Anecdotes pour servir à l’histoire secrète des Ebugors. Statuts des sodomites au XVIIe siècle./III/13

Texte établi par Jean HervezBibliothèque des curieux (éditions Briffaut) (p. 79-82).

Bandeau de début de chapitre
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CHAPITRE XIII

SUPPLICE D’UN EBUGOR ESPION


Separateur-7-Vaguelettes orienté bas
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Les Ebugors, voulant reconnaître les forces de la place, résolurent d’envoyer un espion qui pût avec adresse leur en rapporter un fidèle compte. Leur choix pour cet effet tomba sur un jeune officier de bonne mine et qui paraissait très propre à s’acquitter de cette commission. Celui-ci se chargea volontiers d’un si périlleux emploi. Après qu’on lui eût donné les instructions nécessaires, il prit des habits de Cythéréenne, et à la faveur de ce déguisement il s’introduisit dans la ville. On le prit d’abord pour une étrangère qui venait tenter fortune : ses attraits lui procurèrent un accès facile dans toutes les maisons. On lui offrit de l’emploi, et pour l’engager à prendre parti, on lui fit entendre qu’avec les bonnes qualités qu’il paraissait avoir, il ne pouvait pas manquer de faire son chemin. Il répondit de son mieux à des discours aussi obligeants, et refusa tout ce qu’on pouvait lui proposer de plus avantageux. Personne ne pouvait pénétrer les motifs d’une conduite si extraordinaire ; on était accoutumé, à Cythère, à voir les gens exercer de très bonne heure leurs talents. L’espion profitait cependant de l’erreur où l’on était sur son compte pour examiner tout ce qui se passait ; il n’aurait peut-être même jamais été découvert sans une aventure qu’il eut avec un Meauraque. Ce dernier était un garçon d’une aimable figure, auquel l’Ebugor fit quelques agaceries ; on lui répondit sur le même ton. Le Meauraque est d’abord renversé, l’officier se jette sur lui, tire son poignard, est prêt à frapper ; l’autre, saisi de frayeur, jette les hauts cris. La garde vole et s’empare des deux combattants. L’espion est reconnu ; les Cythéréennes, indignées contre le traître qu’elles avaient reçu dans leur sein avec tant de complaisance et d’humanité, demandent vengeance avec une juste fureur que leur inspirait la honte d’avoir été presque les dupes de ce fourbe. Leur demande était juste : bientôt son procès est instruit ; il est condamné au supplice de la Veconofeutrie. C’est le châtiment que les Ebugors ont le plus en horreur. Le coupable écouta sa sentence sans la moindre marque d’altération ou de faiblesse ; mais bientôt sa fermeté l’abandonna, lorsqu’il vit paraître à ses yeux l’instrument fatal de son supplice. Il frémit à la vue du cloaque infect qui l’allait engloutir.

Ce cloaque, appelé Canelos en langue du pays, est une espèce de gouffre dont les bords sont hérissés de broussailles qui servent de repaire à un nombre prodigieux d’insectes tenaces, dont la piqûre est insupportable : on les nomme Piromons. Dès qu’un malheureux en approche, ces animaux s’en emparent, le tourmentent sans relâche et se remplissent de son sang, qu’ils sucent avec une avidité que rien ne ralentit. En vain entreprendrait-on de les détruire l’un après l’autre ; l’unique moyen de se soustraire à leur rage est d’employer une sorte de poison que l’on nomme Gont Sirguen. Les côtés intérieurs du gouffre sont souvent occupés par d’autres animaux encore plus dangereux appelés Heneracs. Ceux-ci, par leur morsure cruelle, communiquent leur poison et multiplient en quelque sorte leur être. Au fond est un lac d’une eau sale, puante, verdâtre et empoisonnée qui distille sans cesse le long des parois du canelos. C’est là-dedans qu’on précipite le criminel, et lorsqu’il est au fond il est obligé de faire jouer une pompe foulante et aspirante par le moyen de laquelle il se voit inondé de cette même eau bourbeuse au milieu de laquelle il expire. C’est de cette manière que se vit traiter l’espion infortuné des Ebugors.


Vignette de fin de chapitre
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