Anna Rose-Tree/Avertissement

Veuve Duchesne (p. 3-6).

AVERTISSEMENT.


En 1780, il a paru deux Ouvrages de moi ; c’étoit mon coup d’eſſai. Le Public indulgent a bien voulu donner quelques éloges à mes foibles productions, ſans doute pour m’encourager. Senſible à ſes bontés, j’ai cru n’y pouvoir mieux répondre qu’en travaillant de nouveau à les mériter.

J’ai redoublé de zèle, & bientôt deux volumes ſe ſont trouvé en état d’être imprimés. Des évènemens ſans nombre m’ayant éloignée de Paris, trois années ſe ſont écoulées, ſans qu’il m’ait été poſſible de les mettre au jour : je n’en ſuis pas pour cela reſtée dans l’inaction ; deux autres Ouvrages n’attendent pour aller à la cenſure que le jugement que prononcera ſur celui-ci ce même Public à qui il m’importe de plaire, & à qui je ſacrifie volontiers mes veilles, pourvu qu’en échange, il ne me traite pas avec trop de rigueur.

Preſque tous les Auteurs s’empreſſent, dans une longue Préface, d’aſſurer leurs Lecteurs que leurs livres ne ſont pas des Romans. Ces exemples multipliés ne me ſéduiront pas ; je leur dis, moi, avec franchiſe, voici un Roman que je vous préſente ; ſi les évènemens qu’il renferme ne ſont pas vrais, intéreſſeront-ils moins ? Souvent le vrai n’eſt pas vraiſemblable, & comme c’eſt ce dernier qui perſuade, je me ſuis attachée à n’en jamais ſortir.

Je dois auſſi une réponſe à pluſieurs perſonnes qui m’ont demandé pourquoi l’on trouvoit ſi peu de morale dans mes ouvrages : voici comme je me juſtifie. L’on ne perſuade pas par des raiſons, il faut des exemples, je les offre dans tout le courant de l’hiſtoire : le vice puni, la vertu récompenſée, cette morale fait plus de proſélytes que cent pages où l’on dit & redit de dix façons différentes qu’il faut être ſage pour arriver au ſouverain bonheur. Quand un Héros ou une Héroïne de Roman intéreſſe, on aime à ſe mettre à leur place & à les imiter ; je peins les miens comme je voudrois que tout le monde fut.