Annales de l’Empire/Édition Garnier/Henri II

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HENRI II,
quinzième empereur.

À peine Henri de Bavière est-il couronné qu’il fait déclarer Hermann, duc de Souabe et d’Alsace, son compétiteur, ennemi de l’empire. Il met Strasbourg dans ses intérêts : c’était déjà une ville puissante. Il ravage la Souabe ; il marche en Saxe ; il se fait prêter serment par le duc de Saxe, par les archevêques de Magdebourg et de Brême, par les comtes palatins, et même par Boleslas, roi de Pologne. Les Slaves, habitants de la Poméranie, le reconnurent.

Il épouse Cunégonde, fille du premier comte de Luxembourg. Il parcourt des provinces ; il reçoit les hommages des évêques de Liége et de Cambrai, qui lui font serment à genoux. Enfin le duc de Saxe le reconnaît, et lui prête serment comme les autres.

Les efforts de la faiblesse italienne contre la domination allemande se renouvellent sans cesse. Un marquis d’Ivrée, nommé Ardouin, entreprend de se faire roi d’Italie ; il se fait élire par les seigneurs, et prend le titre de césar. Alors les archevêques de Milan commençaient à prétendre qu’on ne pouvait faire un roi de Lombardie sans leur consentement, comme les papes prétendaient qu’on ne pouvait faire un empereur sans eux, Arnolphe, archevêque de Milan, s’adresse au roi Henri : car ce sont toujours les Italiens qui appellent les Allemands, dont ils ne peuvent se passer, et qu’ils ne peuvent souffrir.

Henri envoie des troupes en Italie sous un Othon, duc de Carinthie. Le roi Ardouin bat ces troupes vers le Tyrol, L’empereur Henri ne pouvait quitter l’Allemagne, où d’autres troubles l’arrêtaient.

1004. Le nouveau roi de Pologne chrétien profite de la faiblesse d’un Boleslas, duc de Bohême, se rend maître de ses États, et lui fait crever les yeux, en se conformant à la méthode des empereurs chrétiens d’Orient et d’Occident. Il prend toute la Bohême, la Misnie, et la Lusace. Henri II se contente de le prier de lui faire hommage des États qu’il a envahis. Le roi de Pologne rit de la demande, et se ligue contre Henri avec plusieurs princes de l’Allemagne, Henri II songe donc à conserver l’Allemagne, avant d’aller s’opposer au nouveau césar d’Italie.

1005. Il regagne des évêques ; il négocie avec des seigneurs ; il lève des milices ; il déconcerte la ligue.

Les Hongrois commencent à embrasser le christianisme par les soins des missionnaires, qui ne cherchent qu’à étendre leur religion, pendant que les princes ne veulent étendre que leurs États.

Étienne, chef des Hongrois, qui avait épousé la sœur de l’empereur Henri, se fait chrétien en ce temps-là ; et heureusement pour l’Allemagne, il fait la guerre avec ses Hongrois chrétiens contre les Hongrois idolâtres.

L’Église de Rome, qui s’était laissé prévenir par les empereurs dans la nomination d’un roi de Pologne, prend les devants pour la Hongrie. Le pape Jean XVIII donne à Étienne de Hongrie le titre de roi et d’apôtre, avec le droit de faire porter la croix devant lui, comme les archevêques. D’autres historiens placent ce fait quelques années plus tôt, sous le pontificat de Silvestre II. La Hongrie est divisée en dix évêchés, beaucoup plus remplis alors d’idolâtres que de chrétiens.

L’archevêque de Milan presse Henri II de venir en Italie contre son roi Ardouin. Henri part pour l’Italie, il passe par la Bavière. Les états ou le parlement de Bavière y élisent un duc : Henri de Luxembourg, beau-frère de l’empereur, a tous les suffrages. Fait important qui montre que les droits des peuples étaient comptés pour quelque chose.

Henri, avant de passer les Alpes, laisse Cunégonde son épouse entre les mains de l’archevêque de Magdebourg. On prétend qu’il avait fait vœu de chasteté avec elle : vœu d’imbécillité dans un empereur.

À peine est-il vers Vérone que le césar Ardouin s’enfuit. On voit toujours des rois d’Italie quand les Allemands n’y sont pas ; et dès qu’ils y mettent les pieds, on n’en voit plus.

Henri est couronné à Pavie. On y conspire contre sa vie. Il étouffe la conspiration ; et après beaucoup de sang répandu, il pardonne.

Il ne va point à Rome, et, selon l’usage de ses prédécesseurs, il quitte l’Italie le plus tôt qu’il peut.

1006. C’est toujours le sort des princes allemands que des troubles les rappellent chez eux quand ils pourraient affermir en Italie leur domination. Il va défendre les Bohémiens contre les Polonais. Reçu dans Prague, il donne l’investiture du duché de Bohême à Jaromire. Il passe l’Oder, poursuit les Polonais jusque dans leur pays, et fait la paix avec eux.

Il bâtit Bamberg, et y fonde un évêché ; mais il donne au pape la seigneurie féodale : on dit qu’il se réserva seulement le droit d’habiter dans le château.

Il assemble un concile à Francfort-sur-le-Mein, uniquement à l’occasion de ce nouvel évêché de Bamberg, auquel s’opposait l’évêque de Vurtzbourg, comme à un démembrement de son évêché. L’empereur se prosterne devant les évêques. On discute les droits de Bamberg et de Vurtzbourg sans s’accorder.

1007. On commence à entendre parler des Prussiens, ou des Borussiens. C’étaient des barbares qui se nourrissaient de sang de cheval. Ils habitaient depuis peu des déserts entre la Pologne et la mer Baltique. On dit qu’ils adoraient des serpents. Ils pillaient souvent les terres de la Pologne. Il faut bien qu’il y eût enfin quelque chose à gagner chez eux, puisque les Polonais y allaient aussi faire des incursions ; mais dans ces pays sauvages, on envahissait des terres stériles avec la même fureur qu’on usurpait alors des terres fécondes.

1008-1009. Othon, duc de la basse Lorraine, le dernier qu’on connaisse de la race de Charlemagne, étant mort, Henri II donne ce duché à Godefroi, comte des Ardennes. Cette donation cause des troubles. Le duc de Bavière en profite pour inquiéter Henri ; mais il est chassé de la Bavière.

1010. Hermann, fils d’Ékard de Thuringe, reçoit de Henri II le marquisat de Misnie.

1011. Encore des guerres contre la Pologne. Ce n’est que depuis qu’elle est feudataire de l’Allemagne que l’Allemagne a des guerres avec elle.

Glogau existait déjà en Silésie. On l’assiége. Les Silésiens étaient joints aux Polonais.

1012. Henri, fatigué de tous ces troubles, veut se faire chanoine de Strasbourg. Il en fait vœu ; et pour accomplir ce vœu il fonde un canonicat, dont le possesseur est appelé le roi du chœur. Ayant renoncé à être chanoine, il va combattre les Polonais, et calme des troubles en Bohême.

On place dans ce temps-là l’aventure de Cunégonde, qui, accusée d’adultère après avoir fait vœu de chasteté, montre son innocence en maniant un fer ardent. Il faut mettre ce conte avec le bûcher de l’impératrice Marie d’Aragon[1].

1013. Depuis que l’empereur avait quitté l’Italie, Ardouin s’en était ressaisi, et l’archevêque de Milan ne cessait de prier Henri II de venir régner.

Henri repasse les Alpes du Tyrol une seconde fois ; et les Slaves prennent justement ce temps-là pour renoncer au peu de christianisme qu’ils connaissaient, et pour ravager tout le territoire de Hambourg.

1014. Dès que l’empereur est dans le Véronais, Ardouin prend la fuite. Les Romains sont prêts à recevoir Henri, Il vient à Rome se faire couronner avec Cunégonde. Le pape Benoît VIII change la formule. Il lui demande d’abord sur les degrés de Saint-Pierre : « Voulez-vous garder, à moi et à mes successeurs, la fidélité en toute chose ? » C’était une espèce d’hommage que l’adresse du pape extorquait de la simplicité de l’empereur.

L’empereur va soumettre la Lombardie. Il passe par la Bourgogne, va voir l’abbaye de Cluny, et se fait associer à la communauté. Il passe ensuite à Verdun, et veut se faire moine dans l’abbaye de Saint-Vall[2]. On prétend que l’abbé, plus sage que Henri, lui dit : « Les moines doivent obéissance à leur abbé : je vous ordonne de rester empereur. »

1015-1016-1017-1018. Ces années ne sont remplies que de petites guerres en Bohême et sur les frontières de la Pologne. Toute cette partie de l’Allemagne depuis l’Elbe est plus barbare et plus malheureuse que jamais. Tout seigneur qui pouvait armer quelques paysans serfs faisait la guerre à son voisin ; et quand les possesseurs des grands fiefs avaient eux-mêmes des guerres à soutenir, ils obligeaient leurs vassaux de laisser là leur querelle pour revenir les servir : cela s’appelait le droit de trêve.

Comment les empereurs restaient-ils au milieu de cette barbarie, au lieu d’aller résider à Rome ? c’est qu’ils avaient besoin d’être puissants chez les Allemands pour être reconnus des Romains.

1019-1020-1021. L’autorité de l’empereur était affermie dans la Lombardie par ses lieutenants ; mais les Sarrasins venaient toujours dans la Sicile, dans la Pouille, dans la Calabre, et se jetèrent cette année sur la Toscane ; mais leurs incursions en Italie étaient semblables à celles des Slaves et des Hongrois en Allemagne. Ils ne pouvaient plus faire de grandes conquêtes, parce qu’en Espagne ils étaient divisés et affaiblis. Les Grecs possédaient toujours une grande partie de la Pouille et de la Calabre, gouvernées par un catapan. Un Mello prince de Bari et un prince de Salerne s’élevèrent contre ce catapan.

C’est alors que parurent, pour la première fois, ces aventuriers de Normandie qui fondèrent depuis le royaume de Naples. Ils servirent Mello contre les Grecs. Le pape Benoît VIII et Mello, craignant également les Grecs et les Sarrasins, vont à Bamberg demander du secours à l’empereur.

Henri II confirme les donations de ses prédécesseurs au siége de Rome, se réservant le pouvoir souverain. Il confirme un décret fait à Pavie, par lequel les clercs ne doivent avoir ni femmes, ni concubines.

1022. Il fallait, en Italie, s’opposer aux Grecs et aux mahométans : il y va au printemps. Son armée est principalement composée d’évêques qui sont à la tête de leurs troupes. Ce saint empereur, qui ne permettait pas qu’un sous-diacre eût une femme, permettait que les évêques versassent le sang humain : contradictions trop ordinaires chez les hommes.

Il envoie des troupes vers Capoue et vers la Pouille, mais il ne se rend point maître du pays ; et c’est une médiocre conquête que de se saisir d’un abbé du Mont-Cassin déclaré contre lui, et d’en faire élire un autre.

1023. Il repasse bien vite les Alpes, selon la maxime de ses prédécesseurs de ne se pas éloigner longtemps de l’Allemagne. Il convient avec Robert, roi de France, d’avoir une entrevue avec lui dans un bateau sur la Meuse, entre Sedan et Mouzon. L’empereur prévient le roi de France, et va le trouver dans son camp avec franchise. C’était plutôt une visite d’amis qu’une conférence de rois ; exemple peu imité.

1024. L’empereur fait ensuite le tour d’une grande partie de l’Allemagne dans une profonde paix, laissant partout des marques de générosité et de justice.

Il sentait que sa fin approchait, quoiqu’il n’eût que cinquante-deux ans. On a écrit qu’avant sa mort il dit aux parents de sa femme : « Vous me l’avez donnée vierge, je vous la rends vierge ; » discours étrange dans un mari, encore plus dans un mari couronné. C’était se déclarer impuissant ou fanatique. Il meurt le 14 juillet ; son corps est porté à Bamberg, sa ville favorite. Les chanoines de Bamberg le firent canoniser cent ans après. On ne sait s’il a mieux figuré sur un autel que sur le trône.


  1. Voyez tome XI, page 385.
  2. Saint-Vannes.