Annales de l’Empire/Édition Garnier/Adolphe de Nassau

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ADOLPHE DE NASSAU,
vingt-neuvième empereur,
après un interrègne de neuf mois.

1292. Les princes allemands, craignant de rendre héréditaire cet empire d’Allemagne, toujours nommé l’empire romain, et ne pouvant s’accorder dans leur choix, font un second compromis, dont on avait vu l’exemple à la nomination de Rodolphe[1].

L’archevêque de Mayence, auquel on s’en rapporte, nomme Adolphe de Nassau, par le même principe qu’on avait choisi son prédécesseur. C’était le plus illustre guerrier de ces temps-là, et le plus pauvre. Il paraissait capable de soutenir la gloire de l’empire à la tête des armées allemandes, et trop peu puissant pour l’asservir. Il ne possédait que trois seigneuries dans le comté de Nassau.

Albert, duc d’Autriche, fâché de ne point succéder à son père, s’unit contre le nouvel empereur avec ce même comte de Bourgogne, qui ne veut plus être vassal de l’Allemagne ; et tous deux obtiennent des secours du roi de France Philippe le Bel. La maison d’Autriche commence par appeler contre l’empereur ces mêmes Français que les princes de l’empire ont depuis si souvent appelés contre elle. Albert d’Autriche, avec le secours de la France, fait d’abord la guerre en Suisse, dont sa maison réclame la souveraineté. Il prend Zurich avec des troupes françaises.

1293. Albert d’Autriche soulève contre Adolphe Strasbourg et Colmar. L’empereur, à la tête de quelques troupes que les fiefs impériaux lui fournissent, apaise ces troubles.

Un différend entre le comte de Flandre et les citoyens de Gand est porté au parlement de Paris, et jugé en faveur des citoyens. Il était bien clairement reconnu que, depuis Gand jusqu’à Boulogne, Arras, et Cambrai, la Flandre relevait uniquement du roi de France[2].

1294. Adolphe s’unit avec Édouard[3], roi d’Angleterre, contre la France ; mais, comme il craint un aussi puissant vassal que le duc d’Autriche, il n’entreprend rien. On a vu depuis renouveler plus d’une fois cette alliance dans des circonstances pareilles.

1295. Une injustice honteuse de l’empereur est la première origine de ses malheurs et de sa fin funeste : grand exemple pour les souverains ! Albert de Misnie, landgrave de Thuringe, l’un des ancêtres de tous les princes de Saxe, qui font une si grande figure en Allemagne, gendre de l’empereur Frédéric II, avait trois enfants de la princesse sa femme. Il l’avait répudiée pour une maîtresse indigne de lui ; et c’est pour cela que les Allemands lui avaient donné avec justice le surnom de Dépravé. Ayant un bâtard de cette concubine, il voulait déshériter pour lui ses trois enfants légitimes. Il met ses fiefs en vente malgré les lois ; et l’empereur, malgré les lois, les achète avec l’argent que le roi d’Angleterre lui avait donné pour faire la guerre à la France.

Les trois princes soutiennent hardiment leurs droits contre l’empereur. Il a beau prendre Dresde et plusieurs châteaux, il est chassé de la Misnie, et toute l’Allemagne se déclare contre cet indigne procédé.

1296. La rupture entre l’empereur et le roi d’Angleterre d’un côté, et la France de l’autre, durait toujours. Le pape Boniface VIII leur ordonne à tous trois une trêve, sous peine d’excommunication.

1297. L’empereur avait plus besoin d’une trêve avec les seigneurs de l’empire. Sa conduite les révoltait tous. Venceslas, roi de Bohême, Albert, duc d’Autriche, le duc de Saxe, l’archevêque de Mayence, s’assemblent à Prague. Il y avait deux marquis de Brandebourg ; non qu’ils possédassent tous deux la même marche ; mais, étant frères, ils prenaient tous deux le même titre. C’est un usage qui commençait à s’établir. On accuse l’empereur dans les formes, et on indique une diète à Égra pour le déposer.

Albert d’Autriche envoie à Rome solliciter la déposition d’Adolphe, C’est un droit qu’on reconnaît toujours dans les papes quand on croit en profiter.

Le duc d’Autriche feint d’avoir reçu le consentement du pape, qu’il n’a pourtant pas. L’archevêque de Mayence dépose solennellement l’empereur au nom de tous les princes. Voici comme il s’exprime : « On nous a dit que nos envoyés avaient obtenu l’agrément du pape ; d’autres assurent que le pape l’a refusé ; mais, n’ayant égard qu’à l’autorité qui nous a été confiée, nous déposons Adolphe de la dignité impériale, et nous élisons pour roi des Romains le seigneur Albert, duc d’Autriche. »

1298. Boniface VIII défend aux électeurs, sous peine d’excommunication, de sacrer le nouveau roi des Romains. Ils lui répondent que ce n’est pas là une affaire de religion.

Cependant Adolphe, ayant dans son parti quelques évêques et quelques seigneurs, avait encore une armée. Il donne bataille le 2 juillet, auprès de Spire[4] à son rival : tous deux se joignent au fort de la mêlée. Albert d’Autriche lui porte un coup d’épée dans l’œil. Adolphe meurt en combattant, et laisse l’empire à Albert.


  1. Voyez année 1273.
  2. Voyez 1252 et 1285.
  3. Édouard, premier du nom, dans la dynastie des Plantagenet, mort en 1307.
  4. Ou plutôt près de Worms. (Cl.)