Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors (éd. 1733)/10
CHAPITRE X.
és qu’il fut queſtion des troubles qui
alloient allumer cette ſanglante
guerre entre les Cythéréennes & les Ebugors,
Chacun des deux partis tacha de ſe
ménager une alliance avec les Brularnes
eſpéce de Peuple Républicain, & de les
engager á ſe déclarer pour ou contre.
C’etoit une négotiation trop difficile & méme
impoſſible. Ces peuples plutôt ennemis
qu’Amis des Ebugors qu’ils voïent avec horreur,
n’ont pour les Cythéréennes qu’une
indiférence invincible. Ce qui fait qu’ils
n’ont aucun commerce avec ces deux Nations.
D’ailleurs, ſans ſortir de chez
eux, Ils peuvent fournir á tous leurs beſoins.
Telle eſt leur Politique, que quelques
grands que ſoient leurs revenus, Ils
ne ſont pas d’humeur á les prodiguer au
ſervice d’autrui. S’ils font de la dépenſe,
Ce n’eſt que dans le particulier ; Les effets
n’en rejailliſſent que ſur eux ſeuls,
& point dutout ſur l’ètranger. Avec de
telles diſpoſitions il n’eſt point étonnant
qu’ils refuſaſſent de prendre part dans une
querelle qui ne pouvoit leur procurer aucun
avantage. Les Cythéréennes eurent beau
leur repreſenter les ſervices qu’elles leur
avoient généreuſement rendus en plus
d’une occaſion, On leur répondit brutalement
que ces ſervices avoient été bien
payés & qu’on ne ſe croioit par conſéquent
obligé á aucune recconnôiſſance.
Les Ebugors faiſoient entendre que ſi les
habitans de Cythére avoient le deſſus, Ils
chercheroient immanquablement á ſe
vanger de l’indiférence que leur témoignoient
les Brularnes. Ceux ci déclarerent
hautement, que tandis qu’ils auroient
l’uſage de leurs mains, Ils n’avoient
rien á craindre ; De ſorte que, tout
conſidéré, Ils s’en tinrent á la neutralité,
& permirent, ſeulement, á ceux de
leurs ſujets, qui avoient envie de faire
quelques campagnes, d’aller ſervir en
l’une ou l’autre armée en qualité de volontaires ;
Mais ils ne voulurent point
qu’ils s’y engageaſſent entierrement áfin
d’être toujours prets á revenir á leur
corps á la premiére ſommation qui leur
en ſeroit faite.