Anna Rose-Tree/Lettre 104

Veuve Duchesne (p. 160-161).


CIVme LETTRE.

Miſtreſs Goodness,
à Betsy Goodness, ſa Fille ;
à Clermont-en-Auvergne.

Graces à mes ſoins, ma chère petite, te voilà dans le chemin de la fortune ! Ton Amant eſt riche, il t’aime ; c’eſt à toi à faire le reſte. Je me flatte que tu ne m’oublieras pas, & que tu ne négligeras aucunes occaſions de m’être utile. Mon ſort n’eſt point encore aſſuré ; les douze mille livres que le Marquis de F*** m’a remis, ne peuvent pas me ſuffire pour le commerce que j’entreprends : mon Aſſociée en a mis deux fois autant ; mais tu connois aſſez la valeur des bijoux pour ſavoir qu’on ne peut en avoir beaucoup pour trente-ſix mille livres. Notre boutique eſt très-achalandée ; cependant je ne me trouve pas ſouvent les choſes qu’on demande : tâche donc, ma chère petite, de m’envoyer quelques centaines de louis. Ne perds pas de vue que plus le Marquis… aura fait pour toi, & moins il aura envie de te quitter ; tu l’as éprouvé plus d’une fois. On s’attache par ſes dons : Suppoſe des fantaiſies, au premier refus prends de l’humeur, & tu n’en éprouveras pas un ſecond. Tu peux, ſans crainte, profiter de mes avis, mon expérience t’en garantit la ſolidité. Si tu continues à aimer de F***, tu reſteras toujours avec lui : ſi, au contraire, tu t’en laſſes, fais-toi faire des rentes ; cet objet, tes bijoux, & de l’argent que tu auras mis de côté, te fourniront une fortune aſſez conſidérable pour te paſſer des autres, ou pour faire un établiſſement avantageux & agréable. Avec de l’or, ici, on peut prétendre à tout. J’attends ta réponſe, ma petite, & j’eſpère qu’elle ſera conforme à mes déſirs. Adieu, Betſy, ma tendreſſe eſt toujours la même.

Sophie Goodness.
De Paris, ce … 17