Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors (éd. 1733)/02

Chapitre II


CHAPITRE II.


Manifeſte des Ebugors contre Les
Cythéréennes



„Personne n’ignore à quel haut dègré de puiſſançe ſont parvenuës les Cythéréennes ; Cette ambitieuſe Nation s’eſt toujours perſuadée que les hommes ſont faits pour être ſes esclaves : Tous les jours on la voit s’agrandir par de nouvelles conquêtes ; il ſemble qu’elle aſpire à la Monarchie Univerſelle, Mais c’eſt moins á ſon courage qu’á la foibleſſe de ſes adverſaires, qu’elle eſt redevable de ſes ſuccès, Car les Cythéréennes n’ont qu’á ſe montrer pour remporter la Victoire. Un ſeul de leurs regards ſuffit pour terraſſer l’ennemi, qui aprés ſa défaite ſe voit condamné á un honteux Esclavage : La perte de ſa liberté n’eſt pas le ſeul des maux qu’il ait à ſouffrir, il faut encore Eſſuyer les caprices de ces imperieux Tirans, Executér ſans délai leurs ordres, les plus injuſtes, baiſer même avec reſpect les fers ſous le poids des quels ils vous accablent. Ce n’eſt qu’après avoir ſacrifié la meilleure partie de leurs biens que les captifs peuvent rompre leurs chaines, ou lors que la délicateſſe de leur complexion, ou les infirmités de la vieilleſſe les mettent hors d’état de ſupporter les travaux aux qu’els ils ſont condamnés. Malgrè des traitemens ſi durs, Perſonne ne fait ſes efforts, pour ſe ſouſtraire á cette affreuſe Tiranie. L’amour que nous portons à nos ſemblables nous oblige de prendre les armes en leur faveur. C’eſt á nous de ſecourir des malheureux qui n’ont pour toute nouriture que des ſoupirs & des larmes, que les ſoucis & les inquiétudes empèchent de goutér les douceurs du ſomeil ; dont les corps foibles & abbatus ſont un indice certain des rigueurs qu’on exerce á leur égard ; Il faudroit être inſenſè pour n’être pas touché á la vûe d’un tel ſpectacle : Peut on manquer d’approuvér notre conduite, quand on ſaura les louables motifs qui nous déterminent á déclarer la guerre. Il eſt de notre intérêt comme de notre gloire de détruire une Nation qui ne cherche á aſſujétir les hommes que pour les rendre miſérables.

Les Cythéréennes, dont ce n’eſt pas la coutume de demeurer ſans réplique répandirent auſſi de leur côté un manifeſte detaillé dont voici le contenu.