Anecdotes pathétiques et plaisantes/Chapitre VIII
CHAPITRE VIII
ORIGINE DU MOT « BOCHE »
Dès le début de la guerre, on s’est demandé quelle était l’origine du mot « Boche », abrégé d’Alboche, par lequel on désigne vulgairement notre plus implacable ennemi.
Parmi les nombreuses explications qui ont été données nous rappellerons celles-ci pour ce qu’elles ont de curieux ou d’amusant :
Les Alsaciens, parlant des Allemands d’outre-Rhin, les appelaient les Altdeutschen, les vieux Allemands, ce qui, en patois alsacien, avec une prononciation atténuée des consonnes, était entendu par les Français comme Alldoches, mais le d, pour nous, était dur à prononcer, et nous répétions Alboche… Puis nous avons raccourci le mot qui est devenu « Boche »…
Le mot « Boche », écrit un lecteur de la Liberté, ne viendrait-il pas de Teutobochus, le roi des Teutons, qui, en compagnie des Cimbres, envahirent la Gaule 102 ans av. J.-C., et furent défaits par Marius près d’Aix-en-Provence ? Teutobochus orna le triomphe de Marius.
C’était, paraît-il, un géant d’une force surprenante.
En 1613, on trouva près du château de Chaumont, en Dauphiné, d’énormes ossements (qui, d’ailleurs, provenaient d’un mammouth) ; mais un chirurgien du nom de Mazurier en fit un assemblage à sa façon et les promena dans toute la France en les faisant passer comme étant la dépouille du Teutobochus (Teutobochus rex, disait-il aux braves gens de ce temps).
« Boche » pourrait donc bien venir de ce nom, et « Alboche » serait un amalgame du mot allemand dans lequel la terminaison mand serait remplacée par boche.
Un autre lecteur du même journal écrit :
Le mot « Alboche » dérive, par corruption, du mot Altdeutsch (vieil Allemand) par lequel les Alsaciens ont coutume de désigner les Allemands.
Dans l’Écho des tranchées du 17e territorial, M. Émile Faguet, de l’Académie Française, publie cet amusant commentaire sur le mot « Boche ».
Boche, quelle que soit son origine, que j’ignore, a été consacré par l’usage qui en a été fait. Il a crépité au milieu de la fusillade, au milieu des éclats des obus, dans les furieuses rumeurs de la mêlée. Il est français, parce qu’il est sorti des bouches les plus héroïquement, les plus saintement françaises. Il a reçu le baptême du feu. Il n’y a pas de baptême plus beau. Il n’y a pas de plus splendide naturalisation. Quoique très récent, il est historique. Il fait partie de l’histoire de France et de l’histoire européenne. Il est court, net, vif et robuste. Il est précis et vigoureux comme une détonation. On ne pourra guère écrire l’histoire de 1914-1915 sans en user. Il dira la mâle gaieté de nos soldats, leur endurance, leur défi jeté à la mort. Il dira leur âme de héros traversée de gouailleries d’écoliers.
Enfin rappelons, pour terminer ce chapitre, cette plaisante anecdote où les Boches sont comme toujours ridiculisés par nos vaillants habitants du Nord :
Un habitant de Lille, qui a pu quitter la région envahie en passant par la Belgique et la Hollande, nous cite le fait suivant qui prouve que, malgré leur pénible situation, les Lillois n’ont rien perdu de leur gaieté.
Certains Allemands se plaisant à dire, à tout propos, aux habitants : « Convenez que nous sommes de bons Boches, nous autres », un pince-sans-rire s’est empressé de répondre : Oui, vous êtes de vrais bamboches, ce qui les flatta, n’ayant pas compris que leur interlocuteur faisait allusion aux marionnettes auxquelles ils ressemblent chaque fois qu’ils exécutent leur fameux pas de parade.
Et, depuis ce jour-là, lorsque les Lillois admirent — oh ! combien ! — les soldats allemands exécutant le « pas de l’oie », ils leur crient joyeusement : « Vrai ! quels bamboches vous êtes ! » — compliment dont les autres paraissent très touchés.