Veuve Duchesne (p. 217-220).


XLIVme LETTRE.

Sir Edward Stanhope,
à Sir Augustin Buckingham ;
à Londres.

Si j’avois compté ſur toi pour me diſtraire dans la retraite qu’on me fait obſerver, il paroît que j’aurois pu périr d’ennui ; mais je ne m’en ſuis rapporté qu’à moi, & j’ai préſentement réuſſi ſur un point ſeulement ; c’eſt à dire, qu’il ne m’eſt pas arrivé une ſeule fois de déſirer quitter ces lieux. Mais, mon cher Auguſtin, je n’en ſuis pas plus heureux. L’amour me conſume, je brûle, je languis, & ne puis fléchir mon inhumaine.

Tu ſais que j’avois formé le projet de chercher dans les environs un objet de diſſipation ; je l’ai trouvé à trois milles d’ici. Une Fille de ſeize ans a ſur le champ captivé tous mes ſens. La charmante Peggi, eſpèce de Servante d’un Fermier de ***, eſt faite pour poſſéder une couronne, & pourtant elle vit dans l’état le plus bas ; le croiras-tu, mon Ami, elle s’y plaît, & ne veut point en changer. J’ai cent fois mis ma fortune à ſes pieds ; un refus a toujours été ſa réponſe. Cependant je ne lui ſuis point indifférent, elle me l’a dit ; bien différente en cela de nos coquettes. Elle me voit avec plaiſir, & n’accepte rien de ce que mon amour lui offre. Quel étrange caractère ! pluſieurs fois j’ai oſé dérober des faveurs, on m’a grondé ; mais on n’en conſerve nulle rancune. Un jour je la ſurpris trayant les vaches : nous étions ſeuls : je l’enlève dans mes bras & la poſe ſur une botte de paille. Elle me repouſſe d’une main vigoureuſe, ſa force ſurpaſſe la mienne ; en un moment elle eſt libre, me jette ſur la paille qu’elle venoit de quitter, & regagne, en chantant, la vache que je lui avois fait abandonner. — Ne vous y jouez plus, Mylord, me dit-elle doucement, je n’aime pas qu’on en uſe ainſi avec moi ; & elle continua ſa chanſon. Ses Maîtres l’aiment beaucoup, & ce n’eſt qu’à regret qu’ils lui voyent faire des ouvrages auſſi pénibles. Mais elle hait l’oiſiveté, malheureuſement pour moi ; car j’ai toujours remarqué qu’une Femme qui ſait s’occuper, fait plus rarement des fautes que les autres.

Mon Père me croit Chaſſeur déterminé. Tous les jours je m’abſente du Château ſous ce prétexte. Liquorice m’accompagne ſeul, il tue quelques pièces de gibier dont je me fais honneur, tandis que je paſſe ma vie chez le Bon-homme Slope (C’eſt le nom du Fermier chez lequel demeure ma Peggi) ; il voit ſans peine mon aſſiduité auprès d’elle. — Je connois la ſageſſe de cette belle Fille, Mylord, m’a-t-il dit, les premiers jours, & je vous crois incapable d’en uſer librement avec elle. Vous ſaurez d’ailleurs que je la chéris comme ſi elle étoit mon enfant ; voilà les conſidérations qui doivent vous arrêter, ſi vous étiez dans le cas de méſuſer de la permiſſion qu’on vous donne de vous trouver avec elle. Tu juges bien que j’ai appuyé ſur la juſtice qu’on rendoit à ma façon de penſer, mais je n’en ai pas moins fait mon poſſible pour réuſſir avec la charmante Peggi. Il eſt vrai, & je dois en convenir à ma honte, que je ne ſuis guère plus avancé que le premier jour. Cet aveu eſt modeſte, & au deſſus de ta portée. Apprends-moi où tu en es avec ta Fanny. C’eſt, ſans doute, une affaire terminée : car tu ne traînes pas en longueur celles de cette eſpèce. Mande-moi auſſi ſi tu as fait la cour à Miſs Roſe-Tree, & comment on a reçu ta déclaration.

Edward Stanhope.

De Pretty-Lilly, ce … 17