Anecdotes pathétiques et plaisantes/Chapitre IV
CHAPITRE IV
ANECDOTES BELGES
Les fameuses oies du Capitole à Rome ont trouvé en Belgique des successeurs dignes de leur réputation. Du côté de Pervyse, où le pays est inondé sur une distance de 3 kilomètres, il y a un château isolé qui constitue un point stratégique capital pour l’observation des mouvements de troupes. Il est occupé par les Allemands et, quoique les murs aient été renversés par les bombardements successifs, les Allemands vivent dans les caves.
Les Belges font des efforts méritoires pour s’emparer de ce poste isolé. Toutes les nuits, l’infanterie belge tente une attaque et espère bien un de ces jours réussir, mais ses tentatives ont échoué jusqu’à présent par la faute des oies. Il y a en effet encore une quantité d’oies dans la cour de la ferme, et quoique les Allemands apprécieraient certainement la cuisson de ces volatiles, un ordre a été donné pour les épargner, car à l’approche des ennemis les oies se mettent à glousser d’une façon bruyante, avertissant les Allemands qu’un danger les menace.
Plusieurs Liégeois venus en France nous ont conté cette anecdote prouvant, une fois de plus, le plaisir que prennent nos amis de Belgique à berner leurs oppresseurs.
Le jour du Nouvel An, les soldats allemands qui se trouvaient à Liège désirant se montrer aimables envers les habitants, les abordèrent en leur posant cette question : « Eh bien, kamarades, comment ça va-t-il ? » Et les interpellés de répondre sur un ton grave et sarcastique : « Ça va mau ! » Ce qui veut dire en patois : « Ça va mal ! »
Dés le lendemain, les Boches, qui avaient cru que cette phrase signifiait tout le contraire, c’est-à-dire ça va bien ! s’empressaient de répondre à ceux qui leur demandaient des nouvelles de la guerre : Ça va mau ! ça va très mau ! !
On conçoit quelle était la joie de la population, heureuse de ridiculiser ces pauvres Boches.
Dans les environs de Bruges, les Allemands ont posé sur tous les passages à niveau des tableaux avec cette inscription flamande : Verboden over den ijzeren weg te gaan. Ce qui veut dire : « Il est interdit de traverser la voie ferrée. »
L’autre jour, quelques gamins de bonne humeur ont effacé les deux lettres en qui terminent le mot ijzeren (de fer).
L’inscription se présentait alors sous cette forme : Verboden over den ijzer weg te gaan. Ce qui veut dire : « Il est interdit de traverser l’Yser. »
On s’imagine la rage des Allemands à l’aspect de l’inscription modifiée. Falsifier ainsi le texte officiel, comme s’il s’agissait d’une simple dépêche d’Ems ! Ils cherchent toujours les coupables.
La ville de Gand a été le théâtre d’une série d’incidents du plus haut comique.
Les Boches qui entendent s’emparer de tout par la force brutale ou par la contrainte, ont imaginé, connaissant la richesse des caves gantoises, de mettre le grappin sur tous les vins. Ils ont donc fait afficher une proclamation de la Kommandantur déclarant que les habitants devraient, dans les huit jours, faire connaître, en vue des réquisitions prochaines, la quantité exacte des bouteilles en leur possession ; toutefois, il était permis à tout citoyen d’en posséder personnellement un maximum de cinquante.
Ce fut tout d’abord, parmi la bourgeoisie de la vieille cité flamande, un commencement de révolution ; bientôt pourtant les esprits se ressaisirent. On tint de petits conciliabules, des réunions privées et familiales. De graves décisions en sortirent. Les Allemands n’auraient pas le vin ; dût-on le faire couler dans la boue du ruisseau et dans la fange des égouts, le jus de la treille resterait la propriété exclusive du sol gantois.
Le principe ainsi posé fut admis. Il importait maintenant de l’appliquer. Le point fut vite trouvé. On mettrait le vin en dépôt ; plus simplement encore, on donnerait aux amis et connaissances le surplus des cinquante bouteilles individuellement possédées. C’est ce qui fut fait. Dès le lendemain, on vit des véhicules de toutes sortes : charrettes, brouettes, tombereaux transportant le vin mystérieusement emballé, au hasard de la ville. Et quand, quelques jours après, la Kommandantur prit connaissance des déclarations des citoyens et vit qu’il y avait si peu de vin dans la ville, le gouverneur eut un geste d’impatience :
— Tas de foleurs ! s’écria-t-il ; ils font me le bayer très cher !
Il y a quelques jours, les Allemands affichaient, dans toutes les localités du pays de Liège, les « résultats » d’une bataille livrée en Prusse Orientale. Ils déclaraient avoir fait 52.000 prisonniers et avoir mis 40 canons hors d’usage.
Les loustics se sont amusés à effacer les trois zéros et à les ajouter au chiffre de canons endommagés. Et, le lendemain, le communiqué allemand, ainsi transformé, annonçait gravement :
« Nous avons fait 52 prisonniers et mis 40.000 canons hors d’usage. »
Cette plaisanterie ne fut pas du goût de la Kommandantur, qui ordonna le couvre-feu dans le pays de Liège à 7 heures du soir au lieu de 10.
Le « populaire » Liégeois, qui s’est bien rendu compte que la guerre où nous sommes mêlés est, comme on l’a dit, la lutte de la civilisation contre la barbarie, n’a pas tardé, voyant les drapeaux belges et français fraternellement unis dans cette lutte, à établir de curieux rapprochements, formulés avec une amusante concision.
— Paris, dit-il, est décidément toujours la « Ville-Lumière ».
Et, comme il veut marquer le rapport qui existe, depuis les faits héroïques que l’on connaît, entre Paris et Liège, il reprend :
— Paris est la « Ville-Lumière » ; Liège est… le bec de gaz !
Voici un autre trait de malice flamande à l’égard des Boches.
Récemment, des lettres anonymes parviennent à la Kommandantur de Bruges, assurant que deux officiers belges étaient restés en ville et qu’ils ne craignaient pas de se montrer en armes. On donnait même les noms de ces officiers belges : Breydel et De Coninck. Les autorités allemandes ouvrirent aussitôt une enquête et les recherches aboutirent à leur faire connaître que les deux officiers belges n’étaient autres que… les deux héros de la guerre des communiers flamands, dont les statues s’élèvent sur la Grand’Place de Bruges.
La reine des Belges a donné à maintes reprises l’exemple d’un splendide courage. Un jour elle allait en pleine ligne de feu prodiguer ses encouragements et ses consolations aux blessés. Un major s’approcha d’elle et, respectueusement, lui fit remarquer à quel danger elle était exposée. « Laissez, dit-elle doucement. Ils visent mal et je ne suis guère grosse ! »
L’occupation de Bruxelles par les Boches n’empêche pas nos amis belges de se livrer à leurs « zwanzes » favorites aux dépens même de leurs éphémères vainqueurs.
À Bruxelles, nous raconte-t-on, un officier allemand s’en va, dans un salon de coiffure, se faire raser. On lui réclame 50 centimes.
— Mais, hier, j’ai payé 30 !
— Oui, mais maintenant vous avez la figure bien plus longue.
Voici, d’autre part, le récit d’une autre « zwanze » à l’actif du bourgmestre Max :
Quelque temps après l’arrivée à Bruxelles du maréchal von der Goltz, celui-ci fit appeler le bourgmestre Max dans son cabinet.
— Monsieur le Bourgmestre, dit von der Goltz, la ville a été frappée d’une contribution de guerre dont elle n’a pas encore payé un centime. Je vous ordonne de verser le premier échelon de cette indemnité — c’est-à-dire au moins 5 millions — en or, dans un délai de quarante-huit heures.
— Monsieur le Maréchal, répondit M. Max, dont l’œil pétillait de gaieté, vous serez obéi…
Le jour même, le bourgmestre fit appeler tous les chefs de district de son département et leur donna, à ce sujet, de précises instructions. Il faut croire que celles-ci n’avaient rien que de joyeux, car, quand M. Max les eut détaillées, un formidable éclat de rire fit retentir le bureau.
Les quarante-huit heures du délai accordé étant écoulées, le bourgmestre de Bruxelles se fit annoncer chez le maréchal von der Goltz. Quatre employés de l’Hôtel de Ville le suivaient, ployant sous le poids d’énormes paquets.
— Monsieur le Maréchal, dit M. Max, voici la somme demandée.
Von der Goltz déchira l’enveloppe de l’un des paquets, en sortit une liasse de papiers et l’examina. Puis, blême de colère :
— Comment avez-vous l’audace ?… s’écria-t-il… Je vous ai réclamé de l’or et vous m’apportez des bons de réquisition de l’armée allemande ! Vous vous moquez de moi, Monsieur.
— Ces bons ne sont-ils pas remboursables ? demanda M. Max de son air le plus naïf.
— Évidemment, répondit le maréchal… Mais…
— Mais, dit M. Max, les officiers qui les signèrent m’ont déclaré que c’était de l’or en barre. Je vous rends cet or. Que pouvez-vous exiger de plus ?
Il est vrai que quarante-huit heures après M. Max se voyait arrêter et expédier à la forteresse d’Ingolstadt… Sans aucune élégance, le maréchal prenait sa revanche.
L’Allemagne au-dessus de tout.
On rit beaucoup à Anvers d’un mot qui eut pour auteur un brave citadin, mot qui fit tout de suite fortune à la confusion des Boches.
Les Allemands se sont, en quelque sorte, emparés de plusieurs établissements où ils entendent régner en maîtres ; ils se comportent même de façon à en exclure tout élément civil. Il en est ainsi, notamment, pour certains vieux cabarets qui, avant l’arrivée des Teutons, faisaient les délices des Anversois.
Des soldats se trouvaient donc en masse dans un établissement du port ; ils chantaient à tue-tête leur fameux Deutschland über alles (L’Allemagne au-dessus de tout).
Agacé par ce refrain que les barbares s’obstinaient à vociférer sans merci, un consommateur, Anversois de race, se leva et se mit à entonner sur un air improvisé par lui : Maar toch niet über den Yser (L’Allemagne au-dessus de tout… mais pas au-dessus de l’Yser).
Les Allemands entrèrent dans une rage folle et, après avoir lâchement maltraité l’auteur de cette délicieuse plaisanterie, ils le firent jeter en prison.