à la fois

en sorte que l’équation différentielle totale de la nouvelle base devrait être

mais on voit par là même que le problème n’est pas toujours possible ; puisqu’une équation différentielle totale n’est pas toujours intégrable. La condition d’intégrabilité est ici

et, quand un faisceau sera de nature à y satisfaire, à cause de la constante arbitraire qui entrera dans l’intégrale, une infinité de surfaces différentes pourront couper orthogonalement les droites dont le faisceau sera composé. Ces surfaces seront, les unes à l’égard des autres, ce que M. Crelle a appelé surfaces parallèles (Annales, tom. XII, pag. 1 et suiv.)

Pour le faisceau déjà pris pour exemple, on a, en supprimant les accens,

d’où


et de là

la condition d’intégrabilité se trouve donc ici satisfaite, comme on pouvait bien s’y attendre (2) ; l’équation des surfaces trajectoires orthogonales de toutes les droites du faisceau est donc l’intégrale de l’équation différentielle

On peut la mettre sous cette forme

ou, en multipliant par 2,

ce qui donne, en intégrant,

étant la constante arbitraire. Les droites du faisceau sont donc normales à une série de cylindres concentriques, dont l’axe commun est donné par la double équation

ce qui est conforme (2) au mode de génération du faisceau.

9. Un faisceau de droites étant rappctté à une base déterminée quelconque, on peut désirer de reconnaître immédiatement s’il existe ou non des surfaces trajectoires orthogonales des droites dont ce faisceau se compose ; et c’est par la recherche de la condition de laquelle dépend cette circonstance que nous terminerons ce paragraphe. Nous venons déjà de voir qu’on devait avoir pour cela

mais nous pouvons écrire simplement

pourvu qu’il demeure entendu que dans et on fera varier comme fonction de et . Avec cette attention, cette dernière équation revient en effet à

qui, en remettant pour et leurs valeurs et rentre exactement dans la premitre.

Mais, comme nous avons (5)

nous pourrons remplacer cette équation de condition par la suivante

de sorte que toute la question se réduira à traduire cette dernière en données primitives du problème, c’est-à-dire, à en éliminer au moyen des relations qui les lient à

Pour cela, nous remarquerons d’abord que et n’étant fonctions de et que par l’intermédiaire de et on doit avoir

au moyen de quoi la condition se transforme en

D’un autre côté, nous avons (5) les deux équations

que nous pouvons différentier, l’une et l’autre, successivement par rapport à et par rapport à En ayant égard aux relations observant d’ailleurs que

qu’en outre

et posant enfin, pour abréger,

on en tirera ainsi

équations qui donnent

substituant toutes ces valeurs dans l’équation de condition elle deviendra


mettant enfin dans cette dernière, pour les fonctions dont ces lettres sont les symboles, on trouvera, toutes réductions faites,

sur quoi il faudra se rappeler de faire varier dans et comme fonctions de et

Si présentement nous remarquons que

qu’en outre

et que, par suite,

l’équation pourra être écrite ainsi


mais on a

donc notre équation revient encore à


en divisant alors ses deux membres, par elle prendra finalement cette forme très-simple

Il faudra donc que cette équation soit immédiatement identique, ou du moins qu’elle devienne, après en avoir chassé et ses coefficiens différentiels, au moyen de l’équation (S), pour que les droites (D) dont le faisceau se compose puissent être traversées orthogonalement par une même surface. L’équation de condition peut être regardée comme fondamentale, dans les recherches qui vont présentement nous occuper.

Faisons-en l’application au faisceau de droites données par les trois équations


Ayant ici

il viendra


et par suite


cela donne


résultats qui, en y mettant pour et leurs valeurs et pour sa valeur se réduisent également à

ce qui nous apprendrait, si nous ne le savions déjà, que les droites dont ce faisceau se compose peuvent être traversées orthogonalement par une même surface.

§. II.
Démonstration des théorèmes de Malus.

10. Reprenons le faisceau de droites donné par les trois équations

(S)

(D)

et concevons que les variables indépendantes et reçoivent respectivement les accroissemens simultanés et dans lesquels et sont des nombres abstraits, arbitraires et indépendans, et une longueur indéterminée[2]. En posant, pour abréger,



on verra, en vertu du théorème de Taylor, qu’alors, tandis que et deviennent respectivement et et se changent respectivement en de sorte que les équations de la droite émanée du point de la base du faisceau seront

(D′)

Chercher le point d’intersection des deux droites (D) et (D′) serait vouloir résoudre un problème plus que déterminé ; puisqu’on aurait quatre équations pour déterminer trois inconnues seulement. Le point étant donc pris arbitrairement sur la base (S) du faisceau, lorsqu’on se sera donné la longueur arbitraire un second point de cette base ne pourra être tel que la droite (D′) qui en émanera rencontre la droite (D), émanée du premier, et soit conséquemment dans le même plan avec elle, qu’autant qu’il existera une certaine relation entre les deux nombres et Cherchons donc cette relation, et voyons, lorsqu’elle a lieu, quels sont alors le plan des deux droites et leur point de concours.

11. Il est clair que, pour obtenir la relation cherchée, il ne s’agit que d’éliminer les trois inconnues entre les quatre équations (D) et (D′) des deux droites. Mais il reviendra au même, et il sera plus commode d’éliminer entre elles les trois binômes on obtiendra ainsi, pour l’équation de relation cherchée,

Cette condition étant supposée remplie, et les deux droites (D)et (D′) se trouvant ainsi dans un même plan, il suffira, pour obtenir l’équation de ce plan, de l’assujettir simplement à passer par la droite (D) et par le point de la droite (D′). On trouvera ainsi, très-facilement, pour l’équation de ce plan, et sous la condition

Quant au point d’intersection des deux droites, présentement qu’en vertu de la condition les quatre équations (D) et (D′) ont lieu à la fois, il nous sera facile de l’obtenir. Mais, pour conserver quelque symétrie dans les résultats, nous éliminerons d’abord entre les premières équations (D) et (D′), puis entre les dernières, ce qui nous conduira aux valeurs de et qui, substituées ensuite dans les unes ou dans les autres, donneront celle de sous deux formes différentes. On trouvera ainsi, toujours sous la condition

sur quoi on peut remarquer que l’équivalence des deux valeurs de revient précisément à la condition

12. Après avoir ainsi déterminé, pour une valeur quelconque de la longueur arbitraire une seconde droite (D′) qui rencontre la première, on peut, par un semblable procédé, soit pour la même valeur de soit pour toute autre, déterminer une troisième droite (D″) qui rencontre la seconde, puis une quatrième (D‴) qui rencontre la troisième, et ainsi indéfiniment. Ces droites seront les arêtes consécutives d’une certaine surface polyèdre ; et leurs points d’intersection seront les sommets consécutifs d’un polygone ouvert, gauche et rectiligne, dont les côtés se prolongeront suivant les arêtes de la surface polyèdre, laquelle coupera la base (S) du faisceau suivant un autre polygone gauche ouvert, mais curviligne.

À mesure que l’on prendra la longueur plus petite et qu’en même temps on multipliera davantage le nombre des droites (D), (D′), (D″), , les arêtes de la surface polyèdre, et par suite les sommets des deux polygones gauches, tant rectiligne que curviligne, se rapprocheront de plus en plus, jusqu’à ce qu’enfin cette longueur étant devenue tout-à-fait nulle et le nombre des droites infini, ces arêtes deviendront les élémens rectilignes d’une surface développable dont nos deux polygones ouverts deviendront, le premier l’arête de rebroussement et l’autre l’intersection avec la base (S) du faisceau. Cette intersection indiquera donc le chemin qu’on doit tenir sur la surface (S), pour ne rencontrer que des droites du système qui se coupent consécutivement ou, en d’autres termes, qui soient toutes tangentes à une même courbe à double courbure.

Si, sur la base (S) du faisceau, on prend un nouveau point de départ, hors de la direction de cette première courbe, mais d’ailleurs si rapproché d’elle qu’on le voudra ; il passera par ce second point une nouvelle courbe, intersection de cette base avec une seconde surface développable, dont les élémens rectilignes seront encore des droites du faisceau, toutes conséquemment tangentes à une seconde courbe à double courbure. Il en sera évidemment de même pour un troisième point de (S), pris hors de la direction des deux premières courbes, pour un quatrième, pris hors de la direction des trois premières, et ainsi indéfiniment ; quelque rapprochés d’ailleurs les uns des autres que ces points soient supposés. Il n’en faut pas davantage pour conclure qu’à quelque loi mathématique que puissent être assujetties des droites se succédant sans interruption les unes aux autres dans l’espace, ces droites se distribuent constamment en une série continue de surfaces développables dont elles sont les élémens rectilignes. Les arêtes de rehaussement de ces surfaces développables sont, à leur tour, les élémens curvilignes d’une certaine surface, à laquelle toutes les droites du faisceau doivent être tangentes.

13. Cherchons le plan tangent suivant (D) à la surface développable qui passe par cette droite. Ce plan est différent du plan qui passe par les deux droites (D) et (D‴) ; mais, à mesure que la longueur arbitraire décroîtra, et qu’ainsi (D′) marchera vers (D), toujours sous la condition ce plan tournera sur (D), comme sur un axe, de manière à faire un angle de plus en plus petit avec le plan tangent cherché. Il se confondra donc enfin avec ce dernier, lorsque la longueur sera devenue tout-à-fait nulle.

Remarquons aussi que (D′) marchant vers (D), sous la condition leur point d’intersection marchera le long de (D), en s’approchant sans cesse du point de contact de cette droite avec l’arête de rebroussement de la surface développable dont elle fait partie ; de sorte que le point deviendra ce point de contact lui-même, lorsque la longueur sera tout-à-fait nulle.

Mais, lorsque on a simplement (10)

l’équation de condition devient donc alors

Les mêmes valeurs de substituées dans les équations et en faisant en outre dans les dernières donnent, pour l’équation du plan tangent suivant (D) à la surface développable qui passe par cette droite

et ensuite pour les équations du point de contact de (D) avec l’arête de rebroussement de cette surface, et par suite avec la surface à laquelle toutes les droites du faisceau sont tangentes,

Il ne s’agira donc plus, pour obtenir ces résultats en simples fonctions de que de substituer dans les formules et la valeur de l’un quelconque des deux nombres et tirée de l’équation ce qui en fera aussi disparaître l’autre.

14. Mais, parce que l’équation est du second degré en et elle donnera, généralement parlant, pour l’un de ces deux nombres, en fonction de l’autre, deux valeurs distinctes, lesquelles, substituées dans l’équation donneront naissance à deux plans tangens se coupant suivant la droite (D). Il y aura donc aussi deux surfaces développables se coupant suivant cette droite ; et, comme on pourrait en dire autant de toute autre droite du faisceau, il faut en conclure qu’en général, à quelque loi mathématique que soient assujetties des droites qui se succèdent sans interruption dans l’espace, ces droites se distribuent toujours en deux séries continues de surfaces développables, dont elles sont à la fois les élémens rectilignes et les intersections ; de manière à être toutes tangentes à la fois, soit à deux surfaces courbes, soit à deux nappes d’une même surface courbe, lieux des arêtes de rebroussement des surfaces développables des deux séries. Nous disons en général, parce que ceci suppose que l’équation a deux racines effectives, réelles et inégales. Il serait plus long que difficile de discuter les divers cas particuliers qui peuvent faire exception, et à cause de cela nous nous en dispenserons.

Si l’on suppose que les droites dont il s’agit sont les rayons de lumière d’un même faisceau, les surfaces courbes lieux des arêtes de rebroussement des surfaces développables des deux séries seront les surfaces caustiques auxquelles le faisceau donnera naissance.

15. En développant et ordonnant l’équation de condition par rapport à et elle devient



de sorte qu’en posant


on en tirera

valeurs qui, substituées tour à tour dans l’équation donneront, pour les équations des plans tangens, suivant (D), aux deux surfaces développables qui passent par cette droite


16. Il nous serait facile, d’après cela, d’assigner l’angle sous lequel se coupent les deux surfaces développables qui passent par l’une quelconque des droites du faisceau : bornons-nous à chercher comment ce faisceau doit être conditionné pour que les surfaces développables des deux séries se coupent partout orthogonalement. Il faudra évidemment pour cela que, quelles que soient les deux variables indépendantes et nos deux plans tangens soient perpendiculaires l’un à l’autre, ce qu’on exprimera, comme l’on sait, en écrivant


ou en développant et en rassemblant les termes affectés de et



ou enfin, en remettant pour et leurs valeurs et chassant les dénominateurs,




Telle est donc l’équation qui doit être identique, quels que soient et pour que les surfaces développables des deux séries se coupent partout orthogonalement. En la développant, ordonnant par rapport aux coefficiens différentiels de et et décomposant, elle devient


Or, le premier facteur ne saurait être nul de lui-même (3) qu’autant qu’on admettrait que toutes les droites du faisceau sont tangentes à sa base (S), ce que nous n’avons pas supposé ; c’est donc l’autre qui devra être nul de lui-même pour que la condition dont il s’agit se trouve satisfaite ; mais ce facteur égalé à zéro n’est autre chose que l’équation du précédent paragraphe, qui exprime, comme nous l’avons vu, que les droites dont le faisceau se compose peuvent être traversées orthogonalement par une même surface, et que nous avons mise ensuite sous la forme plus simple

il y a donc une parfaite identité entre les deux conditions ; ainsi, dire que les deux séries de surfaces développalles dans lesquelles se distribuent des droites qui se succèdent sans interruption dans l’espace, suivant une loi mathématique quelconque se coupent partout orthogonalement, ou dire que ces droites peuvent être traversées orthogonalement par une même surface, c’est dire une seule et même chose en des termes différens[3].

17. Si l’on introduit tour-à-tour les deux valeurs de en trouvées ci-dessus (15) dans les formules on aura pour les équations des points de contact de (D) avec les deux surfaces auxquelles toutes les droites du faisceau sont tangentes,


Si, entre l’équation (S) et l’un ou l’autre des systèmes d’équations (8) et (9), on élimine les trois coordonnées l’équation résultante en sera celle de l’une ou de l’autre des deux surfaces auxquelles toutes les droites du faisceau sont tangentes. Or, comme et sont les deux racines d’une même équation du second degré, excepté le seul cas où l’équation sera décomposable en deux facteurs rationnels du premier degré, les deux surfaces dont il s’agit ne seront proprement que deux nappes d’une même surface.

18. Mais, dans la recherche de l’équation commune à ces deux nappes, on peut procéder plus rapidement en opérant comme il suit : la double valeur de dans les formules laquelle renferme implicitement l’équation de condition, donne, en chassant les dénominateurs et ordonnant par rapport à et


d’où, en multipliant membre à membre, réduisant et ordonnant par rapport à

Dans cette équation, la coordonnée appartient toujours au point de contact qui d’ailleurs, se trouvant sur (D), doit satisfaire à ses équations. La recherche de l’équation du lieu des points de contact, c’est-à-dire, de l’équation de la surface à laquelle chacune des droites du faisceau se trouve deux fois tangente, se réduira donc simplement à éliminer entre l’équation (S), les deux équations (D) et l’équation C’est le procédé que nous avons promis (7).

Appliquons ce procédé au faisceau donné par les trois équations


Ayant ici

on trouvera successivement



et de là

Au moyen de ces valeurs, l’équation devient

et il ne s’agit plus que d’éliminer ou, ce qui revient au même entre elle et les trois équations du faisceau. Mais on peut remarquer auparavant que cette équation se décompose comme il suit :

En égalant d’abord le premier facteur à zéro, il viendra

équation au moyen de laquelle on pourra éliminer des trois équations du faisceau, qui deviendront ainsi


on n’aura donc plus que la seule inconnue à éliminer entre elles, ce qui conduira à deux résultats distincts ; d’où on peut conclure que, dans le cas particulier qui nous occupe, les droites dont le faisceau se compose sont toutes tangentes, non à une même surface mais à une ligne. L’élimination de effectuée, on obtient, pour la double équation de cette ligne,

C’est précisément (8) la double équation de l’axe du cylindre auquel toutes les droites du faisceau sont normales, comme on pouvait bien s’y attendre.

En égalant, au contraire, le second facteur à zéro, en vertu de l’équation on obtient simplement

équation au moyen de laquelle celles du faisceau se réduisent à

équations auxquelles on ne peut satisfaire qu’en posant

d’où

Ce sont les équations du point que nous avons déjà rencontré (4) et qui ne saurait être admis comme solution du problème, puisque ont disparu.

§. III.
Démonstration des théorèmes de M. Dupin.

19. À quelque loi mathématique que soient assujettis les rayons de lumière qui composent un même faisceau, et à quelque base qu’ils soient rapportés ; s’il se trouve sur leur route une surface à la rencontre de laquelle ils doivent se réfléchir ou se réfracter, on pourra toujours (§. I.) substituer cette surface, comme nouvelle base, à leur base primitive ; et dès-lors la direction du rayon incident émanée de chacun de ses points, ne dépendra plus uniquement que des coordonnées de ce point.

Soit donc un point d’incidence, située sur une surface soit réfléchissante soit séparatrice de deux milieux, donnée par l’équation

à quelque faisceau qu’appartienne d’ailleurs le rayon incident, ses équations pourront toujours être amenées à la forme

(R′)

étant des fonctions déterminées des variables indépendantes et dont la forme dépendra, à la fois, de la loi mathématique à laquelle les rayons du faisceau seront assujettis et de la nature de la surface (s).

20. Soient prises pour les équations du rayon réfléchi ou réfracté

(R″)

si, comme nous le supposons, la surface réfléchissante ou séparatrice est donnée, et que de plus, dans le cas de la réfraction, la nature des milieux séparés par cette surface soit connue, et seront des fonctions déterminées, bien qu’encore inconnues, de et et par suite de et Cherchons, d’après les lois de l’optique, les valeurs de ces deux fonctions.

Les équations de la normale au point d’incidence sont

(N)

et l’on sait que d’abord elle doit se trouver dans un même plan avec le rayon incident et le rayon réfléchi ou réfracté ; ce qui donne, pour première équation du problème,

(I)

En second lieu, s’il s’agit de réflexion, on devra avoir

ou

tandis que, s’il s’agit de réfraction, on aura

ou

et étant deux nombres constants, dépendant de la nature des milieux séparés par la surface (s). On voit par là que le cas de la réflexion rentre, comme cas particulier, dans celui de la réfraction, et qu’il se déduit de ce dernier en posant de sorte qu’il nous suffira de nous occuper de ce dernier.

Or, on a, par les formules connues

d’où


on aura donc, en substituant et supprimant le facteur commun aux dénominateurs des deux membres de l’équation résultante,

(II)

21. Telles sont donc les deux équations qui devront donner et en et elles donneront, à la vérité, deux systèmes de valeurs pour ces deux inconnus, tandis que la nature de la question n’en comporte qu’un seul, attendu qu’à un même rayon incident il ne saurait jamais répondre qu’un seul rayon réfléchi ou réfracté ; mais on reconnaîtra toujours facilement quel est celui de ces deux systèmes qui doit répondre à chaque cas, en observant que, pour le cas de la réflexion, où il faut faire on doit rejeter le système puisqu’en général le rayon réfléchi ne doit pas se confondre avec le rayon incident. On reconnaîtra, au contraire, le système de valeurs qui convient à la réfraction en ce qu’en y faisant il doit donner puisque, lorsque les deux milieux séparés par la surface (s) sont de même nature, le rayon incident, après avoir rencontré cette surface, doit poursuivre sa route sans changer de direction.

22. La recherche de et en et au moyen des équations (I) et (II), étant assez laborieuse, essayons de les combiner entre elles de manière à en déduire deux autres qui se montrent plus traitables, ou que même nous puissions nous dispenser de résoudre pour parvenir au but que nous avons principalement en vue. En vertu de l’équation (I), on a

ou bien

d’où

ou, en exécutant la multiplication dans le premier membre,

ou encore

mais l’équation (II) peut être écrite ainsi

donc

c’est-à-dire,

(III)

équations qui pourront remplacer (I) et (II), dans la recherche de et en et Dans le cas de la réflexion, on prendra les signes inférieurs, en posant tandis qu’au contraire, dans le cas de la réfraction, ce sera les signes supérieurs qu’il faudra prendre (21).

23. On tire des équations (III), par différentiation,

d’où en retranchant,

donc, suivant qu’on aura ou qu’on n’aura pas

on aura ou on n’aura pas

et réciproquement ; or, la première de ces équations exprime (9) et (16), que les rayons incidens peuvent être traversés orthogonalement par une même surface ; et la seconde exprime la même chose à l’égard des rayons réfléchis ou réfractés ; donc, suivant que des rayons incidens sont ou ne sont pas de nature à pouvoir être traversés orthogonalement par une même surface, les rayons réfléchis ou réfractés sont aussi ou ne sont pas de nature à pouvoir être traversés orthogonalement par une même surface.

24. Soient présentement un nombre quelconque de surfaces réfléchissantes et séparatrices de divers milieux, se succédant comme on voudra dans l’espace. Suivant que les rayons incidens qui tomberont sur la première de ces surfaces pourront ou ne pourront pas être traversés orthogonalement par une même surface, les rayons, réfléchis ou réfractés par celle-ci, et se dirigeant vers la seconde, pourront eux-mêmes ou ne pourront pas être traversés orthogonalement par une même surface ; mais ces derniers peuvent, à leur tour, être considérés comme incidens par rapport à cette seconde surface ; d’où il suit que les rayons réfléchis ou réfractés par celle-ci, et se dirigeant comme incidens vers la troisième, se trouveront encore dans les mêmes circonstances, et ainsi de suite, jusqu’à la dernière surface ; d’où l’on voit que, pour les rayons de lumière qui composent un même faisceau, la faculté de pouvoir être traversés orthogonalement par une même surface ne saurait être perdue ni acquise par l’effet d’une suite de réflexions et de réfractions, en nombre quelconque, opérées à la rencontre de surfaces mathématiques quelconques, séparant des milieux homogènes de quelque nature qu’ils puissent être.

25. Et, comme la vérité de cette proposition, dans le cas où il n’y a que des réfractions, est indépendante tant du nombre et de la proximité des surfaces séparatrices des divers milieux que de la variation de nature plus ou moins rapide des milieux que ces surfaces séparent, il doit encore en être de même pour des rayons de lumière qui traversent un milieu dont la densité ou la nature chimérique varie par degrés insensibles, suivant une loi mathématique quelconque ; c’est-à-dire, qu’après être sortis d’un tel milieu, ces rayons seront ou ne seront pas normaux à une même surface suivant qu’avant d’y pénétrer ils étaient déjà ou n’étaient pas normaux à une même surface.

26. Soient des rayons de lumière décrivant des lignes courbes dans un milieu variant continuellement de densité ou de nature chimique, suivant une loi mathématique quelconque ; concevons à travers le milieu deux surfaces courbes passant par des points jouissant d’un même pouvoir réfringent ; par les points où les rayons curvilignes percent ces deux surfaces, menons-leur des tangentes ; ces tangentes formeront deux faisceaux de droites ; or, il est aisé de conclure de ce qui précède que, suivant que les droites de l’un des faisceaux pourront ou ne pourront pas être traversées orthogonalement par une même surface courbe, les droites de l’autre faisceau pourront aussi ou ne pourront pas être traversées orthogonalement par une même surface courbe.

27. En particulier, des rayons émanés d’un même point fixe ou parallèles à une même droite fixe, ce qui revient à être émanés d’un point infiniment éloigné, sont normaux à une même surface sphérique, laquelle se réduit à un plan, dans le second cas ; donc, des rayons émanés d’un même point fixe ou parallèles à une même droite fixe, ce qui est le cas le plus ordinaire, après avoir subi un nombre quelconque de réflexions et de réfractions à la rencontre de surfaces mathématiques quelconques, séparant des milieux homogènes de quelle nature on voudra, ou encore après avoir traversé un milieu variant continuellement de densité ou de nature chimique suivant une loi mathématique quelconque, peuvent toujours être traversés orthogonalement par une même surface. Ainsi, par exemple, les rayons de lumière qui partent de l’un des points d’un corps céleste, après avoir traversé l’atmosphère, parviennent à notre œil dans des directions normales à une même surface.

28. On voit aussi par là que la recherche de la surface caustique à laquelle donnent naissance des rayons qui, émanés du point fixe, ont subi des réflexions et des réfractions en nombre quelconque, et que conséquemment l’étude de toutes les circonstances de la vision ; dans les cas même les plus compliqués, se réduit finalement à la recherche de la surface, lieu des centres de courbure d’une certaine surface déterminée. C’est la recherche de cette dernière surface qui doit donc présentement nous occuper.

29. Mais, pour parvenir au but, il nous faut d’abord résoudre, par rapport à et les équations (I) et (II) ou, ce qui revient au même, les équations (III), par lesquelles nous les avons remplacées (22). Pour y parvenir simplement, posons

ces équations deviendront ainsi

qui, successivement divisées et multipliées membre à donnent


posant alors

(o)

et remarquant que

on pourra leur donner cette autre forme


on en tirera alors, par élimination

c’est-à-dire,

En remettant pour leurs valeurs et posant, pour abréger,

il viendra

Il est visible (21) que, pour le cas de la réfraction, où lorsqu’on fait on doit avoir et ce sera les signes inférieurs qu’il faudra prendre ; d’où il suit que, pour le cas de la réflexion, il faudra prendre les signes supérieurs, en posant Alors les formules se simplifieront d’une manière notable, et l’on aura

d’où

Pour appliquer ces dernières formules à un exemple, supposons que la surface donnée par l’équation

soit une surface réfléchissante ; que, cette surface étant prise pour base, les équations des rayons incidens soient

et cherchons les équations des rayons réfléchis. Ayant ici

nous trouverons

c’est-à-dire,

et comme d’ailleurs

il viendra, en substituant dans les formules (

de manière que les équations du rayon réfléchi seront

Puisque, dans cet exemple, les rayons incidens sont tous (8) normaux à une même surface, il doit en être de même (23) des rayons réfléchis ; et c’est ce qu’on peut vérifier immédiatement. En posant ici

nous aurons


c’est-à-dire,

donc

et de là

qui est en effet (9) et (16) le caractère auquel on reconnaît que les droites d’un faisceau sont normales à une même surface.

Si l’on veut présentement connaître à quelles surfaces les rayons réfléchis, donnés par les trois équations


sont normaux, il faudra opérer comme nous l’avons enseigné (8), et pour cela il faudra d’abord rendre les équations de ces rayons indépendantes de la base, ce qu’on fera (5) en posant d’abord les trois équations


desquelles on tirera

de là

donc

de sorte que les équations du faisceau réfléchi, rendues indépendantes de sa base réfléchissante, sont

En conséquence, l’équation différentielle des surfaces auxquelles tous ces rayons sont normaux sera (8), en supprimant les accents désormais superflus et chassant les dénominateurs,

En l’écrivant ainsi

elle devient, en multipliant par 2,

d’où, en intégrant

étant la constante arbitraire. Cette équation est évidemment celle d’une suite de cylindres droits concentriques, dont l’axe commun est donné par la double équation

[4]

30. En général, des rayons lumineux incidens, normaux, à une surface donnée (s′), se réfléchissant ou se réfractant à la rencontre d’une seconde surface donnée (s) ; si l’on veut savoir à quelle surface inconnue (s″) les rayons réfléchis ou réfractés seront normaux, il faudra d’abord (5) amener le faisceau incident à avoir pour base la surface réfléchissante ou séparatrice ; conclure ensuite les valeurs de et dans les équations du faisceau réfléchi ou réfracté de celles de et dans les équations du faisceau incident, à l’aide des formules rendre enfin ces valeurs de et (5) indépendantes de toute base ; et alors l’équation différentielle de la surface cherchée (s″) sera

Si les rayons réfléchis ou réfractés, devenus ainsi normaux à cette dernière surface, devaient subir une seconde réflexion ou une seconde réfraction ; par l’application du même procédé on déterminerait la surface à laquelle ils devraient devenir normaux après l’avoir subi ; on pourrait en faire de même à l’égard d’une troisième réflexion ou réfraction, d’une quatrième, et ainsi indéfiniment ; de sorte qu’au moyen de ce qui précède nous sommes en état de résoudre ce problème général : étant données une suite de surfaces réfléchissantes et séparatrices de divers milieux, ainsi que la nature des milieux séparés par ces surfaces, et connaissant la surface à laquelle sont normaux, avant d’avoir atteint la première, les rayons d’un faisceau qui doit les rencontrer toutes, déterminer la surface à laquelle seront normaux les rayons du même faisceau, après avoir quitté la dernière ?

§. IV.
Démonstration de quelques Théorèmes nouveaux.

31. Nous venons de voir comment, étant données une première surface à laquelle des rayons incidens sont normaux, et une seconde surface, à la rencontre de laquelle ces rayons doivent se réfléchir ou se réfracter, on peut assigner une troisième surface à laquelle, après la réflexion ou la réfraction, ces rayons devront être normaux.

Renversons présentement le problème, et demandons-nous à la rencontre de quelle surface des rayons de lumière, normaux à une surface donnée, doivent-ils se réfléchir ou se réfracter, pour qu’après la réflexion ou la réfraction ils se trouvent normaux à une autre surface donnée ?

En admettant que le problème soit généralement possible, la solution s’en offrira, pour ainsi dire d’elle-même, d’après les résultats déjà obtenus. Soient, en effet, deux surfaces données

d’où

d’où

et supposons que, les rayons incidens devant être normaux à la première et les rayons réfléchis ou réfractés normaux à la seconde, il faille trouver la surface réfléchissante ou séparatrice, dont nous supposerons l’équation

d’où

la question se trouvera réduite à trouver en fonction de que nous supposerons les coordonnées du point d’incidence.

En prenant la surface (s’) pour base du faisceau incident, les équations de ce faisceau seront

si l’on veut ensuite à cette base substituer la surface inconnue (s), il faudra (5) chercher les valeurs de en fonction de au moyen de l’élimination de entre les cinq équations

Pareillement, en prenant la surface (s) pour base du faisceau réfléchi ou réfracté, les équations de ce faisceau seront

et, pour les ramener à la base inconnue (s), il faudra (5) déterminer en fonction de au moyen de l’élimination de entre les cinq équations

Cela posé, les équations (III) du §. II donnent

en se rappelant toujours que, pour le cas de la réfraction, il faut prendre les signes supérieurs, tandis que, pour celui de la réflexion, ce sont au contraire les signes inférieurs qu’il faut prendre, en posant Substituant donc, dans ces deux formules, les valeurs de en obtenues par le procédé qui vient d’être indiqué plus haut, si alors l’équation

est intégrable, son intégrale

(s)

sera l’équation de la surface réfléchissante ou séparatrice cherchée.

Si l’on introduit dans l’équation les valeurs de et données par les formules et qu’après avoir chassé les dénominateurs on rassemble les termes affectés des mêmes radicaux, on pourra donner à l’équation résultante la forme suivante, beaucoup plus commode pour les applications,

Il faudra, pour la réfraction, prendre le signe supérieur du second membre, tandis que, pour la réflexion, on prendra son signe inférieur, en posant

Pour appliquer ces généralités à un exemple, proposons-nous de rechercher quelle devrait être une surface réfléchissante pour que les rayons incidens et les rayons réfléchis fussent respectivement normaux à deux surfaces cylindriques, données par les équations


Nous savons déjà, (5) et (29), qu’on aura ici

et par suite

Ces valeurs étant substituées dans l’équation on obtiendra, pour l’équation différentielle de la surface cherchée,

En multipliant ses deux membres par cette équation revient à


d’où en intégrant

Le problème, à raison de la constante a donc une infinité de solutions. En posant cette constante nulle, et chassant les radicaux, il vient, en réduisant,

ou bien

équation commune de deux plans dont les équations individuelles sont

ce sont les équations des deux plans perpendiculaires l’un à l’autre qui divisent en deux parties égales les quatre angles formés par les axes des deux cylindres et sont perpendiculaires au plan de ces axes. On reconnaît le premier pour le plan réfléchissant des exemples précédens.

32. Dans l’exemple que nous avons choisi, nous étions bien sûrs de rencontrer une équation différentielle intégrable, puisque le problème que nous nous étions proposé n’était que le renversement d’un problème antérieurement résolu ; m, mais il est très-aisé de prouver que généralement non seulement l’équation sera toujours intégrable ; mais que même ses deux membres le seront séparément et immédiatement, sans l’intervention d’aucun facteur. Si en effet on y met pour sa valeur elle devient, en changeant les signes,

et alors les conditions d’intégrabilité de ses deux membres sont respectivement

or, nous avons vu (9) et (16) que ces conditions sont toujours satisfaites, lorsque les rayons (R’) et (R") sont normaux à une surface courbe ; ce qui est précisément le cas où nous nous trouvons ici.

Ainsi, deux surfaces courbes étant données et quelconques, on peut toujours, et même d’une infinité de manières différentes, trouver une surface réfléchissante ou séparatrice de deux milieux donnés, telle que des rayons incidens, normaux à l’une des deux surfaces données, après avoir été réfléchis ou réfractés, à la rencontre d’une telle surface, deviennent normaux à l’autre surface donnée[5].

33. Soient maintenant des rayons incidens normaux à une même surface courbe, assujettis à un nombre quelconque de réflexions et de réfractions, à la rencontre d’une suite de surfaces quelconques, séparant des milieux également quelconques ; ces rayons en s’échappant de la dernière surface, seront encore (24) normaux à une même surface courbe, entièrement déterminée ; et il résulte de ce qui précède qu’on pourrait également faire devenir les rayons incidens normaux à cette même surface soit par une réflexion soit par une réfraction unique ; donc, pour des rayons de lumière normaux à une même surface, l’effet de tant de réflexions et de réfractions qu’on voudra, à la rencontre de surfaces quelconques, séparant des milieux homogènes également quelconques, peut toujours être remplacé, et même d’une infinité de manières différentes, soit par une réflexion, soit par une réfraction unique.

34. Donc aussi (25) pour des rayons de lumière normaux à une même surface courbe, l’effet d’un trajet à travers un milieu variant insensiblement de densité ou de nature chimique peut toujours être remplacé, et même d’une infinité de manières différentes, soit par une réflexion unique à la rencontre d’un miroir d’une forme et d’une situation déterminées, soit par une réfraction unique à la rencontre d’une surface également déterminée, séparant deux milieux homogènes d’une nature donnée. Ainsi, par exemple, l’effet de la réfraction atmosphérique sur les rayons de lumière émanés d’une même étoile fixe peut être remplacé par l’action sur ces mêmes rayons d’un miroir de forme invariable mais mobile, qui sera évidemment une surface de révolution autour de la droite qui joindra l’étoile au centre de la terre, et dont l’axe fera une révolution en vingt-quatre heures autour de l’axe du monde.

35. On peut donc ramener toutes les recherches relatives aux circonstances de la vision, par l’intermédiaire de tant de miroirs et de milieux qu’on voudra, à celle des circonstances de la vision à l’aide d’un simple miroir d’une forme et d’une situation déterminée. À la vérité, dans tout ceci nous avons fait abstraction de la différente réfrangibilité des rayons de la lumière ; mais, si l’on veut y avoir égard, il arrivera seulement que le rapport de à aura plusieurs valeurs, et qu’on aura en conséquence autant de miroirs que de rayons différens. Les surfaces et les milieux dont on aura employé l’intermédiaire pour aider à la vision corrigeront donc d’autant mieux l’aberration de réfrangibilité que la série de miroirs dont il vient d’être question occupera un moindre espace et cette aberration deviendra tout-à-fait nulle, si les miroirs extrêmes de cette série coïncident exactement.

  1. Applications de géométrie. (Paris 1822.)
  2. Dans la vue d’abréger, nous avions d’abord voulu nous appuyer ici sur la considération des infiniment petits ; mais nous n’avons guère tardé de reconnaître qu’en procédant ainsi, en même temps que nous abrégions fort peu, nous devenions beaucoup moins clairs.
  3. Il nous eut sans doute été facile de déduire l’identité entre ces deux conditions de la belle théorie d’Euler sur la courbure des surfaces ; et dès lors il nous eut suffi d’assigner l’une d’entre elles pour pouvoir ensuite en conclure l’autre. Si donc nous en avons usé autrement, c’est, d’une part, afin de ne rien emprunter ailleurs, et d’une autre, dans la vue de soumettre notre équation à une vérification d’autant plus convenable que, comme nous en avons déjà prévenu, cette équation est fondamentale dans la théorie qui nous occupe.
  4. Il demeure bien établi, par ce qui précède, que si des rayons incidens, normaux à une cylindrique de révolution dont l’axe est donné par la double équation

    se réfléchissent à la rencontre d’un miroir plan, dont l’équation soit

    ces rayons, ainsi réfléchis, seront normaux à une autre surface cylindrique de résolution, dont l’axe sera donné par la double équation

    et rien n’indique, dans notre analise, qu’il doive jamais en être autrement, en général, et que les trajectoires orthogonales des rayons incidens et réfléchis ne doivent être que deux nappes différentes d’une même surface courbe ; puisque les formules sont rationnelles et du premier degré seulement.

    On a donc lieu d’être surpris que M. Dupin ait cru voir (pag. 236) qu’en général, un faisceau de rayons, normaux à une première surface quelconque, se réfléchit à la rencontre d’\nu miroir de forme pareillement quelconque, de manière à former un nouveau faisceau dont les rayons sont normaux à la même surface, et ait regardé comme de pures exceptions les cas où la trajectoire orthogonale des rayons incidens et celle des rayons réfléchis sont deux surfaces distinctes, indépendantes l’une de l’autre. Cette proposition peut d’autant moins être admise que, d’après le beau théorème découvert par M. Dupin lui-même, il s’ensuivrait que des rayons de lumière à qui l’on fait successivement subir un nombre quelconque de réflexions, à la rencontre de surfaces quelconques, demeureraient constamment normaux à la même surface, et conserveraient conséquemment, dans tout leur cours, la même surface caustique. Au surplus, ce qu’il nous reste à dire sur ce sujet montrera mieux encore combien il s’en faut qu’on puisse admettre cette assertion de M. Dupin qui heureusement n’a aucune influence sur le reste de son beau travail.

  5. Ceci prouve de nouveau que la surface trajectoire orthogonale des rayons réfléchis ne saurait généralement être la même que la surface trajectoire orthogonale des rayons incidens.