Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors (éd. 1733)/08

Chapitre VIII


CHAPITRE VIII.


Mœurs des Ebugors, Caractère de
Bluciſer[ws 1].



Les Ebugors ou Modofiſtes ſont un peuple fort ancien, Ils formoient autre fois un corps de Nation. Modoſe étoit la capitale de leurs états. Un Egan, (c’eſt le nom que l’on donne à certains ambaſſadeurs) paſſant un jour par cette ville, fut gracieuſement accueilli par les principaux habitans : Quoi qu’on ne ſût pas le caractére dont ce jeune ſeigneur étoit revétu, comme il étoit d’une figure aimable, chacun vint lui offrir ſa maiſon. Il accepta celle d’un bourgeois nommé Tol : les autres jaloux de cette préférence, vinrent inſulter le voyageur chez ſon hôte – l’Egan ſort brusquement & part pour aller porter ſes plaintes au Roi ſon mâitre ; Celui ci pour venger ſon Ambaſſadeur, fit tirer á boulets rouges ſur la ville de Modoſe & la réduiſit en cendres. Depuis ce tems Les Ebugors ſons diſperſés dans tous les lieux du Monde. Les descendans de ce Peuple malheureux, aprés avoir errè long-tems arrivérent á Séthane, où ils ſe ſoutinrent avec honneur pendant un espace de tems aſſez conſidérable. Ils firent dans ce pays pluſieurs proſélites, parmi les quels on compte le fameux Aſcrote. De nouveaux malheurs les obligerent. de paſſer en Elitia : On leur accorda dans ce pays de ſi grands priviléges, qu’ils oubliérent leurs anciennes disgraces. On les vit même parvenir aux plus éminentes dignités.

Le nombre des Modoſiſtes augmentant tous les jours, Ils réſolurent d’envoyer des Colonies dans quelques uns des états voiſins, ils tachérent de s’établir dans le Royaume des Valges : Thirosiren les reçût favorablement, Mais aprés la mort de ce Roi, ils ne furent pas fort conſiderés. Pour ſe procurer un établiſſement favorable parmi les Valgois, ils travaillerent à mettre dans leurs interrêts la plus haute Noubleſſe, & ils réuſſirent.

Il faut apréſent faire connôitre les mœurs d’un peuple qui fait aujourd’hui tant de bruit dans le monde. Les Ebugors ſont naturellement ſpirituels, ennemis des préjugés & d’un caractére fort liant ; Leur commerce eſt dangereux. En votre préſence ils vous font mille proteſtations d’amitié, tandis que par derriére ils vous rendent de fort mauvais offices. Ce ſont des ſoldats hardis, la crainte du feu ne les a jamais arrêtés ; faut il pénétrer dans une place, Ils n’examinent pas ſi la bréche eſt praticable : Ils déchirent, ils mettent en piece tout ce qui s’oppoſe à leur fureur ; Les cris des bleſſés ne ſont pas capables de les émouvoir ; Mais aprés l’action, Ils deviennent beaucoup plus traitables : Quoi qu’on en diſe, leur ſervice n’eſt pas gracieux, & je ſuis perſuadé qu’on entre plutôt dans ce corps par vanité que par gôut.

Ils avoient à leur tête Kulisber. Ce Général avoit fait ſes premiéres campagnes parmi les Caginiens : Aprés avoir paſſé ſucceſſivement par tous les emplois ſubalternes, Il parvint au premier grade militaire ; ſon mérite ſeul l’éleva à cette ſublime dignité. C’étoit un homme zélé pour ſa Nation, & prêt á ſacrifier tout pour elle ; Actif, entreprenant, plein de feu, Il n’aimoit pas á combatre en raſe compagne ; Il ſe tiroit beaucoup mieux d’affaire dans le defilé le plus étroit. Sa valeur ſe trouvant alors reſſerée, ſe roidiſſoit contre les obſtacles, & franchiſſoit avec impétuoſité les plus fortes barriéres.

  1. Note de WS : Il s’agit en fait de Kuliſber (Briſe c. l)