Maison Aubanel père, éditeur (p. 145-147).

IV


Jacques continua ainsi ses voyages pendant les mois de mai, juin, juillet et août, et à amasser l’or dans la cave des Guillou.

Angéline avait souvent supplié Jacques de discontinuer ses voyages.

— Vous avez assez d’or pour acheter la Côte, lui dit-elle un jour. Pourquoi vous exposer ainsi inutilement ?

— Je vous demande encore un mois de grâce et je vous promets ensuite de me consacrer entièrement à vous.

— Je crains quelque malheur, Jacques ; non pas que je n’aie pas confiance en votre habileté, mais les pressentiments des femmes ne sont pas à dédaigner.

— Plaise à Dieu, que les vôtres le soient, répondit Jacques en badinant. Le 23 septembre vous sera-t-il agréable pour notre mariage ?

— Jacques ! ne jouez pas avec le feu, plus d’un s’y est brûlé !

— Le seul feu que je craigne, est le feu de l’enfer. De celui-là Dieu m’en garde !

— Qu’il vous garde aussi des dangers, puisque vous ne voulez pas suivre mes conseils. Je vais prier pour vous avec plus d’ardeur.

— Avec cela, ma chère fiancée, je ne crains rien.

Les pressentiments d’Angéline étaient cependant justes, car le premier samedi de septembre ne vit pas revenir le grand oiseau blanc que tout le monde considérait maintenant comme faisant partie de la vie quotidienne.

Deux jours, deux semaines et deux mois s’écoulèrent sans que Jacques donnât signe de vie. On organisa des battues partout à travers la forêt mais sans résultat pratique.

Angéline eut beau prodiguer l’or que son fiancé lui avait confié, toutes richesses furent inutiles.

Elle alla finalement confier ses peines au curé qui lui avait toujours témoigné une attention spéciale.

— Tous les sauvages ne sont pas encore partis pour la chasse ? dit le curé.

— Non, mais je crois qu’ils sont sur le point de partir, car les patrouilleurs m’ont rapporté qu’ils étaient tous rendus à Natashquan, leur point de ralliement.

— Je vais prévenir immédiatement le Père missionnaire. J’envoie incessamment un télégramme pour les avertir d’avoir à rapporter toute information qu’ils pourraient recueillir.

— Offrez aussi une récompense, Monsieur le Curé, le montant importe peu.

— C’est bien, en effet, le meilleur moyen d’obtenir des renseignements, car leur sympathie pour les blancs n’est pas très grande depuis que la disette de la morue a contraint ceux-ci à envahir leur territoire de chasse.

— Il ne faut pas les blâmer, Monsieur le Curé, car c’était bien à eux ce pays avant que la persécution ait obligé les Acadiens à se réfugier ici, pour y faire la pêche.

— En effet, ma fille ; mais ils sont si grands enfants ? je crains même que, si vous leur offrez une récompense, ils ne vous rapportent des histoires fantaisistes, soit pour la satisfaction de vous faire plaisir ou pour avoir votre or.

— Mais, nous exigerons des preuves ! Leurs histoires ne serviraient-elles qu’à raviver mon courage, j’en serais encore heureuse ; car si vous saviez comme il en faut peu à une âme brisée comme la mienne, pour lui donner un nouveau souffle de vie. Tenez, à chaque fois que les patrouilles reviennent, j’ai toujours un rayon d’espoir et cela me fait du bien et me donne le courage de continuer mes recherches.

— Je vous comprends, mon enfant, et je partage votre douleur. Vous auriez bien été la digne épouse du brave capitaine disparu. Ah ! à propos ? c’est demain, le 23, que vous deviez vous marier ?

— Oui, Monsieur le Curé, et le sublime sacrifice s’offre à la place du bonheur suprême auquel j’aspirais.

Votre âme de chrétienne, Angéline, triomphera de cette épreuve ; mettez encore une fois votre confiance en Notre-Dame de la Garde !

— Je l’ai assez priée, mon Père, pour en avoir épuisé tout mon vocabulaire, et je ne lui demanderai qu’une chose : qu’elle soit Notre-Dame de la Recouvrance.

— Dieu vous garde ! lui dit le bon curé en prenant congé d’elle.

Angéline sortit du presbytère plus résignée et, après une visite au petit sanctuaire blanc qui aurait dû le lendemain ouvrir ses portes pour son mariage avec Jacques, elle alla rendre visite à Antoinette Dupuis qui, à son tour essaya de la consoler de son mieux.