Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors (éd. 1733)/12
CHAPITRE XII.
uſſitôt que les Troupes des aſſiègeans
furent aſſemblées, on avança
vers Cythére. D’abord on examina
le quel des côtès de la plaçe etoit le plus
foible á fin de l’attaquer par là. Il ſe
tint á ce ſujet un grand conſeil de guerre,
où Les ſentimens furent partagés ;
La plus part des Généraux vouloient
qu’on commença par s’emparer des deux
groſſes Tours : Mais Teuscotoſer officier
de réputation parmi les Omines, fut d’un
avis contraire. Il ſoutint qu’il falloit aller
tout de ſuite au corps de la plaçe ;
Puis addreſſant la parolle á Kulisber, Il
lui dit.
Le poſte éminent que vous occupez eſt une preuve certaine de la ſupériorité de vos talens. Jamais on ne vous auroit vu à notre tête, ſi l’on ne vous avoit pas jugé digne de nous commander. Mais pour reuſſir dans cette guerre, Il ne ſuffit pas de joindre, comme vous faites, la prudence au courage, Il faut encore connôitre á fond le génie des peuples que nous allons combattre. Permettez moi de le dire, Seigneur, Jusqu’içe vous n’avez eu affaire qu’a des Chadabers. Cette Nation eſt bien differente des Cythéréennes : Ce n’eſt qu’á force de tems & de patience qu’on vient á bout de ſoumettre les premiers. Au contraire il faut attaquer les autres brusquement, & ne pas leur donner le loiſir de ſe reconnôitre. Si j’ai acquis quelque gloire dans les differens combats ou je me ſuis trouvé, Je puis dire que je n’ai du mes ſuccés qu’á la promptitude avec la quelle je me ſuis jetté ſur l’ennemi auſſitôt qu’il parôiſſoit. Je fondois ſur lui avec impétuoſité ; De ſorte que le voir, l’attaquer & le vaincre étoit la même choſe pour moi. Bien des perſonnes ſe ſont repenties d’avoir ſuivi une méthode toute oppoſée. Quand une Cythéréenne a le tems de ſe remettre du trouble ou la jette la préſence d’un guerrier redoutable, Il eſt bien difficile alors d’en pouvoir tryompher ; Elle ſe tient ſur ſes gardes, éxamine tous vos mouvemens, prévoit toutes vos demarches, & ſe met en état de n’avoir rien á craindre de votre part. C’eſt pour quoi, ſi l’on veut m’en croire, Nous tacherons de prendre la ville d’aſſaut ; J’avouë qu’il y a du danger : Mais les perils peuvent’ils intimider des cœurs tels que les notres ? Pour moi, je ſuis prêt à donner l’exemple & á montrer á toute l’armée ce qué peut un Omine animé par le deſir d’acquérir de la gloire.
En même tems il prend ſes armes qui étoient en trés bon état, les fait briller aux yeux de l’aſſemblée, & demande qu’on le laiſſe marcher á l’ennemi.
Kulisber fut trés mécontent de cette harangue. Il ne pût ſouffrir qu’on doutât de ſes lumiéres ; C’eſt pour quoi il ſe rangea du parti de ceux qui vouloient qu’on fit le ſiége dans toutes les formes. En conſéquence il déclara qu’il falloit commencer par attaquer les ouvrages extérieurs devant que d’aller au corps de la plaçe.
Quand toutes les opérations eurent été réglées, la ville ne tarda pas d’être inveſtie. Bientôt aprés la tranchée fut ouverte. On commanda quelques compagnies de Panutiers pour s’emparer des deux groſſes tours. Mais ils furent repouſſés vivement, & n’oſerent point retourner une ſeconde fois á la charge.
Pendant ce tems lá on délibéroit á Cythére pour ſavoir ſi on ne lacheroit pas les écluſes qui retenoient les eaux du fleuve Nerui. Si cette réſolution eut été ſuivie, c’en étoit fait des aſſiégeans ; mais il fut décidé á la pluralité des voix, qu’on auroit point recours á des moyens extraordinnaires, que l’on ne devoit jamais employer que dans le cas d’une néceſſité trop urgente.