Anecdotes pathétiques et plaisantes/Chapitre III
CHAPITRE III
ANECDOTES ANGLAISES
Les épisodes douloureux se succèdent tellement nombreux au cours de cette guerre, qu’il convient d’être reconnaissant à ceux qui, mus par un sentiment plus particulier de la fantaisie et de l’humour, tendent d’en rompre le poignant cortège.
Tel ce soldat anglais, dont l’aventure nous est contée à peu près en ces termes par le « témoin » oculaire attaché à l’état-major du maréchal French :
« Errant dans un bois, séparé du détachement dont il faisait partie, le soldat X… aperçut sur la route un factionnaire ennemi. Il lui eût, certes, été facile d’épauler sa carabine — c’était un cavalier — et d’abattre le Boche. Mais le brave troupier de S. M. le roi George ne se sentait pas à ce moment d’humeur à fusiller l’homme. Il était trop de sang-froid ou plutôt en veine d’humour. Se précipitant à pas glissants à la suite du Teuton, il lui allongea prestement par derrière le plus magistral coup de pied que jamais fusilier de la Garde de Potsdam ait récolté. Le factionnaire, si entraîné qu’il fût au régime du dressage à la prussienne, ne consentit pas à perdre son temps à s’enquérir de la qualité de son… interlocuteur. Il joua vivement de ses grosses jambes et… disparut en un clin d’œil du côté de sa tranchée. »
Il y a deux mois, un officier anglais, dans le Nord, parti seul en mission, se perd au milieu des champs et, sans se douter du péril, marche droit vers les lignes ennemies. Il est remis dans son chemin par un pauvre mendiant qui n’a pas su fuir assez vite la guerre et qui s’en va devant lui, avec un violon. L’officier, reconnaissant, donne au chemineau une poignée de schellings.
La semaine dernière, dans une ville de la Côte d’Azur, l’officier, blessé et en traitement, fait sa première promenade. Au bord de la mer, il aperçoit son mendiant, qui a traversé toute la France en jouant ses petits airs pitoyables. Le vieux le reconnaît aussi et, tirant de sa poche les schellings d’autrefois :
— Ah ! mon officier, s’écrie-t-il, que je suis heureux de vous retrouver ! Avec cet argent-là, vous m’avez sauvé la vie. Partout, dans les villages, au cabaret, quand j’avais bu, je tendais une pièce anglaise. Et comme ça n’a pas cours, on me la rendait en me faisant cadeau du coût de vin. Vous êtes vraiment un bien brave homme !…
Quand les marins anglais eurent coulé le Dresden, ils virent flotter, parmi les épaves, un énorme cochon qui, s’étant échappé du croiseur allemand, nageait éperdument vers leur bord et rejoignait bientôt le bâtiment britannique, sur lequel on le hissa, tandis que l’équipage l’acclamait de retentissants « hurrahs ».
Après quoi, en qualité de bon nageur, on lui décerna la « Croix de fer », découpée pour la circonstance dans un morceau de carton. Et, depuis ce temps, l’heureux cochon boche se prélasse, à titre de « mascotte », à bord du bâtiment de la marine royale.
Dernièrement, dans une ville de l’Ouest où se trouve un important dépôt de l’armée britannique, on donna au théâtre une soirée pour fêter le départ d’un contingent vers le front.
Presque tous les numéros furent fournis par la troupe, et ces chanteurs amateurs obtinrent un vif succès, non seulement parmi leurs camarades, mais encore auprès de tous les assistants.
Tout à coup, il se produisit un brouhaha, suivi d’un vif moment d’attention : un homme, vêtu de l’uniforme kaki, venait de paraître sur la scène, mais cet homme avait une autre allure que les précédents. Ce n’était ni plus ni moins qu’un des colonels des régiments stationnés dans la ville.
Allait-il faire un discours ? Pas du tout. L’orchestre joua une ritournelle, et le colonel, le plus naturellement du monde, chanta une chansonnette anglaise en vogue. Quand il eut fini, on applaudit, on clama :
— Hip ! hip ! hurrah ! bis !
Alors le colonel s’avança vers la rampe et dit, en français :
— Je ai chanté la chanson que je connaissais ; si je savais une autre, je chanterais aussi ; mais je sais pas, et alors je vous prie seulement de crier avec moi : « Vive la France ! Vive l’Angleterre ! »
Et tout le public cria, tandis que les soldats anglais s’étaient levés pour applaudir frénétiquement ce chef, qui savait qu’il ne risquait pas de compromettre son
autorité en chantant pour ses frères d’armes.Le soldat anglais aime aussi bien que le français à se distraire ; aussi a-t-il recours dans les tranchées à toutes sortes de jeux amusants.
Lorsque la liste de ces jeux est épuisée ou devient par trop monotone, les soldats anglais organisent une loterie qui ne manque certes pas d’originalité.
Chaque homme met une cigarette à la « poule », et le premier d’entre eux qui « descend » un Allemand gagne toute la collection.
Une fois ils durent s’arrêter au beau milieu d’une partie, faute de munitions, et, lorsqu’ils en eurent obtenu de nouvelles, le boute-en-train du détachement mit en face des tranchées une boîte à biscuits sur laquelle étaient grossièrement tracés les mots suivants : « Business as usual » (ouvert comme d’ordinaire), pour montrer à l’ennemi que la petite séance continuait.
Le jeu des Allemands consiste surtout à invectiver et injurier par microphones les occupants des tranchées leur faisant face.
C’est — nous dit un officier d’état-major français qui a eu le plaisir de dîner avec elle à la table de M. de Broqueville, le ministre belge — la charmante fille de Lord F…, qui est depuis cinq mois ambulancière de l’avant. Habillée virilement, costume kaki, bottes jaunes, béret en tricot, elle vit à peu près dans la tranchée pour relever et soigner les blessés. Aussi jolie que vaillante, elle est très populaire sur tout le front du Nord où elle fut de toutes les batailles, notamment sur l’Yser et à Dixmude. Ses préférés sont nos fusiliers marins. Il faut l’entendre dire avec son accent anglais des mots d’argot : « J’aime beaucoup ces petits fusiliers : ils sevez très bien « zigouiller » les Boches ! » Ou encore à un officier qui portait un passe-montagne bizarre : « Aoh ! Sir, vous avez un drôle de « galurin ! »
Catherine Loir, une jeune fille aveugle, du Yorkshire, a eu la touchante pensée d’envoyer à l’amiral Jellicoe une écharpe, bleu de mer, qu’elle tricota elle-même. L’amiral, à bord de l’Iron-Duke, a fait répondre par son secrétaire, et voici en quels termes un amiral anglais correspond avec une jeune fille anglaise :
« L’amiral, voyant votre écharpe, la prit et dit : « Je mettrai l’écharpe de la chère petite Catherine quand j’aurai très froid… » C’est qu’il fait très froid dans la mer du Nord. Parfois, la neige tombe si abondamment que nous ne voyons pas où nous allons ! Nous passons fréquemment près des mines allemandes et nous savons que, si nous ne les apercevions pas, l’Iron-Duke exploserait ! Pendant que nous songeons à cela, grâce à Dieu, nos navires empêchent les Allemands de débarquer en Angleterre et de maltraiter nos filles et nos garçons, et c’est un grand réconfort pour nous de savoir que de chères petites filles, comme vous, pensent à nous, prient pour nous et consacrent leurs loisirs à travailler pour nous. L’amiral aime beaucoup les petites filles, car il en a quatre…
« Votre affectionné,
Une pauvre repasseuse d’un village tessinois vient d’hériter d’une somme de 100.000 francs dans de curieuses circonstances.
Il y a dix ans, alors qu’elle était âgée de dix-huit ans, elle était employée dans un hôtel de l’Oberland. D’une rare beauté, elle attira l’attention d’un jeune Anglais en séjour, très riche, et qui la demanda en mariage. Les fiançailles eurent lieu, mais le père s’opposa à la conclusion du mariage. Il rappela son fils et fit remettre une somme de 5.000 francs à la jeune fille, qui la refusa en répondant que l’amour ne s’achète ni ne se vend. Elle avait pourtant bien besoin de cet argent, car elle entretenait sa vieille mère et trois frères et sœur.
Dans une lettre touchante, le fiancé prit congé de son amie en lui jurant une fidélité éternelle. Mais, comme il ne voulait pas désobéir à l’ordre paternel, il ne pouvait plus penser à un mariage. Cependant, quoique fils unique, il ne se marierait jamais et il dicterait dans son testament ce qu’il croyait être son devoir.
Or, l’autre jour, un notaire apprenait à la jeune fille qu’un officier anglais, tombé dans une bataille en Belgique, lui léguait une somme de 100.000 francs.
C’était son fiancé qui, mort au champ d’honneur, avait ainsi prouvé que dix ans de séparation n’avaient pas éteint ses premières affections.
Dans une tranchée, prés de X…, des Écossais subissent stoïquement le feu ennemi auquel, cette fois, des shrapnels se mêlent en supplément. Soudain deux soldats, deux simples privates, s’aperçoivent que le Français qui est attaché à leur bataillon comme interprète est assis à l’endroit le plus restreint de la tranchée et est mal à l’aise pour tirer. « Le Français n’est pas bien, dit l’un d’eux, il faut aller lui élargir sa place. » Et, sachant fort bien qu’ils vont servir de cible à l’ennemi, tous deux prennent leur bêche, sortent de la tranchée et vont jusqu’au Français. Pendant prés d’une minute, sans prendre garde aux balles qui sifflent autour d’eux, ils élargissent le fossé le plus tranquillement du monde ; puis, avec le même calme, ils vont reprendre leur place et leur fusil.
Un soldat du génie anglais, revenant à Lagny, raconte le trait d’héroïsme suivant accompli par un highlander.
Cent cinquante soldats de cette arme étaient chargés de tenir un pont. Soudain, les Allemands, dissimulés derrière un bois, ouvrirent le feu, et une force ennemie beaucoup plus considérable que celle des highlanders se précipita vers le pont.
Malgré une défense énergique, les soldats écossais succombèrent sous le nombre.
Tous furent tués, à l’exception d’un seul, qui, chargeant sur ses épaules le seul canon Maxim dont la petite force disposait, le transporta à l’extrémité du pont et, bravement, fit face à l’attaque allemande. Tranquillement assis derrière sa pièce, il tira, tira… jusqu’à ce qu’à son tour il tombât mort.
Mais son magnifique dévouement n’avait pas été inutile ; les Allemands avaient été retardés suffisamment pour que des renforts vinssent donner avec succès la chasse à l’ennemi.
Le corps de l’héroïque highlander, relevé par des soldats, ne portait pas moins de trente blessures.