Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors. Statuts des sodomites au XVIIe siècle./III/21

Texte établi par Jean HervezBibliothèque des curieux (éditions Briffaut) (p. 109-112).

Bandeau de début de chapitre
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CHAPITRE XXI

STRATAGÈME DONT SE SERVENT
LES CYTHÉRÉENNES POUR AFFAIBLIR
L’ARMÉE DES ASSIÉGEANTS


Separateur-7-Vaguelettes orienté bas
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Les Cythéréennes, craignant à la fin de succomber sous les efforts de leurs ennemis, travaillèrent à détacher les Caginiens de l’alliance qu’ils avaient contractée avec les Ebugors. Pour cela, elles firent jouer une machine qui pensa leur réussir. Ce fut de Calederia[1] qu’on se servit pour cette importante affaire. Ripergader, commandant des Caginiens, avait des liaisons intimes avec les principales de la garnison ; par leur canal, il n’ignorait rien de tout ce qui se passait. Tous les secrets de Cythère lui étaient révélés, jusque-là qu’il était même instruit des moindres détails. C’est ainsi qu’il réglait toutes ses opérations sur les connaissances qu’il acquérait.

Calederia fit en sorte de s’introduire dans les bonnes grâces de Ripergader. Elle en vint à bout. Bientôt elle ne songea plus qu’à faire tourner à l’avantage de sa nation l’amitié que lui portait cet officier général. Après avoir réfléchi sur les moyens les plus propres à faire réussir son entreprise, elle s’avisa d’un stratagème fort singulier. Elle se frotta les pieds et les mains du sang qu’elle venait de répandre à l’honneur de la déesse Lenula. Dans cet état, elle va trouver son Caginien.

« Les dieux protecteurs de Cythère, lui dit-elle du ton d’une sibylle inspirée, vous ordonnent par ma voix d’abandonner le parti des Ebugors. Depuis longtemps vous nous faites une guerre injuste : cette conduite vous déshonore dans l’esprit de tous ceux qui n’ont pas des inclinations perverses. Calmez des bruits qui vous sont injurieux, et faites voir au monde entier que, si quelquefois un Caginien peut donner dans le travers, il peut aussi bien qu’un autre enfiler le droit chemin, lorsqu’il vient à le connaître. Au reste, si vous ne voulez pas vous rendre à mes discours, du moins ne soyez point rebelle aux dieux dont je suis l’interprète. Voyez, ajouta-t-elle en se découvrant, les marques sanglantes que je porte sur mon corps ; c’est la divinité même qui les a imprimées sur moi, pour que vous ne puissiez révoquer en doute les grands mystères que je viens de vous révéler. »

Ripergader est saisi de crainte et d’étonnement à la vue de ce spectacle ; il tombe aux genoux de Calederia et baise avec respect ces empreintes sacrées. Il jure un dévouement éternel aux Cythéréennes et donne sur-le-champ à leur ambassadrice des preuves convaincantes du zèle dont il se sent embrasé pour la nation ; cependant, il prend des mesures pour qu’on ne s’aperçoive pas qu’il a changé de parti ; mais, il eut beau faire, toutes ses précautions ne purent empêcher que l’affaire ne transpirât. Les Caginiens firent tous leurs efforts pour l’assoupir, mais inutilement. On tint un grand conseil de guerre, où tout d’une voix le coupable fut déclaré digne d’un châtiment exemplaire. Cependant, le crédit de ses confrères le tira de ce mauvais pas. On lui ordonna les arrêts pour quelque temps ; et ce fut toute la punition que l’on fit subir à cet homme qui, après s’être engagé solennellement avec les Ebugors, fut sur le point de les abandonner et de ruiner par là le parti d’un peuple avec lequel les Caginiens avaient toujours été très étroitement unis.


Vignette de fin de chapitre
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  1. Anagramme de Mlle la Cadière, la pénitente et l’accusatrice du Père Girard. Voir en appendice les notes relatives à ce procès.