Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors (éd. 1733)/04
CHAPITRE IV.
n a ſouvent fait des deſcriptions de
l’iſle de Cythére ; Mais les auteurs
ne ſe ſont pas toujours piquès d’exactitude :
Les uns aveuglés par la prévention,
les autres ſe laiſſant emporter par
le reſſentiment. Les Poëtes, ſelon leur
coutume, ont pris plaiſir à embellir ces
lieux aux depens de la vérité. Le devoir
d’un Hiſtorien fidele eſt de dire les
choſes telles qu’elles ſont. Ceux qui
connôiſſent la carte de ce pays verront
ſi j’ai cherché à en impoſer au public.
Cythére eſt placée ſous la Zone torride :
les chaleurs par conſéquent doivent
y être exceſſives : Auſſi le ſang bouillonne
dans les veines de qui conque met
le pied pour la première fois dans ce
brulant climat. Ce n’eſt qu’après un
long ſéjour que cette fermentation diminuë
inſenſiblement. Le Ciel n’y eſt
pas toujours pur & ſerein : On-y eſt expoſé
à de malignes influences ; Pour
s’en garentir il faut avoir la précaution
de porter certain habillement d’une peau
trés fine appellé Docnon, avec le quel on a
point à craindre le mauvais air. Au milieu
de l’Iſle on voit la capitale qui eſt au
fond d’un vallon délicieux, elle eſt de figure
ovale : Pluſieurs rangs d’arbres plantés
ſur les remparts forment les plus agréables
points de Vuë qu’on puiſſe imaginer.
A quelque diſtance, s’élevent
deux groſſes tours qu’il eſt néceſſaire de
prendre avant d’attaquer le corps de la
place. Les faubourgs ont beaucoup d’étenduë
& les Voyageurs s’y arrêtent
quelque fois pour en conſidérer les beautés :
Mais on n’y voit demeurer
habituellement que des Alabandiſes ; C’eſt
le nom que l’on donne à une troupe de
gens laches & mous qui n’ont pas la
permiſſion d’entrer dans la Ville.