Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 11/Astronomie, article 3

ASTRONOMIE.

Description d’un nouveau réticule ;

Par M. Benjamin Valz.
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La diversité, assez grande, des réticules proposés jusqu’à ce jour peut faire penser que les besoins de l’astronomie ne sont pas encore entièrement satisfaits sur ce point. Cette réflexion doit donc encourager à présenter de nouvelles dispositions, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien à désirer pour la commodité et l’exactitude des observations. Sans aspirer à atteindre le but, mais cherchant à en approcher, s’il est possible, je hasarderai donc de proposer une nouvelle construction qui me paraît offrir quelques avantages.

Le réticule rhomboïde, ou plutôt rhombe[1], dont les astronomes se servent depuis long-temps, bien préférable à celui de Cassini, auquel il a succédé, n’est pas cependant exempt d’inconvéniens. On rencontre d’abord bien des difficultés à le construire exactement ; aussi en trouve-t-on souvent de fort défectueux ; ensuite, la vérification en est pénible et délicate ; enfin, l’évaluation de ses parties n’est pas fort aisée à obtenir. En effet, on est obligé, pour cela, de faire parcourir la diagonale par une étoile, afin de connaître sa valeur, nécessaire pour toutes les observations, orthogonales ou non ; mais, est-il facile et peut-on être bien assuré de faire exactement éclore, pour ainsi dire, une étoile, dans le sommet précis d’un angle, et de la voir disparaître par le sommet de l’angle opposé ? C’est une chose à peu près impossible à exécuter, sur-tout si la lunette n’est pas montée parallactiquement. La difficulté est rendue encore bien plus insurmontable par les diagonales, qui partagent bien ou mal ces angles, et obstruent le point mathématique d’intersection. On pourrait éluder cette difficulté, un peu plus laborieusement, à la vérité, en faisant, d’abord traverser deux étoiles voisines d’un même côté par rapport au centre du réticule, et une seconde fois de différens côtés. En effet, soient les routes interceptées des deux astres, dans la première observation ; la différence de déclinaison sera et, lorsque les étoiles auront de nouveau traversé le réticule, l’une d’un côté et l’autre de l’autre, à l’opposé, on obtiendra deux autres intervalles La grande diagonale sera évidemment

Le réticule carré et celui formé de deux triangles équilatéraux accolés, proposé le dernier, ne paraissent proprement que des modifications tendant à simplifier la construction ou la vérification de celui attribué à Bradley, M. Monteiro-da-Rocha, à Coïmbre, avait aussi proposé un autre réticule rhombe, dont les angles aigus étaient de et les côtés prolongés jusqu’au bord du diaphragme. Malgré l’avantage que présentait la suppression des diagonales, dont il devenait inutile de connaître la valeur, il ne paraît pas que cette disposition ait été fort employée ; apparemment par ce que le calcul de l’inclinaison nécessitait les observations d’une même étoile aux quatre fils, que les réductions en étaient assez longues, et enfin qu’une partie du champ n’était plus propre à ce nouveau genre d’observation. D’ailleurs, les fils se croisant, on est obligé de les choisir fort déliés, afin qu’ils s’écartent le moins possible d’un même plan ; ce qui ne permet pas d’observer les occultations derrière leur épaisseur, et ne dispense pas d’un éclairage toujours fort incommode.

Le réticule circulaire, perfectionné par M. Kohler, et rendu annulaire, est, sans contredit le plus simple et le plus commode de tous ; sa construction, s’effectuant sur le tour, est rigoureusement exacte ; et n’a conséquemment besoin d’aucune vérification ; mais ces avantages décidés ne sont-ils pas compensés par quelques inconvéniens ? D’abord il faut connaître le diamètre de l’anneau ; et comme pour l’obtenir, on ne peut être assuré de faire passer une étoile précisément par le centre que rien n’indique ; on est obligé, pour ne pas emprunter des catalogues des données sujettes à diverses réductions, d’observer les passages à travers l’anneau de deux étoiles voisines, et dans deux stations différentes de la lunette. À l’aide de ces huit occultations et d’un calcul assez prolixe, on parvient à déterminer le diamètre, ce qu’il faudra répéter chaque fois que l’on fera mouvoir le système des deux oculaires, le réticule étant supposé placé entre eux dans un chercheur.

Lorsqu’un des astres viendra à passer auprès du centre, non seulement on ne saura pas si c’est au-dessus ou au-dessous, mais encore on ne pourra déduire l’apothème avec justesse ; la différence de déclinaison sera donc peu sûre. Si, au contraire, la route de l’astre, trop éloignée du centre, forme un angle fort aigu avec la circonférence de l’anneau, l’étoile paraîtra dormir et on ne pourra saisir exactement les instans où elle semble s’éteindre et éclore ensuite, par des degrés insensibles. Cette erreur, qui variera suivant la fatigue de l’œil, sera d’autant plus influente qu’elle s’appliquera sur une corde plus courte. Il y aura donc une partie assez majeure du champ rendue inutile pour les observations. Le principal avantage de ce réticule consiste en ce qu’il est toujours bien placé, et qu’il n’a pas besoin d’être monté parallactiquement ; mais aussi on ne peut alors s’assurer si l’un ou l’autre des deux astres ne passe pas trop près ou trop loin du centre. On est donc exposé à faire souvent des observations qui ne pourront ensuite servir utilement. On pourrait peut-être remédier à une partie de ces inconvéniens en ajoutant un second anneau plus petit en dedans du grand, ce qui permettrait d’observer plus près du centre ; et un rayon, dont la pointe déliée répondrait à ce point, prouverait, en interceptant l’étoile, si le passage a eu lieu au-dessus ou au-dessous du centre. Il pourrait même servir à diriger la route d’une étoile de façon à la faire passer par ce point, ce qui donnerait le diamètre directement.

Comme ces ingénieux instrumens sont principalement employés pour l’observation des comètes, il paraît convenable de les placer dans un chercheur ou lunette de nuit, afin d’avoir plus de clarté et sur-tout un plus grand champ, ce qui oblige d’employer de préférence la combinaison achromatique d’oculaires de Campani, qui donne un champ plus étendu que celle de Ramsden ; mais le foyer se trouvant, dans cette construction, entre les oculaires, mobiles tous deux et ensemble, la valeur des parties du réticule variera, non seulement suivant la vue de l’observateur, mais encore suivant le degré de clarté ou les ouvertures de l’objectif qui changent le foyer moyen. Les chercheurs ayant de grandes ouvertures à leurs objectifs, qui ne sont cependant pas achromatiques, les aberrations focales sont très-grandes, et d’autant plus sensibles à l’œil que l’astre est plus lumineux. Pour les diminuer, on rétrécit, dans et cas, les ouvertures ; mais alors la distance focale moyenne en est allongée. Il faudra donc trop souvent une nouvelle évaluation des parties du réticule qu’on trouvera bien fastidieuse, quelquefois même assez difficile, et entraînant toujours la perte d’un temps précieux.

Les inconvéniens que je viens de signaler m’ont engagé à chercher une nouvelle construction de réticule, exempte, s’il est possible, de la plupart de ces défauts, au risque peut-être d’en créer de nouveaux. Voici de quelle manière j’ai essayé d’y parvenir, du moins pour les observations orthogonales. Dans les autres cas, l’inclinaison s’obtient avec facilité et bien simplement. On peut même appliquer aux observations circompolaires ce nouveau réticule, dont la construction s’exécute ainsi.

Des deux extrémités du diamètre (fig. 1), et avec la même ouverture de compas qui a servi à décrire la circonférence sur le diaphragme d’un chercheur, déterminez les deux arcs de chacun. Par leurs extrémités, tirez les parallèles et le réticule se trouvera décrit. On pourrait le construire, ainsi qu’on le fait pour le rhombe, en évidant la plaque du diaphragme et n’y laissant subsister que les trois lames tracées ; mais, comme ce travail ne peut être exécuté que par un artiste habile, qui conserve aux lames une largeur bien égale, en les taillant en biseau exact, ce qu’on rencontre rarement loin des capitales ; on pourra y substituer des fils métalliques qui, formés à la filière, seront nécessairement d’un diamètre bien égal. Ils devront avoir assez d’épaisseur pour éclipser l’astre pendant quelques secondes ; et, comme ils ne se croisent pas, il ny aura pas de superposition qui empêche de les placer rigoureusement dans un même plan, sur une des faces du diaphragme. Le fil équatorial ne servant qu’à placer le réticule dans le sens du mouvement diurne, et nullement pour les observations, pourra se mettre sur la face opposée. Je l’avais d’abord disposé perpendiculairement au fil diagonal, comme on le voit en (fig. 1) ; mais j’ai trouvé ensuite plus convenable de le rendre perpendiculaire aux fils parallèles (fig. 2) ; la partie du champ, ainsi hors d’usage, se réduisant à bien peu de chose.

Voyons d’abord les formules pour les observations orthogonales. L’angle aux sommets et est de et par conséquent Soit l’intervalle de temps entre les deux premiers fils, réduit en arc de grand cercle, pour le premier astre ; soit la même quantité pour le second, et soit la en déclinaison ; on aura

(1)

Les observations aux deux derniers fils donneraient le même résultat, sans qu’il fut besoin de connaître la valeur des parties du réticule ; mais il convient d’observer aux trois fils, parce qu’on obtient ainsi une vérification avantageuse. La différence des temps des passages à l’un ou à l’autre des deux fils parallèles fera connaître la différence des ascensions droites ; mais à lorsque la déclinaison sera forte, il faudra prendre la différence des milieux des passages aux deux fils parallèles, dès que les intervalles de temps compris entre eux ne seront plus égaux.

Si le réticule n’est pas monté parallactiquement, et qu’on n’ait pas le temps de le diriger sur le mouvement diurne, il suffira d’observer le passage de l’un des astres aux deux fils parallèles, pour calculer l’inclinaison ; l’intervalle des fils étant connu, ou déterminé ensuite par plusieurs étoiles observées, si l’on veut, dans une seule station, bien plus facilement que les diagonales ordinaires. Soit donc cette différence EFR (fig. 3), l’arc intercepté, réduit au grand cercle dans l’oBservation oblique, l’inclinaison qu’on connaîtra par

(2)

Désignons actuellement par l’intervalle de temps entre les deux premiers ou les deux derniers fils, pour le premier astre, et pour le second. étant là différence de la correction des passages à l’un des fils parallèles, et la déclinaison connue, nous obtiendrons, dans le triangle

et dans le triangle rectangle

Nous avons par conséquent

Dans le cas où l’on voudrait ne pas employer les lignes trigonométriques, ou qu’on se trouverait obligé de se passer de leurs tables pour les calculs, on pourrait recourir aux formules suivantes, dans lesquelles et

Les observations aux trois fils procureront deux résultats et une vérification commode.

Lorsque les astres se trouveront dans les régions circompolaires, on ne se servira plus que des fils parallèles ; et les deux observations qu’on y fera, pour chacun des astres, suffiront pour calculer la différence d’ascension droite et la déclinaison inconnue.

Pour le prouver, soit (fig. 4) le pôle de la sphère céleste. l’arc du parallèle intercepté entre les deux fils du réticule, l’arc de grand cercle correspondant ; nous trouverons

ou
et aussi

d’où enfin

(7)

Lorsque le réticule sera dirigé sur le mouvement diurne, on obtiendra ainsi la déclinaison inconnue : la différence d’ascension droite se déduira de la différence des milieux des passages aux deux fils. Dans les autres positions du réticule, on remarquera que la valeur précédente de la déclinaison inconnue, indépendante de l’intervalle des fils, ne sera pas sensiblement altérée par l’inclinaison, tant que les arcs de grands cercles interceptés seront à peu près égaux, ce qu’on pourra obtenir avec facilité, en dirigeant approximativement les fils parallèles vers le pôle. En effet, les arcs (fig. 5) étant parallèles, si l’on suppose deux autres fils qui leur soient perpendiculaires, l’arc qu’ils intercepteront, sera égal à l’arc compris entre les véritables fils. On aura donc aussi, pour calculer la déclinaison, la même formule que ci-dessus (7), puisque l’intervalle des fils n’y entre pour rien. Quant à la correction du passage au fil, le triangle sphérique formé au pôle et aux deux points auxquels les parallèles des astres rencontrent un même fil, nous donnera

ou

ou encore

(8)

L’angle désigne bien la véritable inclinaison de parallèle, au point où il rencontre le fil, mars non celle du grand cercle ou l’inclinaison moyenne que nous avons employée précédemment. Leur différence, avec une déclinaison considérable, est à bien peu près égale à l’angle au pôle correspondant à la moitié de l’intervalle de temps On aurait plus exactement (fig. 4)

Les arcs de grands cercles interceptés ne sont cependant pas rigoureusement égaux. La formule (7), employée pour calculer les observations obliques, ne donnera donc qu’une approximation commode ; mais, comme il sera facile de diriger les fils parallèles à peu près vers le pôle, on obtiendra presque toujours une exactitude suffisante, sur-tout pour les régions polaires où il est bien difficile d’obtenir des observations même passables. Toutefois on pourrait désirer des formules plus rigoureuses. Cherchons-en donc de telles, au risque de les avoir un peu plus compliquées. Les triangles sphériques (fig. 5) nous fourniront

Substituant les arcs aux sinus très-petits, et les valeurs des angles au pôle trouvés ci-dessus (8), on aura

donc

Enfin, dans le triangle rectiligne rectangle on a

ou

Substituant pour sa valeur, assez approchée et, plus exactement déduite de l’équation transposant, et faisant pour abréger

en aura enfin

[2]

On pourrait objecter contre l’emploi de tous les réticules, en général, que les observations ne donnent que les arcs dont les droites interceptées entre les fils sont les tangentes, et qu’on leur applique cependant le calcul comme si c’était ces tangentes même. Examinons cette cause d’erreur, et cherchons à en apprécier la faible influence. L’expression de la tangente, en fonction de l’arc étant

soit une fraction quelconque, nous aurons

et

l’erreur sera donc

Différentiant cette expression, pour obtenir la valeur de qui répond au maximum, nous trouverons  ; substituant donc nous obtiendrons, pour la plus grande erreur exprimée en seconde,

Pour un arc de qui donne le maximum de l’erreur est pour ce sera différence bien insensible, dans ces sortes d’observations ; ce qu’il convenait de prouver, pour éloigner tout scrupule sur l’emploi des réticules, dans le vaste champ des chercheurs.

Les angles soutendus par des lignes égales, dans le milieu et sur les bords du champ, ne sont pas rigoureusement égaux. Pour trouver jusqu’où peut s’étendre leur différence ; soient deux arcs parallèles, répondant à des intervalles égaux du réticule, mais dont le premier se trouve dans le milieu du champ et le second vers les bords, et soit la distance de l’un à l’autre ; on trouvera

d’où

supposant et de chacun, nous aurons Pour ce sera erreurs encore à négliger, mais qu’il fallait vérifier, pour se rassurer entièrement.

Cette dernière correction est la même que celle que donnerait la différence de déclinaison des deux astres, lorsque l’un d’eux serait dans l’équateur ; mais elle deviendrait d’autant plus forte que la déclinaison serait plus considérable ; on aurait en effet

d’où

Pour de faibles déclinaisons les différentielles infinitésimales ne sont plus suffisamment exactes, et il faut recourir aux différentielles finies qui donneront

Si l’on fait ou on retombera effectivement sur la formule de correction précédente.


Séparateur

  1. Lalande attribue l’invention de ce réticule à Bradley, dont il porte le nom, quoique, d’après son compatriote Robert Smith (Cours complet d’optique, liv. III, chap. VIII, n.o 278), il ne fut l’inventeur que d’un réticule simplement angulaire, qu’on trouve encore dans les vieux instrumens anglais, et qui dans les observations orthogonales, laissait perdre un cinquième du champ. Le réticule de en perd encore environ un tiers.
  2. On pourrait parvenir moins directement à d’autres formules, en projetant les données sur un plan tangent à la sphère au lieu qu’occupent les astres qu’on observe, ou passant même par les co-tangentes des déclinaisons. Soit donc alors (fig. 6) le point où l’axe de la sphère rencontre le plan, et faisons

    Nous aurons

    Substituant, dans cette dernière équation, pour leurs valeurs, il viendra

    ou, en transposant et quarrant,

    ou, en réduisant,

    En posant, pour abréger,

    on tire de là

    et par suite

    Il faudrait, dans l’expression de substituer pour sa valeur, déduite de la déclinaison connue approximativement ; mais il sera plus convenable de chercher à dégager cette quantité même ; parce que se trouvant fonction de sa déclinaison, considérable dans ce cas-ci, s’obtiendra, par ce moyen, avec plus d’exactitude. Reprenons pour cela l’équation

    ou bien

    cela donne

    (11)

    Ayant, par supposition, une très-forte déclinaison, on pourra, sans appréhension, faire dans l’expression de mais il serait plus exact d’employer la déclinaison connue à peu près. Enfin, nous aurons, pour la correction du passage au fil

    (12)