Anecdotes pathétiques et plaisantes/Chapitre II

Librairie militaire Berger-Levrault (p. 13-47).

CHAPITRE II

ANECDOTES FRANÇAISES


ANECDOTES PLAISANTES

Le foie d’oie.


Un poilu de la 3e compagnie du 131e territorial venait d’être blessé fort gravement.

On l’avait transporté à l’ambulance, et chacun s’empressait de soulager les souffrances de notre compatriote. Celui-ci, péniblement, fit un effort pour parler. Il demanda à voir son capitaine. On appela le capitaine, qui, tout ému à la pensée de recueillir les dernières volontés d’un mourant, lui prodigua de bonnes et affectueuses paroles.

Alors notre Quercynois lui déclara :

— Mon capitaine, j’ai dans mon sac un foie d’oie qu’on m’a envoyé du pays. Je ne voudrais pas qu’il fût perdu et je vous demande de le faire donner aux hommes de mon escouade.

Qu’en pensez-vous, mes poilus ? Est-ce qu’une telle préoccupation à un tel moment n’est pas une belle chose ?

Ajoutons que sa fraternité a porté une fière chance à notre poilu, car il est guéri maintenant ; ses camarades de l’escouade ont mangé le foie d’oie…, et il en a mangé avec eux.

La pêche miraculeuse.


Un maréchal des logis du 2e génie, reparti au front après avoir été guéri d’une blessure qu’il reçut à la cuisse par un éclat d’obus, a raconté ce qui suit :

Nous installions un pont sur la Meuse, au début d’octobre. Les premiers jours, les Allemands bombardaient nos travaux, de l’aube au coucher du soleil. Je vous assure qu’ils ne plaignaient pas les munitions employées. Les grosses marmites pleuvaient. Puis le bombardement se ralentit, et nous ne reçûmes les pruneaux que par intermittence. Or, toutes les fois que les obus tombaient dans la Meuse, l’explosion étourdissait les poissons, qui venaient à la surface du fleuve, le ventre en l’air. Par la nacelle, nous procédions à une pêche d’un nouveau genre, ayant à la main le képi en guise d’épuisette. Et nous bénissions ainsi ces pauvres Boches qui nous procuraient une ration supplémentaire. Mais tel n’était pas l’avis de notre commandant. Nous voyant nous exercer à ce sport imprévu, il me donna l’ordre de ne pas quitter mon poste et d’interdire pareille distraction à mes hommes.

Que voulez-vous ? Je n’eus pas le courage de priver ces derniers et je ne transmis pas les paroles du commandant.

Deux ou trois jours après cet incident, j’étais sur le pont avec mon chef qui surveillait les réparations, lorsque deux grosses marmites tombèrent dans la Meuse, en aval des travaux. Les hommes, d’instinct, quittèrent leur abri, sautèrent dans la nacelle et, comme d’habitude, allèrent « cueillir » les poissons. Le commandant se fâcha, me gratifia de huit jours de consigne. Je m’excusai en lui disant que je n’avais pas le cœur de priver mes braves pontonniers d’une friandise. Je n’avais pas achevé de prononcer ces derniers mots qu’un nouvel obus tombe sur l’abri où auraient dû se trouver les hommes et réduit la construction en miettes. Il y eut un long silence et le commandant, prenant sa tête entre ses mains, s’écria : « C’est vraiment une providence ! Les malheureux auraient été écrabouillés ! »

Alors, vous savez, on est habitué au danger et, moitié apeuré, moitié souriant, j’eus la force de dire à mon officier : « Faut-il que je porte mes huit jours de consigne ? — Allons, n’insistez pas, me répondit-il, je vous le répète, c’est la Providence. Oublions tout cela. »


Le soldat acrobate.


C’est un artiste forain de Lyon, nommé Durez, et qui, au cirque, s’appelle Williams et remplit les rôles de clown. Il a pris l’habitude d’imiter l’accent anglais. Les soldats, ses camarades, l’appellent le « Saltimbanque », ce qui le fâche. « Je été un’aâtiste et pas un saaltimbank. » L’autre jour, dans un village de la Somme, sa compagnie était mitraillée par l’ennemi invisible.

— S’il y avait un observateur un peu dégourdi qui voulût grimper sur la cheminée qui est là-bas, on saurait où sont les Boches, dit un capitaine.

Durez s’approche et dit simplement :

— Moâ, je veux bien aller.

Il enlève son sac, ses souliers, et le voilà, son lebel en bandoulière, qui grimpe comme un chat. Arrivé dans le haut, il nous renseigne sur la position allemande et, malgré la grêle de balles autour de lui, il tire de son mieux sur les Allemands, inconfortablement installé d’ailleurs sur un « mitron ».

Tout à coup, il lâche son arme, pique une tête… On se précipite vers lui, on le croit mort. Alors, d’un saut léger, croisant sa jambe gauche sur la jambe droite, les deux mains levées, l’index à la hauteur des oreilles, il salue et annonce : « Le Saaut de la Mort. »

Et, le soir, il était proposé pour la médaille militaire.

Les Allemands, refoulés en grand désordre des défilés des Vosges et notamment du col de la Schlucht, venaient d’arriver aux portes de Colmar, quand un habitant de la ville, M. S…, depuis longtemps signalé à la haine de l’oppresseur et résolu à lui échapper, comprit que le moment était venu, peut-être, de pouvoir gagner la frontière française.

En effet, quelques compagnies mixtes de chasseurs alpins arrivaient devant la capitale de la Haute-Alsace peu de temps après les troupes débandées du Kaiser, et nos braves soldats, avisant aussitôt une hauteur qui dominait la ville, une sorte d’éperon se terminant du côté de l’est par une falaise abrupte, y grimpèrent hardiment et y mirent en batterie quelques-unes de leurs pièces de montagne.

Sans avoir été vus, ils prirent pour objectif la gare où ils apercevaient de nombreux trains militaires et brusquement ouvrirent le feu.

Deux salves seulement furent tirées, deux salves bien dirigées qui n’atteignirent aucune maison, mais portèrent en plein sur les wagons allemands. Après quoi, démontant leurs pièces et les rechargeant sur les bâts de leurs mulets, nos chasseurs redescendirent dans la plaine pour rejoindre le gros de nos troupes, du côté de Turckheim.

Les Allemands, affolés par cette attaque soudaine et meurtrière, disposèrent précipitamment quelques pièces d’artillerie lourde pour y répondre, et pendant quatre heures, avec une assiduité bien recommandable et une prodigieuse dépense de munitions, ils bombardèrent l’éperon d’où leur était venue cette double bordée.

Ils firent beaucoup de mal à une pauvre petite chapelle isolée qui se dressait sur la hauteur et dont il ne reste plus aujourd’hui que des ruines.

À la faveur du tumulte, M. S… put gagner le large et se dirigea tout d’abord vers le village de Logelbach, où un heureux instinct l’avertissait qu’il trouverait peut-être les « pantalons rouges ».

Il en vit un, en effet, presque tout de suite après avoir fait quelques pas dans la rue. Mais quelle désillusion ! Était-ce là, vraiment, un spécimen de ces fringants et lestes soldats français que la fidèle Alsace avait attendus si longtemps ? Comme ils étaient changés, depuis tant d’années ! C’était toujours la même capote bleue aux pans relevés, toujours le même képi, toujours le même pantalon garance terminé par des guêtres ; seulement la capote s’arrondissait déplorablement sur un dos d’homme de peine ou de scribe tout courbé par l’effort quotidien ; le képi, planté sans grâce sur une tête tondue, ressemblait à un bonnet de nuit écarlate ; les grandes jambes de cet étrange fantassin semblaient bien incapables de pouvoir se plier jamais aux exigences d’une marche rapide et prolongée. Bref, ce paraissait être un fichu soldat. Mais il avait néanmoins un uniforme si prestigieux que M. S… s’approcha pour lui parler. Et alors quelle ne fut pas sa surprise, en reconnaissant qu’il avait devant lui, caché sous cette défroque et venu là, en amateur, avec nos troupes, Hansi, le bon et brave Hansi lui-même !

Le pioupiou « mal ficelé », c’était le dessinateur alsacien qui, si longtemps, seul contre toute l’Allemagne, avait combattu pour la France à la pointe du crayon. Il y a des anecdotes qui sont tout de même aussi émouvantes que l’épopée.


Comment on fait des prisonniers.

On a dit sous mille formes les façons élégantes qu’ont nos soldats de faire des prisonniers. En voici une qui, parmi toutes, comptera vraisemblablement comme la plus singulière. Dans un bois d’Argonne, un poilu surprend au gîte sept Bavarois qui ne l’attendaient point.

En termes énergiques — et qu’ils comprennent, encore que notre langue leur soit inconnue — il les somme de se rendre. Ainsi font-ils. Deux par deux, sur le sentier, il les ramène vers nos lignes. Capture facile, d’autant qu’après avoir apostrophé les Allemands, notre homme a tout de suite crié vers les copains sous bois et a entendu leur toute proche réponse. Les Bavarois, certains d’être entourés, filent doux. Tout le long de la route, le dialogue continue entre le Français et ses camarades, dont pas un cependant ne se montre. À en juger par les voix, ils doivent être au moins dix :

— Voilà ce que j’apporte, mon lieutenant, s’exclame bientôt le bon chasseur, en poussant son troupeau dans la tranchée.

— À toi tout seul ?

— Oui. Mais, ajoute l’homme en parlant lointainement comme du fond du bois, ça ne m’a pas été malaisé, voyez-vous… je suis ventriloque.


Un poilu qui avait le sommeil dur.

Dans une grange où cantonne une compagnie, un homme déclare à l’heure du lever qu’il a une crampe dans la cuisse et ne peut se tenir debout. Les gradés se fâchent. Rien n’y fait. On finit par appeler un infirmier qui le déculotte. Une balle perdue, entrée sans doute par le toit, avait atteint le pauvre diable pendant la nuit. Elle ne l’avait pas réveillé.

N’est-ce pas plus fort que le sommeil de plomb dont dormit Condé à la veille de Rocroi ?


Chasse au chevreuil.

Un officier écrit à sa famille :


Après l’attaque, voilà qu’un superbe chevreuil vient à passer entre nos tranchées et celles des Boches. Un de mes hommes le tire et le tue. Légalement ce chevreuil nous appartenait, mais les Boches ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils ne nous laissaient pas sortir la tête de nos tranchées.

Je me dis : « Nous ne l’aurons pas, mais eux non plus », et je défendis à mes hommes de se montrer. Nous fîmes les morts. Un moment après, un Boche sort de sa tranchée, rampe à plat ventre, puis cinq, six et sept Boches le suivent, toujours à quatre pattes. Les loustics s’approchent du chevreuil, mais au moment où l’un d’eux empoigne l’animal par la patte, je commande : « Feu ! » Une volée de coups de fusil part de ma tranchée. Trois Boches restent sur le carreau avec le chevreuil et les autres se sauvent en hurlant.

Ils avaient du plomb dans les… cuisses !

Alors, un brave de mes poilus sort de notre tranchée, bondit sur le chevreuil et le traîne jusqu’à nous.

Ce matin, nous avons jeté les pattes aux Boches et, demain, nous leur jetterons les os.


Le petit bleu.

Voici une piquante anecdote dont deux Parisiens de Montmartre ont été les héros. L’un d’eux la raconte ainsi :


À un moment — à l’attaque du bois de Mortmare — ça chauffait. Mon copain R… me dit : « Si on lampait un coup ? »

Il me passe le bidon. Je lève le coude. Paf ! une balle vient en crever le fond. Instinctivement, je baisse le bras pour éviter les pruneaux qui sifflaient au-dessus de la tranchée.

— Bouche le trou, me crie R…, tu vois donc pas que le petit bleu se débine ?

Ah ! on n’a pas le temps de s’ennuyer !

Le litre débouché.

Qui définira jamais l’état d’esprit du zouave qui fut le héros de l’aventure suivante ?

Les clairons venaient de sonner la charge. Une compagnie de zouaves, la baïonnette bien assurée, bondit hors des tranchées et s’élança en avant.

De l’autre côté, fusillade, mitraille, marmites, shrapnels, firent aussitôt rage. La zone à franchir est longue. Le capitaine, qui voit ses hommes tomber, donne un ordre bref :

— À terre… Couchez-vous… À plat ventre… Mais couchez-vous donc, sacrebleu !

Les zouaves ralentissent et, comme à regret, s’allongent sur le sol.

Seul, un grand diable de zouave reste debout au milieu de l’enfer de projectiles.

— Couchez-vous donc, animal ! Vous voulez vous faire tuer ?

— Mon capitaine, j’peux pas…

Les balles sifflaient. Les obus éclataient de tous côtés. Le capitaine se fâche. Rien n’y fait : le zouave demeure debout.

— J’peux : pas. J’ai un litre de vin dans ma poche et y a pas d’bouchon !

L’histoire ne dit pas si le zouave s’est fait tuer plutôt que de renverser son vin, mais je parierais qu’il s’en est tiré sain et sauf.


Les perroquets sentinelles.

On a dit que, le 24 janvier — le jour de la bataille navale du Nord — tous les faisans, dans les voilages anglais du Cumberland et du Yorkshire, montrèrent une agitation inaccoutumée. On se rendit compte, depuis, qu’ils avaient entendu, avant tout être humain, la rumeur lointaine des canonnades.

Cette particularité, en ce qui concerne un autre oiseau, est connue de nos troupiers.

Dans deux tranchées de l’Est, on a des perroquets qui ne manquent pas, en battant des ailes et en claquant furieusement du bec, d’annoncer, imperceptible à tous, le bruit des moteurs d’aéroplanes allemands venant sur nos lignes.

Et même n’y a-t-il pas un perroquet au sommet de la tour Eiffel ?


Le plus beau cadeau.

Un soir, mon ami voit débarquer du train de blessés un grand diable, maigre, sec, de très belle allure, et dont les yeux seuls, brillants de fièvre, décèlent la maladie. Mon bon ami recueille le malade, le couche dans un lit chaud et prend la température : 40°2. Le lendemain, diagnostic de fièvre typhoïde, et, quelques jours après, mort par broncho-pneumonie. Mais quelle mort ! Quand ce soldat de l’Idée sentit sa fin venir, il appela l’homme qui symbolisait pour lui la famille et la patrie, et qu’il s’était habitué à considérer comme un parent. Mon ami accourut ; l’agonisant lui prit la main, le regarda longtemps et lui dit : « Je m’en vais heureux… vous me mettrez dans mon beau costume français. Donnez mon képi à mon frère, quelques boutons de ma capote à mes amis, c’est présentement mon seul bien, mais c’est tout ce qu’ils pourront garder de plus beau… »


Comment va Marianne ?

Un de nos braves soldats, prisonnier en Allemagne, désirant se rendre compte de la sincérité des communiqués allemands — lesquels, bien entendu, sont toujours favorables à leurs armées — employa le stratagème suivant. Écrivant à son père, un honorable commerçant de C…, il mit dans le bas de sa lettre cette phrase en postscriptum : Et Marianne, comment va-t-elle ?

Les censeurs boches crurent, sans doute, qu’il s’agissait d’une parente du prisonnier, mais le père de celui-ci comprit tout de suite que son fils faisait allusion à la situation actuelle de l’armée française et s’empressa de le rassurer en ces termes :

Tranquillise-toi, mon cher enfant, cette chère Marianne se porte à merveille et se trouve, en ce moment, plus forte que jamais. M. Le Germain — lisez l’Allemand — le constate chaque jour et ne tardera pas à avoir sa visite.

On conçoit quelle fut la joie du prisonnier et de ses camarades en lisant ce bulletin… de santé de l’armée française.


La gourmandise punie.

C’est une vraie comédie que nous avons jouée aux Boches, le 5 octobre, devant Beaumont (près de Verdun). Une de nos tranchées s’avançait à 50 mètres de l’ennemi. Nous étions là une section. L’existence était relativement agréable ; les Boches supportaient sans humeur notre présence si prés d’eux. Nous leur rendions la pareille. Mais les Boches étaient commandés par un tout jeune officier à monocle qui utilisait ses connaissances de notre langue à nous lancer des « piques » sur un ton ironiquement aimable. C’est ainsi qu’il déclarait s’estimer heureux de faire campagne dans un aussi beau pays que la France. Il vantait tout haut à ses soldats les sites des environs ; tout cela, comme vous le pensez, uniquement pour nous faire sentir que lui, Allemand, foulait notre sol. Il prenait soin qu’aucune de ses désagréables exclamations ne se perdit. Il réussit, en effet, à nous échauffer les oreilles. Aussi décidâmes-nous de lui jouer un bon tour et de l’amener à mettre tout à fait à découvert sa caricaturale binette, qu’il n’exhibait qu’avec précaution. Voici comment :

Le ravitaillement des tranchées extrêmes s’effectue difficilement ; il arrive souvent que les hommes doivent se nourrir avec les vivres de réserve : singe et biscuit. Les Boches subissaient le même désagrément. Or, un soir, vers 5 heures — l’heure de la soupe — nous nous mîmes tous à pousser des exclamations dans le genre de celles-ci :

« Ce pâté de lièvre est délicieux ! — Faites huit parts de chaque poulet ! — Allons ! encore un coup de vin blanc ! — Cette conserve de homard, c’est un régal ! — Passe-moi encore un biscuit ! — Je préfère le kirsch au rhum ! »

Inutile de vous dire que nous n’avions aucun des plats annoncés. Nos Boches, nous le savions, n’avaient pas été ravitaillés depuis quatre jours. Vous jugez de l’effet produit par nos paroles sur l’esprit de l’officier allemand. Nous le vîmes bientôt qui passait la tête par dessus la tranchée — une tête aux joues creuses, aux yeux dilatés, aux narines frémissantes. Il nous croyait fort occupés à la bonne digestion de notre repas. Nous attendions ce moment : l’un de nous, aux aguets, le fusil braqué, veillait. Un coup de feu, sec, partit. Un grand cri. La tête de l’officier boche avait disparu. Nous fûmes pour toujours débarrassés de ses monologues vraiment déplacés.


Le bouquet d’anniversaire.

Le lieutenant l’avait dit quelques jours auparavant. Son anniversaire de naissance tombait ce dimanche matin. Et, comme on l’aime bien, à l’aube, le plus éloquent des poilus voulut lui faire un petit compliment gentiment tourné.

Mais le lieutenant l’interrompit : « Ne va pas plus loin, Genilet, merci pour toi et pour tous. Nous ne sommes pas au temps des discours. Vous êtes tous de braves garçons. » Genilet ne dit donc que sa dernière phrase : « Mon lieutenant, il n’y a pas de bouquet, parce qu’on n’a pas de fleurs. Mais le cœur y est. »

La journée fut chaude. On se battit mieux encore que d’habitude. Et, le soir, Genilet qui, avec six camarades, avait fait une pointe sous bois, revenait avec treize prisonniers. Quand le lieutenant vit arriver les captifs, tout joyeux d’être pris et réclamant à manger : « Donnez-leur de la boule, dit-il, et du singe, puisque c’est mon anniversaire. Genilet, mon petit, tes fleurs ne sont pas belles, mais je suis content de ton bouquet. Tu as le droit de m’en offrir un comme cela tous les jours. »


L’obus facétieux.

C’était un projectile de semi-rupture, un de ceux, particulièrement nocifs, qui ont charge de n’éclater qu’après avoir traversé la muraille du bateau. Ils tombent chez vous en bombe et éclatent à domicile. Celui-ci entra par bâbord, à peu près à la hauteur des hublots, et, très poli, tout de suite ôta son chapeau. Je veux dire par là qu’il perdit sa coiffe, c’est-à-dire cette calotte de métal mou, apposée sur la pointe, et dont l’effet est de faciliter, en s’étirant, la pénétration du projectile à travers un corps dur. À peine entré, il s’amusa à labourer de larges et profondes crevasses le pont du poste de l’équipage, puis bondit vers l’avant, où il perdit son culot (ce qui devait l’empêcher d’éclater). Rencontrant des sacs de matelots, il y mit le feu, en ayant soin, cependant, de respecter une somme de 200 francs en or qu’un marin avait enfermée dans une blague à tabac. Il brûla la blague, mais ne toucha pas à l’or. Satisfait de sa petite plaisanterie, il s’élança tout en fusant dans la chambre heureusement inoccupée d’un officier, où il tordit en deux une forte colonne de fer ; puis, apercevant une échelle, il en descendit à bout de souffle les degrés, pour venir tomber à l’étage d’en dessous, aux pieds du commissaire dont il interrompit les comptes.

Ce boulet fou a fait la joie du bord, et chacun aujourd’hui vient lui faire visite et lui tenir de petits discours.

Autour d’une source.

Un prêtre soldat du diocèse de Meaux raconte la très amusante anecdote que voici :

Deux soldats français avaient besoin d’eau pour faire la cuisine de leur escouade. Ils descendirent donc vers une source qu’on leur avait indiquée dans le fond d’un ravin. Ils allaient, l’arme à la bretelle, un seau de toile d’une main, deux gamelles de l’autre, la ceinture cuirassée de nombreux bidons dont les courroies se croisaient sur la poitrine et dans le dos.

Au dernier détour du sentier, ils aperçurent tout à coup deux hommes tout de gris habillés, coiffés d’un béret plat… deux soldats ! deux Allemands !… qui venaient, l’arme à la bretelle, un seau de toile d’une main, deux gamelles de l’autre, la ceinture cuirassée de nombreux bidons dont les courroies se croisaient sur la poitrine et dans le dos.

Nos quatre hommes se regardèrent, atterrés. Après quelques secondes, l’un des Allemands, le plus brave assurément, montrant ses ustensiles et la source, demanda par gestes : « Vous venez à l’eau ? » L’un des Français, qui connaissait tous les secrets de la langue allemande, répondit : Ja, ja. L’Allemand, rassuré, montrant son fusil, demanda, toujours par gestes : « Vous ne vous en servirez pas ? » Le Français, toujours celui qui connaissait à fond la langue allemande, répondit : Nein, nein. L’Allemand, s’approchant de la source, emplit seau, gamelles et bidons ; son camarade en fit autant ; puis tous deux firent quelques pas en arrière et se tinrent immobiles. Le Français, toujours celui qui connaissait à fond la langue allemande, s’approcha de la source, emplit seau, gamelles et bidons ; son camarade en fit autant ; puis tous deux firent quelques pas en arrière et se mirent au « Garde à vous ! » face à l’ennemi. Les quatre hommes se regardèrent quelques secondes, se retirèrent d’abord à reculons, puis, prenant leur courage à deux mains, firent demi-tour et s’éloignèrent précipitamment, non sans regarder souvent par derrière pour voir si les autres tenaient bien leur parole.

Depuis ce jour, jamais plus un soldat français ne descendit au fond du ravin pour prendre de l’eau, et l’on peut croire qu’il en fut de même du côté allemand.


Comment, à cause d’un briquet, fut enlevée une tranchée allemande.

Ce soir-là, dans la tranchée avancée, prés de Reims, nos soldats, confortablement installés, fument leur pipe après la soupe. Soudain, comme presque toujours, à la nuit tombée, un Boche arrive en rampant.

— Nous n’avons pas de quoi allumer notre tabac, prêtez-nous des allumettes.

— Tiens, dit l’un des nôtres, voilà un briquet, mais ne le faites pas « péter ».

Le Boche s’en va. Nos troupiers continuent de blaguer, et puis on s’endort. La nuit est longue. Les soldats se réveillent, et celui qui prêta son briquet s’écrie en s’étirant un peu :

— Faut que j’aille leur réclamer mon amadou aux têtes pointues, ils ne se pressent pas de le rapporter.

Et voilà deux fantassins qui s’en vont à leur tour jusqu’aux tranchées ennemies ;

— Hé ! là, et notre briquet ?

Nicht, répond un Boche.

— Vous ne voulez pas le rendre ?

Et il fallait entendre, comme nous l’avons entendu de la bouche du blessé qui racontait cette histoire, avec quelle voix coléreuse notre fantassin posa la question.

Les Boches éclatent d’un rire insultant pour nos deux troupiers, dont l’un saisit un Allemand, le pêche plutôt par le collet, tandis que l’autre tient les ennemis en respect. Et nos soldats s’en vont vers nos abris avec leur prisonnier, cependant que les Boches tirent sur eux.

Les Français qui sont dans leurs tranchées voient arriver leurs camarades sous les balles. L’un a été atteint au pied. Un officier est mis au courant, et, avant même que les deux amis aient regagné nos lignes avec leur prisonnier, nos fantassins ont bondi, ont franchi les 60 mètres qui les séparent de l’ennemi, pénètrent en ouragan dans la tranchée et culbutent à la baïonnette les Boches éperdus.

En dix minutes la place est conquise.

— Et le briquet ? disent les soldats.

— On va le chercher.

On cherche bien et, sous le cadavre d’un ennemi, on le découvre. Aussitôt on l’essaie.

— Il marche ! crie tout le monde.

Et l’on ne sait pas si tous ceux qui sont là sont plus heureux d’avoir enlevé une petite position à l’ennemi ou d’avoir retrouvé le précieux instrument qui permet d’allumer aussitôt les pipes savoureuses.


Un descendant de Cambronne.

Le brillant coup de main grâce auquel nos troupes s’emparèrent de vive force de la maison du Passeur avait été soigneusement, minutieusement préparé jusque dans ses moindres détails. C’est cette préparation méticuleuse qui décida, pour une bonne part, du succès. À mesure que la guerre actuelle se rapproche davantage de la guerre de siège, il en sera de plus en plus ainsi.

Le terrain ayant été parfaitement reconnu, le sous-lieutenant Pellegrin, commandant du détachement de volontaires chargé de donner l’assaut, procéda lui-même à cette reconnaissance et il se fit aider par quelques-uns des sous-officiers qui s’étaient offerts pour l’accompagner. L’un de ces derniers, l’adjudant Boisseau, mérite une mention spéciale pour la crânerie toute française avec laquelle il s’acquitta de sa difficile mission.

Il partit à la nuit tombée, par une pluie battante, ayant revêtu une capote allemande, afin de se faufiler plus aisément dans les lignes ennemies. Avec d’infinies précautions et en rampant le plus souvent, il parvint jusqu’à quelques mètres des tranchées allemandes.

Mais voici qu’une sentinelle, dissimulée derrière un talus, se dresse devant lui subitement et crie : Wer da ! tout en le couchant en joue.

Notre homme est pris alors d’une inspiration géniale. À trois pas de la sentinelle, il lui fait : « Chut ! » mettant son doigt sur la bouche comme pour lui recommander un silence absolu, puis indiquant de la main tendue les positions occupées par les Français.

La sentinelle abaisse son fusil, ne doutant pas une minute qu’elle n’ait affaire à un sous-officier allemand qui part en reconnaissance.

Le courageux Français s’éloigne, puis, par un brusque crochet, revient à côté des tranchées ennemies. De nouveau une autre sentinelle lui crie : Wer da ! et de nouveau il recommence son stratagème qui réussit la seconde fois aussi bien que la première.

Quand il a bien exploré toute la ligne ennemie, il revient vers nos tranchées. Et comme une dernière sentinelle allemande, sentant quelqu’un s’agiter dans l’ombre, lui criait de loin : Wer da ! ravi de n’avoir plus à dissimuler, il lui lance à pleine poitrine le mot qui immortalisa Cambronne, dont il est d’ailleurs un digne descendant.

« Jamais, disait le sous-officier quand il racontait peu après ses aventures, jamais je n’ai éprouvé un plaisir aussi grand qu’à la minute où j’ai pu crier ce « m…ot » aux Boches.


Le truc du capitaine.

Un de mes camarades m’a raconté le « truc » employé un jour par son capitaine pour redonner à sa compagnie l’entrain qu’une marche de nuit épuisante — 32 kilomètres sans lune — avait fortement abattu. Au bout du trente-deuxième kilomètre, cette compagnie s’était arrêtée dans un village pour prendre un repos bien gagné. Mais à peine a-t-elle tâté de la paille des granges qu’arrive l’ordre de reprendre la marche pour aller à l’ennemi. Les soldats sentent sourdre en eux la vieille grogne de leurs ancêtres de l’Empire. « Comment remettrais-je bien mes hommes en bonne humeur ? » se demande le capitaine. Une idée lui vient. Il va trouver le maire du village. « Désignez-moi, lui dit-il, les deux plus jolies filles de l’endroit. »

Stupéfaction du brave maire, qui obtempère pourtant à l’ordre de l’officier. Le capitaine se rend auprès des deux jeunes personnes qui lui sont désignées et leur tient à peu près ce langage :

« Rendez-moi un service : aidez-moi à relever le courage de mes soldats, exténués par une terrible randonnée. Avant de partir pour courir sus à l’ennemi, je dois distribuer de l’eau-de-vie à mes hommes ; eh bien ! venez vous-mêmes la leur verser, après vous être gentiment parées et rendues encore plus jolies ! Vous connaissez le caractère français. Votre seule vue les remettra d’aplomb et gaillards pour aller au feu… »

Cela dit, notre capitaine se rend dans les granges, où ses soldats se préparent au départ, non sans quelques gestes las, et leur annonce que deux jeunes filles du village ont tenu à leur offrir la « goutte » et s’apprêtent à venir. « Ce sont deux beaux brins de filles ! » ajoute l’officier en clignant de l’œil. Aussitôt, un étrange remue-ménage s’opère dans les granges : des sacs sortent les peignes, les brosses et les morceaux de glace qui servent de miroir ; les moustaches redressent leurs pointes ; les barbes se frisent ; les « boucs » s’effilent. On secoue la poussière de son uniforme ; on cambre la taille ; plus d’attitudes lasses ; la fatigue s’est envolée comme par enchantement. Chacun se prépare à la visite annoncée. Le capitaine suit malicieusement du regard ce manège et se frotte les mains.

Mais voici les jeunes filles. Elles ont revêtu leurs plus coquets atours, et, gracieuses, pimpantes, les jolies cantinières volontaires commencent à verser la goutte dans les quarts. Les soldats se confondent en remerciements galants. « Vous n’êtes pas fatigués ? » s’inquiète une des jeunes filles. Protestations unanimes ; tout le monde est dispos. Est-ce qu’un soldat français est jamais fatigué ? Le capitaine intervient à ce moment et feint de s’indigner de la question posée à ses hommes. « Fatigués, mes soldats, vous allez voir ! » Il ordonne le rassemblement, qui s’effectue dans un ordre parfait avec une rapidité surprenante. « En avant ! » La compagnie défile au pas de chasseurs, alerte, accompagnée par les vivats des jeunes filles… Cette journée-là fut chaude pour nos troupes. La compagnie de l’ingénieux capitaine se comporta avec une bravoure qui lui valut une citation à l’ordre du jour !…



ANECDOTES PATHÉTIQUES


Debout, les morts !

Nous étions en train d’aménager une tranchée conquise. Au barrage de sacs qui fermait son extrémité, deux guetteurs faisaient bonne garde. Nous pouvions travailler en toute tranquillité.

Soudain, partie d’un boyau que dissimule un repli de terrain, une avalanche de bombes se précipite sur nos têtes. Avant que nos hommes puissent se ressaisir, dix sont couchés à terre, morts et blessés pêle-mêle.

J’ouvre la bouche pour les pousser en avant de nouveau, quand un caillou du parapet, déchaussé par un projectile, me frappe à la tête. Je tombe sans connaissance.

Mon étourdissement ne dure qu’une seconde. Un éclat de bombe me déchire la main gauche, et la douleur me réveille.

Comme j’ouvre les yeux, affaibli encore et l’esprit engourdi, je vois les Boches sauter par-dessus le barrage de sacs et envahir la tranchée.

Ils sont une vingtaine.

Ils n’ont pas de fusils, mais ils portent par devant une sorte de panier d’osier rempli de bombes.

Je regarde à gauche ; tous les nôtres sont partis, la tranchée est vide. Et les Boches avancent ; quelques pas encore et ils sont sur moi !

À ce moment, un de mes hommes, étendu, une blessure au front, une blessure au menton, et dont tout le visage est un ruissellement de sang, se met sur son séant, empoigne un sac de grenades placé près de lui et s’écrie :

— Debout, les morts !

Il s’agenouille et, puisant dans le sac, il lance ses grenades dans le tas des assaillants.

À son appel, trois autres blessés se redressent. Deux, qui ont la jambe brisée, prennent un fusil et, ouvrant le magasin, commencent un feu rapide dont chaque coup porte. Le troisième, dont le bras gauche pend inerte, arrache de sa main droite une baïonnette.

Quand je me relève, revenu à moi tout à fait, du groupe ennemi la moitié environ est abattue, l’autre moitié s’est repliée en désordre.

Il ne reste plus, adossé au barrage et protégé par un bouclier de fer, qu’un sous-officier énorme, suant, congestionné de rage, qui, fort bravement, ma foi, tire dans notre direction des coups de revolver.

L’homme qui, le premier, a organisé la défense, le héros du « Debout, les morts ! » reçoit un coup en pleine mâchoire. Il s’abat…

Tout à coup, celui qui tient la baïonnette et qui depuis quelques instants rampait de cadavre à cadavre, se dresse à quatre pas du barrage, essuie deux balles qui ne l’atteignent pas et plonge son arme dans la gorge de l’Allemand.

La position était sauvée. Le mot sublime avait ressuscité les morts.


Ne tirez donc pas sur le même.

Un membre de la Société française de La Chaux-de-Fonds a reçu, d’un soldat blessé en traitement à Besançon, une lettre dont le National suisse détache cet épisode :

Au cours d’un combat où j’ai été blessé, un de mes camarades reçoit tout d’abord une balle dans la jambe et il s’écrie en riant :

— Trop bas !

Après un rapide pansement il se remet à tirer ; aussitôt une seconde balle l’atteint à la main légèrement.

— Trop haut ! s’écrie-t-il encore.

Il reçoit une troisième balle qui lui traverse l’épaule. Obligé d’abandonner la lutte, perdant trop de sang, il se lève alors et, face à l’ennemi, s’écrie de toutes ses forces :

— Tas de…, ne tirez donc pas toujours sur le même !


Une mort sublime.

Un lieutenant raconte la mort admirable d’un soldat. On va de l’avant, on est en pleine action. Les balles sifflent. Les hommes courent sus à l’ennemi.

Parmi ces hommes je remarquai un grand diable à la figure ouverte et sympathique qui allait à mes côtés en hurlant d’une voix de stentor le couplet « Amour sacré de la patrie… ». Soudain, il s’interrompit, poussa un cri rauque et tomba en portant les mains à sa poitrine : il venait d’être touché. Je m’arrêtai involontairement. Mais lui aussitôt, d’une voix qu’il s’efforçait d’affermir : « Allez, mon lieutenant, moi, ce n’est rien ! ça ne compte pas », me dit-il.

J’allai où m’appelait le devoir, mais je jetai un regard à ce brave qui se dressa un peu sur les poignets et me regarda. Et alors…, par un effort de volonté admirable, il reprit le chant sacré : « Nous aurons le sublime orgueil… de les venger ou de les suivre… » J’eus vite rejoint mes hommes. Nous prîmes la tranchée, nous l’avons conservée… Mais, depuis, je pense souvent à ce brave, dont j’ai recueilli « la dernière Marseillaise ». Il s’appelait Alexandre. C’est tout ce que je sais de lui.


Le soldat Bourgoin[1].

J’ignore pourquoi les « Revues de la presse » n’ont pas accordé la place qu’elle méritait à l’histoire du soldat Bourgoin, telle que l’a contée M. Clemenceau, dans ce style nerveux qui ne laisse pas de place à la sensibilité, mais vous prend à la gorge. Pour moi, voici huit jours qu’elle me hante.

C’était un tout jeune soldat, dix-huit ou dix-neuf ans à peine, un engagé volontaire, je crois, ce petit Bourgoin : et sa compagnie fut « fauchée » dans une attaque, littéralement fauchée. S’étant couché sous le feu, quand il releva la tête, il vit qu’il était seul.

Un hasard avait voulu que le drapeau du régiment tombât près de lui. Il le ramassa, l’arracha de sa hampe, se l’enroula autour du corps. Et il fit cela naïvement, instinctivement, presque sans savoir. Puis il attendit la nuit et tâcha de regagner les lignes françaises. Mais où aller ? Il l’ignorait. Il marcha donc au hasard, près d’une lieue…

C’est ainsi qu’il arriva devant une maison qu’un obus avait effondrée. Il entra : elle était occupée par cinq officiers allemands ; mais quatre étaient morts, tués par l’explosion, et le cinquième, un colonel, agonisait. Le petit soldat essaya de lui sauver la vie.

— Ne t’occupe pas de moi, dit l’Allemand, je suis perdu. Mais toi, comment es-tu ici ? Alors l’autre lui fit savoir son aventure, ingénument. Il ne pensait pas avoir fait quelque chose d’héroïque, il était simple et doux.

— Tu es un brave enfant, dit le colonel ému. Penche-toi. Là, comme ça… je t’embrasserai.

Un colonel et Allemand ! L’approche de la mort change les âmes : le colonel allemand embrassa ce simple soldat français. Puis il ajouta :

— Va-t’en, maintenant ; mais ne prends pas par là. Par là, ce sont les nôtres. Ta route est par ici. Adieu…

Et le petit Bourgoin rejoignit enfin nos lignes. Il avait toujours le drapeau. C’est tout… Et il n’y a rien de plus beau dans tout Tolstoï,

La mort la plus belle.

— J’ai soif, dit le blessé.

Je porte à ses lèvres fiévreuses un bidon rempli d’eau et de rhum. Il boit avidement, à longs traits, pour calmer le feu qui le dévore. En me rendant ma gourde, il m’appelle, puis, dans un souffle, la parole entrecoupée :

— Mets-moi… au pied de ce grand chêne… là… Adosse-moi bien… Donne une baïonnette… Merci…

Les yeux levés vers le ciel, tenant la baïonnette comme une croix — tel le chevalier Bayard — il balbutie une prière. La blanche clarté lunaire auréole sa tête d’un diadème de saint et fait resplendir ses yeux d’une flamme mystique. Sa grande âme va s’envoler.

Tout à coup, un bref soubresaut l’agite. C’est la fin. Il choit sur le côté. Je me précipite, le redresse, et dans un dernier râle j’entends :

— Je meurs… bien, c’est certain… Guillaume… saurait pas… mourir comme ça… À… adieu !


Le fossoyeur sublime.

D’une lettre de soldat :

À notre gauche, les zouaves occupaient une tranchée distante à peine de 250 mètres des tranchées allemandes. Entre les deux lignes, des cadavres de vaches, de porcs et aussi de soldats français et allemands.

La veille, comme le bataillon de zouaves avait fait une sortie, il avait laissé sur le terrain trois nouveaux morts ; ceux-là, du moins, recevraient une sépulture : ainsi en avait décidé l’héroïsme d’un de leurs camarades.

Sans qu’on puisse l’en empêcher, ce brave sort en rampant de la tranchée… Il emporte quelques briques qu’il dispose devant lui, à longueur de bras, et il avance à plat ventre derrière ce frêle obstacle. Il atteint ainsi le premier cadavre et l’enterre, à fleur du sol, il est vrai, mais enfin il lui donne les honneurs de la sépulture. Pendant ce temps les Allemands ne cessent de tirer. Le rempart de briques s’effrite sous les balles. Peu importe ; le zouave est en marche vers le second corps. Il l’enterre comme le précédent, à 100 mètres à peine des tranchées ennemies.

Devant tant d’audace calme, les Allemands ne tirent presque plus. On dirait qu’ils sont touchés par tant de bravoure et qu’ils l’admirent.

Alors, le fossoyeur sublime se lève, tout droit, sans armes, la pelle sur l’épaule. Lentement il atteint le troisième cadavre et l’enterre, profondément celui-là, sans qu’un seul coup de feu trouble le grand silence.

Quand il a fini il s’essuie le front et, toujours face aux Allemands, sans se retourner une seule fois vers nous, il ramasse quelques bouts de bois dont il fait une croix qu’il plante sur la tombe. De nouveau, il se redresse, semble hésiter quelques instants, comme s’il cherchait quelque chose, puis il fait le salut militaire et revient, sans perdre un pouce de sa taille, à sa tranchée.

À peine y a-t-il sauté qu’une salve formidable siffle au-dessus de sa tête.


Comment fut pris le drapeau.

Je reçois l’ordre suivant du chef de bataillon : « Nous avons en avant de nous une tranchée occupée par une quinzaine d’Allemands. Il faut, coûte que coûte, enlever la tranchée à la baïonnette. »

Vois un peu la mine que j’ai faite ! Malgré cela, je ne comprenais pas tout le danger.

Je constituai une section de trente hommes, et, en rampant à plat ventre, je me portai entre deux tranchées allemandes. Nous recevions des coups de fusil de tous les côtés, par devant et par derrière, et je croyais que mon heure était arrivée. Mais rien ne m’arrêtait. Je pus mettre ma section en ligne, et, à 30 mètres, je fis ouvrir le feu sur la fameuse tranchée occupée soi-disant par quinze Allemands. À un certain moment, je vis qu’ils agitaient un drapeau blanc pour se rendre. Je fis cesser le feu et leur criai de sortir. Tous se portèrent vers moi en me tendant les mains, en criant : « Camarade ! Camarade ! » Mais, au lieu de quinze, ils étaient soixante-treize, plus dix tués ou blessés. S’ils avaient agi avec le même courage que nous, ils n’avaient qu’à se retourner et tirer sur nous à bout portant, nous y restions tous.

Après avoir ramené tous les prisonniers, je reçus un nouvel ordre de faire une patrouille et d’aller fouiller la tranchée pour voir s’il y avait des mitrailleuses. Je pris avec moi le camarade Cazes, de Betchat, et, avec la pointe de mon sabre, je remuai la paille des abris. Je vis un officier blessé, couché sur un objet long. Quelle fut ma surprise : c’était le drapeau du 69e d’infanterie allemande. Il avait cherché à le cacher, mais trop tard !


Au chant du coq.

Le petit sergent agonisait, mais ne mourait pas. Il avait toute sa tête, et il lui semblait, se raccrochant à la suprême espérance de ceux qui meurent la nuit, que, s’il atteignait le jour, peut-être encore il s’en tirerait. Mais le jour… le jour était si loin !… Il demandait l’heure toutes les minutes, avec angoisse. La sœur, patiente, lui répondait doucement. Vers minuit, comme il étouffait davantage, il dit :

— Est-il déjà 4 heures ?

Et la religieuse eut ce mot divin :

— Presque, mon petit… Encore un peu de courage, et on va être rendu

Mais, soudain, il se désespéra ; il se mit à pleurer ; il geignait : « Il y a un coq… un coq qui, d’habitude, chante à 4 heures… »

Et il ne chantait pas.

Le camarade de lit n’avait pas le cœur à dormir. Il venait d’entendre ces derniers mots. Il se dressa sur son séant, dans son lit, puis je le vis en descendre, enfiler sa culotte et, furtif, à quatre pattes, il se coula hors du dortoir.

Et alors, vous entendez bien, au bout de deux minutes… le coq chanta.

C’était une voix un peu étrange, un peu éraillée, un peu trop humaine. Mais le petit sergent s’arrêta d’étouffer.

— Ma… ma sœur, entendez-vous ?

— Je vous l’avais dit, fit-elle. Il est 4 heures.

Il avait confiance. Le jour allait paraître. Il mourut presque en souriant.


La partie de cartes interrompue.

Une de nos principales distractions dans les tranchées, c’est, comme le savez, de battre un peu les cartes. Protégés par de vigilantes sentinelles, nous nous livrons, à quelques pieds sous terre, à d’enragées parties de manille. On se croirait dans quelque café du Commerce, à l’heure de l’apéritif, n’était le décor un peu plus pittoresque ; les consommations ne sont pas variées : un quart de « jus » ; la table, c’est la terre nue, humide, et les chaises sont remplacées par les sacs ; mais, n’est-ce pas, à la guerre comme à la guerre !

Ce matin-là, dans la tranchée voisine, on jouait ferme ; nous entendions distinctement les interjections des manilleurs : « Atout ! — Manillon coupé ! — Un pli pour moi ! — Je fais mes 45 ! etc., etc. » Mais si nos sentinelles nous mettaient à l’abri des surprises de l’ennemi, elles ne nous protégeaient pas des « marmites » qui éclataient autour de nous, au petit malheur, mais surtout dans la direction de la tranchée où le jeu était si ardent. Ce point était manifestement repéré par l’artillerie boche. Cette préférence ne troublait guère les joueurs. Nous-mêmes suivions avec intérêt les phases de la partie, plus émotionnés par une « belle coupe » que par l’éclatement proche d’un obus.

Soudain, avec un vrombissement formidable, une « marmite » tombe sur la tranchée voisine : un éclat atteint au front, le tuant net, un des manilleurs. On emporte rapidement le malheureux. Il y a une minute pénible… Puis nous voyons un des occupants de notre tranchée ramper, s’approcher des trois joueurs restés là, atterrés, les cartes encore en main, et prendre le jeu de son camarade mort.

— Voulez-vous de moi comme quatrième ? demande-t-il flegmatiquement.

Les autres, d’abord surpris, acquiescent d’un signe de tête.

— Eh bien ! continuons la partie ! dit l’autre en étudiant le jeu laissé par le mort.

Il nous tourne le dos ; nous voyons de loin les cartes qu’il a ramassées : l’une d’elles a une grosse tache rouge qui couvre presque entièrement la figurine… Que vous dire de plus ? Nous avons tous admiré cette impavidité devant la mort.


Un moderne d’Assas.

Voici un haut fait renouvelé du chevalier d’Assas et accompli par un modeste sergent de l’un de nos régiments d’infanterie.

Le sergent Jacobini était aux avant-postes, pendant la nuit, avec quinze de ses hommes, lorsqu’il aperçut des ombres venant vers lui. Il s’avança seul pour ne pas exposer ses hommes et se trouva soudain entouré et désarmé par les Allemands.

Un officier le menaça de mort s’il ouvrait la bouche, mais Jacobini, sans hésiter, cria : « Feu, mes enfants, voici les Allemands ! »

En même temps il se jeta sur le sol. Une salve des avant-postes français tua l’officier allemand et la plupart de ses hommes, et le brave sergent put s’échapper et rejoindre son détachement.


Le couvreur savoyard et son drapeau.

Un officier du Sud-Est écrit :

Donc, hier soir, vers 9 heures, j’étais somptueusement allongé sur mon matelas lorsqu’un troupier de ma compagnie frappe, et voilà la conversation qui s’engage entre nous :

— Mon lieutenant, je suis bien content, je viens de recevoir un paquet de chez nous.

C’est un solide Savoyard bien planté, à la mine résolue.

— Je suis bien content pour toi, mon vieux, tu vas pouvoir te mettre au chaud dans un bon tricot, je parie.

— Vous n’y êtes pas du tout, mon lieutenant ; ce que je viens de recevoir, c’est un grand drapeau tricolore ; depuis longtemps j’avais mon idée.

— Et que veux-tu donc faire ?

— Voilà, je viens de couper une grande perche de 4 mètres de haut. J’ai attaché mon drapeau au bout et je viens vous demander la permission d’aller l’attacher à la faucheuse devant ces sales Boches qui ont l’air défaire comme chez eux : ça leur rappellera qu’ils sont chez nous.

— Mais, mon vieux, c’est fou ce que tu veux faire par ce clair de lune, tu n’auras pas fait 10 mètres que tu seras transformé en passoire !

— Ne craignez rien, mon lieutenant, je suis couvreur dans le civil, je sais faire la marche sur le ventre.

Voyant qu’il n’y avait rien à faire, je lui souhaitai bonne chance, et il parut ravi.

Une demi-heure après, le drapeau flottait devant les tranchées boches, et mon gaillard sautait en rigolant dans notre tranchée, salué par une grêle de balles des Boches, furieux de cette mauvaise plaisanterie.

— Oui, mais, dis-je à mes troupiers, tout cela est très joli, vous avez placé le drapeau ; maintenant, il faut le garder et empêcher que les Boches mettent un des leurs à la place.

Mon gaillard s’avance de nouveau et dit :

— Mon lieutenant, j’y ai pensé ; j’ai mon idée, revenez dans un petit quart d’heure et vous verrez.

Je reviens, en effet, dans la tranchée en face la faucheuse et je vois un superbe grelot de voiture suspendu à une ficelle entre deux piquets. À côté, se trouvait une pancarte, signal d’alarme : In case de pericolo tirare l’anello.

— C’est, me dirent-ils, le lasso 1914.

Mon type était allé tout simplement attacher une ficelle à la hampe du drapeau et à l’autre bout, dans notre tranchée, il avait attaché un grelot !

Je l’ai, naturellement, signalé au commandant et il va bientôt être récompensé.



ANECDOTES FÉMININES


Le printemps !… La Vie !…

Le hasard rapproche au même coin de rue une jolie femme — elle est parente d’un de nos ministres — un commandant blessé et une vieille marchande de fleurs qui pousse sa charrette. Il fait beau. C’est l’exquis dimanche, le ciel épuré au bleu de porcelaine chinoise. Il fait bon vivre. Voilà le printemps. L’officier sent-il tout cela soudain ? Il voit la passante, la fleuriste, achète en hâte un gros bouquet de Parme et :

— Mademoiselle, je ne vous connais pas. Excusez-moi. Mais j’ai été blessé. J’ai cru que j’y resterais. C’est ma première sortie. Voyez cette joie dans l’air, ce soleil béni, cette santé que l’on respire… Vous ! Des fleurs ! Cela s’associe en moi, irrésistiblement. Voulez-vous accepter ce bouquet ?

La jeune femme regarde l’officier. Il est pâle, elle voit son bras en écharpe. Elle voit la loyauté de ce beau regard sous la paupière d’un brave homme, d’un homme brave qui renaît. Et elle dit, séparant les violettes en deux poignées :

— Partageons-les, mon commandant, je vous comprends…

Puis, elle disparaît dans le Métro.


La bonne surprise[2].

J’ai vu quelque chose de plus beau. Une carriole revenant du front, conduite par un soldat, s’est arrêtée dans le hameau. Une femme en descend. Elle pénètre dans la ferme où nous sommes et s’approche du poêle. Elle ouvre son manteau… Radieuse apparition ! Elle a dans les bras un tendre enfant rose qui sourit. Et, sans gêne, se détournant à peine, elle offre son sein à ses petites mains goulues.

Cette maman a à peine vingt ans. Elle est belle d’une beauté saine et inconsciente. Ses yeux bleus reflètent un lac de pureté. Son enfant est son expression ; véritable enfant de l’amour rayonnant d’une chaleur de tendresse heureuse.

Le soldat qui m’accompagnait m’a conté son histoire :

— On n’imagine pas, Monsieur, ce qu’il peut y avoir d’énergie dans un petit bout de femme comme celle-là. Elle est venue du fond de la Bretagne pour mettre dans les bras de son époux cet enfant qui était né après son départ. Elle s’était juré qu’il le verrait. L’idée qu’il pourrait mourir sans l’avoir vu, a-t-elle expliqué plus tard, lui tenait comme un clou dans la chair. Un beau matin, elle est partie. Elle est passée à travers tous les obstacles ; elle a attendri tous les gardiens ; elle est arrivée jusqu’aux tranchées.

Un soir, nous finissions de curer les plats, et nous apprêtions la paille au fond d’une remise, à l’arrière, pour le coucher, lorsqu’un camarade poussa ce cri : « Ma Louise ! » C’était elle. Elle lui mit sans mot dire l’enfant tout blanc sur les bras, et lui n’osait pas l’embrasser. Ah ! Monsieur, nous avons vu des scènes émouvantes à la guerre. Mais celle-là… Il y en avait qui pleuraient. Lui, le papa, était pâle et muet comme si une fine balle lui avait traversé le cœur.


Le cordon de soulier.

C’est un soldat blessé qui descend l’avenue. La manche droite de sa tunique, inutile, hélas ! est épinglée à l’épaule. Et il est bien ennuyé. Son cordon de soulier s’est défait et, d’une seule main, il est difficile de le renouer. Pourtant, il va essayer ; sur un banc de la promenade, il pose son pied…

Alors, une belle jeune fille, qui passait, s’élance. Elle s’incline, saisit le cordon et le noue, bien serré, sur le rude cuir du brodequin.

— Mademoiselle…, s’excuse, tout confus, le soldat.

— Mais si, mais si, mon brave ami ; c’est comme cela en temps de guerre. Tout est changé. Vous renouiez nos rubans, nous pouvons bien en faire autant pour vos lacets de godillots.


Ma Mère… la vôtre.

Voici un émouvant fragment d’une lettre adressée par un soldat du front à une fillette de Mesnil-Saint-Père (Aube), qui avait envoyé un colis anonyme contenant, entre autres choses, un passe-montagne qu’elle avait tricoté :

…Vous me souhaitez, petite amie, un prompt retour dans mes foyers. Hélas ! je n’en ai plus : les Allemands m’ont tout pris, mon père, ma mère, mes cinq frères. Alors, tout seul, je me suis engagé, car je viens d’avoir dix-huit ans, et, comme mes aînés, je fais le coup de feu.

Cette nuit et pendant plusieurs autres, peut-être, chère petite amie, je veillerai, et les sauvages qui m’ont pris ma mère n’iront pas prendre la vôtre. Encore merci.


La dentelle d’Irlande.

Après avoir passé trois mois dans les tranchées, ayant de l’eau jusqu’aux genoux, le brave et vaillant sergent L… eut un pied gelé et fut transporté à l’hôpital auxiliaire de B…, petite ville située dans un pays délicieux, entre les montagnes et la mer.

Les premières semaines douloureuses passées, le jeune homme reprit bien vite ses forces ; mais son pied nécessitait encore des soins journaliers et on lui défendit de se lever. S’ennuyant à mourir dans son lit, l’idée lui vint de faire du crochet. Il s’y mit si bien et avec tant d’adresse qu’au bout de très peu de temps il avait déjà confectionné six paires de mitaines.

Un jour, Mlle C…, infirmière de la salle 10, passant par hasard, fut curieusement attirée en voyant ce soldat en train de faire du crochet.

— Tiens, vous faites du crochet, mon brave ? dit-elle.

— Mais oui, Mademoiselle. Je m’ennuie ; alors, je tâche de me rendre utile comme je peux.

— C’est très bien fait, ajouta-t-elle, en prenant l’ouvrage. Vous travaillez avec une régularité étonnante.

— Oh ! ce n’est pas fameux. Ce que je voudrais savoir faire, c’est de la dentelle d’Irlande, répondit le sergent, flatté du compliment de la jolie jeune fille.

— De la dentelle d’Irlande ? Rien de plus facile… Je vous l’apprendrai, si vous voulez.

Ce qui fut dit fut fait. Dès le lendemain, Mlle C… s’installa au chevet du malade avec du coton et un crochet fin.

C’est ainsi qu’elle apprit que son élève était Canadien, que son père avait de vastes propriétés là-bas, dont il hériterait un jour…

L’épisode devait se terminer en idylle.

Ils décidèrent qu’ils s’épouseraient sitôt après la guerre, et que ce serait lui, son fiancé, qui lui ferait sa parure de mariée en fine dentelle d’Irlande.


Les violettes.

En gare d’Évreux.

Un train de blessés est en gare. Les brancardiers ont transporté les grands blessés dans une salle d’attente de 1re classe.

Une Parisienne, élégante et jolie, qui vient de respirer soudain pendant quarante-huit heures la campagne normande, se trouve là et contemple avec émotion le douloureux spectacle. Elle voudrait faire quelque chose pour ces souffrances, exprimer sa sympathie et son admiration, sans avoir l’air de s’apitoyer. Elle détache de son corsage un gros bouquet de violettes — de ces violettes qu’elle a cueillies dans les bois et qui sont mieux que celles de la ville — et elle l’offre, avec un sourire, à un soldat amputé des deux jambes. Puis elle se sauve, afin que le blessé ne voie pas qu’elle pleure. Mais lui aussi s’attendrit, et des larmes perlent à ses yeux devant les violettes de la jeune femme.


Par ordre de maman.

Ah ! si ma vieille mère qui est restée seule avec les Boches pouvait savoir que l’on prend soin de son gars, comme elle serait heureuse ! Dans la lettre unique que j’ai reçue d’elle, tout au début de la campagne, elle me disait : « Songe qu’avant ta mère, en ce moment, il y a la patrie. Fais ton devoir de soldat et, si la Providence te protège, tu reviendras faire celui de fils. »

Depuis lors, chaque fois qu’un coup de chien arrive, je me dis tout bas pour m’enhardir : « C’est par ordre de maman et c’est pour la patrie. »


Les « Nancy » à Nancy.

Un certain nombre d’Anglaises, qui portent toutes le prénom de Nancy, fort répandu dans les pays anglo-saxons, se sont liguées pour acheter un grand nombre d’objets d’utilité ou de luxe et les envoyer aux hommes du 26e régiment d’infanterie français, qui fait partie de la fameuse « division de fer » (11e division du 20e corps) et qui est par excellence le régiment de la ville de Nancy.

Le colonel Colin, commandant ce régiment, écrit une lettre aux journaux anglais, dans laquelle il remercie les « Nancy anglaises » de leur touchante attention. « Vous avez doublé la valeur de ce présent, dit-il, en nous disant que vous l’envoyez en souvenir et en témoignage de la valeur déployée par les Français dans la guerre du droit et de la civilisation. »



  1. Raconté par M. Pierre Mille dans Excelsior.
  2. Raconté par M. Latapie dans la Liberté.