Anecdotes normandes (Floquet)/Notice sur M. Floquet

Texte établi par Charles de BeaurepaireCagniard (p. v-xxiv).


Notice sur M. Floquet
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Parmi les écrivains qui se sont, dans le cours de ce siècle, appliqués, avec le plus de succès, à nous faire connaître les faits historiques, les mœurs et les institutions de notre ancienne province, il faut, sans contredit, placer l’auteur de l’Histoire du Privilège de saint Romain et de l’Histoire du Parlement de Normandie. Ne fût-il connu que par là, le nom de M. Floquet resterait honoré dans ce pays, tant qu’on y verra subsister le goût des recherches sérieuses et approfondies. Mais il est d’autres travaux qui ont rendu ce nom recommandable à un public plus nombreux, tant en France qu’à l’étranger : ce sont les Études sur la vie de Bossuet. Il en est d’autres, d’un genre assez différent, qui l’ont fait aimer parmi nous, normands, et principalement parmi nous, rouennais, de ceux que l’érudition effarouche, et qui n’en acceptent les leçons que présentées sous une forme aimable et attrayante : ce sont les Anecdotes normandes, dont il paraît aujourd’hui, grâce à une généreuse inspiration, et par les soins d’un habile imprimeur, une seconde édition, sollicitée depuis bien des années[1] et à laquelle ne saurait manquer un favorable accueil.

Les Études sur la vie de Bossuet ont été l’œuvre capitale de M. Floquet, l’œuvre de prédilection de sa vie entière. Il y a mis tout son cœur ; il s’est plu à y déployer toutes les ressources de son esprit aussi ingénieux que patient. Si, plus tard, comme il est permis de l’espérer, à l’aide des documents qu’il a rassemblés en fort grand nombre, des notes qu’il a rédigées avec un soin extrême, ces savantes études, qui ont captivé l’attention du monde religieux et du monde lettré, pouvaient être achevées, combien on aimerait, par un double sentiment de convenance et de gratitude, à les voir accompagnées d’une biographie, mûrement étudiée, du savant historien, qui, mieux que personne, a connu Bossuet, et qui a éclairci, avec une telle netteté, les particularités de sa glorieuse carrière, qu’à la distance de près de deux siècles, nous n’avons, sur bien des points, rien à envier à ses contemporains !

Les Anecdotes normandes, si parfaites qu’elles soient, n’ont été, cependant, qu’un agréable délassement dans une longue vie de labeur. Ce n’est pas là qu’il faut mettre le portrait de l’auteur, et le moment n’est pas encore venu de réclamer pour cela la main d’un maître. En tête de ces charmants récits, il suffira d’une légère esquisse, pour rappeler, en attendant mieux, les titres légitimes de M. Floquet à notre estime, à notre reconnaissance et malheureusement aussi à nos regrets.

M. Pierre-Amable Floquet naquit à Rouen, le 9 juillet 1797.

Après avoir fait d’excellentes études au collège de cette ville, il fut envoyé à Caen pour y suivre les cours de l’École de droit. Il revint, en 1819, à la maison paternelle et se fit inscrire, comme stagiaire, au barreau de Rouen. D’après le conseil de son père, alors greffier au tribunal civil, il entra, sans tarder, dans une étude d’avoué afin de s’y former à la pratique des affaires. Mais, bientôt, il ne tarda pas à reconnaître que sa vocation l’appelait ailleurs, et, secondé par un ami de la famille, M. Taillet, qui avait deviné ses aptitudes, il put obtenir, sans trop d’insistance, la permission de se rendre à Paris, où une nouvelle école, qui répondait à ses goûts, l’École des chartes, venait d’être ouverte.

C’était en 1821. M. Floquet fut un des élèves de la première promotion.

Cette école, qui, depuis, fut organisée sur un plan plus large, n’avait, au commencement, que deux professeurs, l’un, employé au département des manuscrits de la Bibliothèque royale, l’autre, chef de la section historique des Archives du royaume.

Les cours se faisaient, dans ces deux établissements, à un nombre strict de douze élèves, que le Ministre de l’Intérieur avait nommés, sur la présentation de l’Académie des Inscriptions. M. Floquet fut l’un d’eux. Il eut l’avantage de compter parmi ses condisciples MM. Léon Lacabane, Benjamin Guérard, Eugène Burnouf, Le Vaillant de Florival, J. de Pétigny, élite brillante de jeunes gens instruits et laborieux, parfaitement en état, on en conviendra, de réaliser la pensée du gouvernement, qui était, suivant les termes de l’ordonnance de 1821, « de ranimer un genre d’études indispensable à la gloire de la France, et de fournir à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres tous les moyens nécessaires pour l’avancement des travaux confies à ses soins. »

Pendant six années, M. Floquet fut attaché au cabinet des manuscrits de la Bibliothèque royale ; il s’acquitta, sans épargner sa peine, de la mission qui lui fut confiée de mettre de l’ordre dans un amas de mandements et de quittances provenant de l’ancienne Chambre des Comptes de Paris. D’heureuses découvertes, intéressantes pour l’histoire de notre province, vinrent récompenser son zèle et sa persévérance. Quelques-uns des documents qu’il découvrit dans cette mine inexplorée furent communiqués par lui à M. Auguste Le Prévost, qui les publia, en 1826, heureux de trouver une occasion de signaler son obligeant correspondant « comme un jeune antiquaire de la plus haute espérance. »

Lorsque, en 1828, celui-ci fut rappelé à Rouen pour y prendre possession de la charge de greffier en chef de la cour royale, il eut le bonheur de se faire remplacer à la Bibliothèque par M. Paulin Paris ; et l’on peut dire, en toute vérité, que, dans cette circonstance, il rendit moins service à son ami qu’à cet établissement, dont M. Paulin Paris devint l’un des plus habiles et des plus érudits conservateurs.

Il y a lieu de croire que notre compatriote quitta Paris sans trop de regret. Personne, en effet, ne fut plus que lui attaché à ses parents, à ses premiers amis, et n’aima plus ardemment le pays natal. Il retrouvait à Rouen les souvenirs de sa jeunesse, un père, veuf depuis plusieurs années, dont il était la joie et déjà la gloire ; ajoutons qu’à peine de retour, il lui était donné d’y contracter une union des plus heureuses, dont le charme s’est prolongé, sans s’affaiblir, jusqu’aux derniers jours de sa vie.

Rouen, d’ailleurs, offrait un champ assez vaste à sa passion pour les recherches historiques. Un immense dépôt était remis à sa garde, et il ne fallut qu’un coup d’oeil à M. Floquet pour apercevoir qu’il y trouverait la matière d’une étude du plus grand intérêt.

À vrai dire, un autre que lui eût été rebuté par les difficultés de l’entreprise.

Qu’on se figure une masse énorme de registres, entassés sans ordre dans un immense grenier, où il était malaisé de se mettre à l’abri de la chaleur pendant l’été, de se défendre du froid pendant l’hiver ; couverts de poussière ; en général fort mal écrits ; sans titre au dos ; sans table ; sans indications marginales ; sans rien, en un mot, de ce qui peut faciliter les recherches. Voilà ce qu’il lui fallut aborder, explorer, lire, analyser, pendant de longues années. C’est de là qu’il a tiré, au prix de bien des fatigues, les matériaux de son Histoire de l’Échiquier et du Parlement de Normandie, publiée, en 7 volumes in-8o, de 1840 à 1842.

Lui-même nous a fait connaître dans son Introduction le sentiment qui l’avait porté à ce travail et les difficultés qu’il y rencontra,

« A l’aspect de ce magnifique palais de justice que Louis XII et le cardinal d’Amboise élevèrent jadis à grands frais dans nos murs, de ces vastes salles aux plafonds dorés, où le Parlement de Normandie siégea pendant trois siècles entiers, quel homme intelligent pourrait ne point soupçonner que là, naguère, durent s’accomplir des événements importants, se débattre de grands intérêts, se succéder de notables personnages, retentir de mémorables paroles ; et ce passé, que tous ignorent, qui pourrait le pressentir, et ne point désirer de le connaître ?

« De ce Parlement qui n’est plus, il ne reste que des registres sans nombre, où, parmi des milliers d’arrêts, indifférents aujourd’hui, apparaissent, çà et là, quelques rares et piquantes révélations sur son histoire. Il fallait ou consentir à n’en jamais rien savoir, ou se résoudre à compulser longtemps ces mémoriaux et ces Olim. Tâche immense, pour laquelle un homme s’est offert, sans autre mission qu’une ardeur persistante, sans autre système que l’amour de la vérité, sans autre intérêt que le besoin du travail, sans autre mérite que la patience. Ces recherches ont absorbé plusieurs années de sa vie ; il n’y a point de regret ; car, dans ce monde d’autrefois, où, si longtemps, il lui a fallu vivre, combien de points de vue attachants sont venus reposer ses regards et ranimer son courage ! Les faits, les institutions, les personnages se sont tour à tour disputé son intérêt. »

L’Histoire du Parlement de Normandie obtint le succès qu’elle méritait. Elle valut à son auteur les éloges les plus flatteurs des personnes les plus compétentes, notamment de M. Bergasse, qui en rendit compte à l’Académie de Rouen ; de M. Jules Quicherat, qui en entretint, dans plusieurs remarquables articles, les lecteurs de la Bibliothèque de l’École des chartes : de M. Ludovic Vitet, qui ne fut que l’organe de l’opinion publique, dans le rapport qu’il présenta sur cet ouvrage à l’Académie des Inscriptions. Conformément aux conclusions de ce rapport, cette compagnie décerna à M. Floquet le premier prix Gobert, au concours des Antiquités nationales de 1843 ; l’année suivante, elle le nommait l’un de ses membres correspondants.

Venant deux ans après des marques d’estime aussi publiques et aussi flatteuses, la nomination de M. Floquet comme membre de la Légion d’Honneur (11 juin 1845), devait paraître plutôt tardive que prématurée. Ce qui en augmenta la valeur aux yeux de notre savant compatriote, ce fut de recevoir cette distinction en même temps que l’obtenait son ami et son ancien camarade, M. Léon Lacabane ; ce fut aussi d’en être redevable à M. Guizot, dont, plus que personne, il admirait les études historiques et vénérait le caractère, et dont il avait reçu déjà les plus précieux encouragements.

Les jugements, unanimement favorables, formulés au moment de l’apparition de l’Histoire du Parlement, n’ont pas été infirmés par les découvertes que l’on a pu faire depuis.

Pour nous encore, « c’est un livre fait pour instruire et pour plaire ; pour instruire de choses que tout le monde ignore et pour plaire même à ceux que les investigations de la science intéressent le moins ; » — « c’est l’un des plus dignes hommages que l’érudition puisse offrir aux esprits qui cherchent des leçons dans l’étude du passé[2]. »

Assurément, on pourra signaler dans ce travail quelques lacunes, contester quelques appréciations qui paraîtront, les unes, trop sévères, les autres, trop bienveillantes ; ne pas approuver en tout point cette apologie, presque constante, d’une grande compagnie, qui, si elle eut ses mérites, eut aussi ses préjugés et ses faiblesses. Dans un pareil sujet, qui comprend près de trois siècles, et qui touche à tant de questions et à des questions si délicates, les erreurs sont inévitables ; et il est juste de pardonner à l’historien quelques illusions sur la valeur des hommes et des institutions, puisque, sans cela, le courage lui eût manqué pour en entreprendre l’étude. Convenons, si l’on veut, que M. Floquet n’a pas dit tout ce qu’il y avait à dire ; qu’il y aurait lieu de refaire quelques parties de l’histoire du parlement, et surtout de celle de l’Échiquier. Il n’en restera pas moins incontestable que cet ouvrage figure au premier rang parmi ceux qui ont été consacrés à l’histoire de la Normandie, qu’une méthode plus scientifique, un plan plus régulier, eussent rebuté plutôt qu’attiré nombre de lecteurs ; qu’il a fallu un esprit bien souple et bien vigoureux et une grande puissance d’application, pour mener à bonne fin un travail aussi considérable.

Vers le même temps, parut, précédé d’une savante introduction, le « Diaire ou journal du chancelier Séguier en Normandie après la sédition des nu-pieds, 1639-1640,  » ouvrage que l’on peut considérer comme la justification d’un récit émouvant, inséré dans l’Histoire du Parlement et relatif à l’un des événements les plus singuliers qui aient marqué le règne de Louis XIII en Normandie.

Antérieurement, M. Floquet avait publié l’Histoire du Privilège de saint Romain en vertu duquel le chapitre de Rouen délivrait anciennement un meurtrier tous les ans le jour de l’Ascension.

Il lui avait semblé « que ce travail, résumé fidèle de documents nombreux et presque tous inconnus, ne serait pas sans intérêt pour ses compatriotes, » et il le leur avait offert, « avec la confiance d’un écrivain qui n’avait rien négligé pour rendre son œuvre complète et digne des lecteurs éclairés et équitables. »

C’est, en effet, une histoire habilement conçue dans toutes ses parties, où des détails abondants ont été coordonnés avec art ; histoire qu’on pourra abréger, qu’on ne saurait être tenté de refaire, et qui conservera le souvenir d’usages si chers autrefois à la ville de Rouen et même à toute la province.


Les trente dernières années de la vie de M. Floquet furent à peu près exclusivement consacrées à ses Études sur Bossuet. En 1827, il avait concouru pour l’Éloge de ce grand orateur, mis au concours par l’Académie française. Le prix, disputé par de nombreux et de redoutables concurrents, fut partagé entre MM. Patin et Saint-Marc Girardin. M. Floquet n’obtint d’autre distinction que de voir son discours signalé entre tous les autres qui furent alors imprimés.

Nul doute qu’en se portant comme concurrent, il eût moins cédé à l’attrait de la récompense proposée qu’à un goût, dès lors très vif, pour l’homme qu’il s’agissait de glorifier.

MM. Patin et Saint-Marc Girardin, ces maîtres de la critique littéraire de notre temps, n’avaient vu, dans le sujet du concours, qu’une matière propre à exercer leur esprit, et à faire remarquer leur diction élégante. Les pages qu’ils ont consacrées à Bossuet sont aujourd’hui oubliées. Leur rival s’est livré à des recherches moins brillantes, mais plus utiles, et d’un intérêt plus durable ; il a prouvé par là combien son admiration était sincère, et il a réussi à la faire partager.

Dès 1828, l’année qui suivit ce concours, il faisait paraître la Logique de Bossuet pour l’éducation du Dauphin.

En 1829, il composait un Essai sur les hymnes de Santeuil, qui lui permettait de revenir à Bossuet.

En 1830, il donnait une dissertation intitulée : De Bossuet inspiré par les Livres saints.

En 1844, à propos d’une lettre inédite de Bossuet sur la mort d’Henriette-Anne d’Angleterre, duchesse d’Orléans (juillet 1670), il annonçait enfin publiquement, dans la Bibliothèque de l’École des chartes, le projet qu’il avait formé depuis longtemps, qu’il avait confié à ses amis, et dont l’exécution n’avait été retardée que par la longue préparation de son Histoire du Parlement de Normandie[3].

« Tout n’est pas dit encore, écrivait-il, sur l’immortel évêque de Meaux, sur sa vie, sur ses ouvrages. De longues et persévérantes recherches sur ce sujet qui nous est cher, nous ont valu de précieuses révélations qu’un jour nous ferons connaître. »

Ce fut, principalement, afin d’avoir le loisir et les moyens de poursuivre des recherches auxquelles il attachait une si grande importance, que M. Floquet avait pris le parti, l’année précédente, de se démettre de sa charge et de transférer son domicile à Paris. De 1844 à 1847, on le vit parcourir tous les lieux où Bossuet avait vécu, avait prêché, avait pu laisser quelque trace de ses actions, de ses écrits, Metz, Dijon, Troyes, Melun, Jouarre, Meaux, Soissons, Châlons-sur-Marne, Reims, Bordeaux, Condom, Auch et Toulouse, interrogeant, du matin au soir, les archives et les bibliothèques, se mettant en rapport avec tous ceux qui pouvaient l’instruire et le renseigner, recevant partout l’accueil le plus empressé et le plus dévoué, ainsi que ses lettres intimes en contiennent le plus touchant témoignage. Avec quel enthousiasme (c’est presque le feu sacré du poète et de l’orateur) il y conte ses découvertes ; avec quelle effusion de reconnaissance il y parle des démarches obligeantes du baron d’Huart, des offres aimables de Mgr Dupont de Lorges, à Metz ; du bienveillant concours que lui prêtèrent Mgr de la Croix d’Azolette et M. l’abbé Caneto, à Auch ; mais surtout de l’intérêt, constant et presque passionné, que prit à ses travaux Mgr Allou, évêque de Meaux. Invité par ce dernier à venir assister à l’ouverture du tombeau de Bossuet, il fut, dans la matinée du 11 novembre 1854, l’un des très rares témoins de cette scène émouvante, où, pour quelques instants, on vit reparaître à la lumière avant de s’évanouir, à tout jamais, non seulement la dépouille mortelle, mais les traits, un moment reconnaissables, du sublime écrivain.

« Voir Bossuet, écrit-il, le cœur encore tout ému de ce souvenir, combien, dans le monde, au loin, depuis 1704, avaient en leur âme envié cette douceur au grand siècle, combien encore, dans la suite des temps, s’affligeront de n’avoir pu saisir une occasion inespérée, telle qu’elle s’est offerte à moi ! »

Chaque année, la veille de ce jour mémorable dans son existence, M. Floquet se faisait un devoir d’écrire à l’évêque de Meaux pour lui renouveler l’assurance de sa profonde gratitude.

Les Études sur la vie de Bossuet jusqu’à son entrée en fonction en qualité de précepteur du Dauphin parurent en 1855[4].

En 1864, M. Floquet donnait une suite à ce travail. Elle comprenait une période de dix ans, et parut sous le titre de Bossuet précepteur du Dauphin, fils de Louis XIV.

M. E. Gandar, dans son livre intitulé : Bossuet orateur, a fait ressortir, en peu de mots, la qualité dominante de ces recherches :

« M. Floquet, dit-il, en est venu à connaître si bien toutes les circonstances de la vie de l’orateur que, non seulement il supplée un millier de fois au silence de la tradition, mais qu’il rétablit souvent la vérité, d’une manière authentique et irréfutable, sur des points où dom Deforis et le cardinal de Bausset invoquent le témoignage de l’abbé Le Dieu, et où Bossuet, répondant aux questions de son secrétaire, a été trompé par ses souvenirs. »

Après les travaux de longue haleine qui ont illustré le nom de M. Floquet, il faut citer les opuscules. La plupart appartiennent au genre historique, et pourraient être proposés comme modèles.

Ce sont, dans la Bibliothèque de l’École des chartes, une Requête en vers français adressée le 23 février 1570, au parlement de Normandie, par les suppostz de la Basoche de Rouen ; — l’Histoire des Conards de Rouen, l’un des morceaux les plus spirituellement écrits de notre auteur ; — dans la Revue rétrospective, le Rôle politique de P. Corneille pendant la Fronde ; — dans les Mémoires de l’Académie de Rouen, des Réflexions sur un passage de l’Histoire de la vie et des ouvrages de Pierre Corneille, par M. Taschereau ; — un Document relatif à Pierre Corneille ;Établissement à Rouen, en 1604. d’une manufacture de soieries favorisée par Henri IV ; Lettre inédite de ce monarque relative à cet établissement ;Lettres de noblesse accordées au père du grand Corneille ;La Charte aux Normands[5] ;Notice sur les tombeaux de Claude Groulart, premier président du parlement de Normandie (de 1585 à 1607) et de Barbe Guiffard, sa seconde femme, découverts à Saint-Aubin-le-Cauf (canton d’Envermeu, arrondissement de Dieppe) ;La Maison des Basnage ;Lettre inédite de Jouvenet et Notice à ce sujet.

Les Anecdotes normandes tiennent le milieu entre le genre historique et le genre littéraire. Elles furent composées à de longues années d’intervalle, et sous des inspirations très différentes.

Presque toutes furent lues à l’Académie de Rouen et publiées dans ses Mémoires. Ce sont : Louis XI et la Normande, 1882 ; — l’Aveugle d’Argenteuil, 1833 ; — le Procès, 1834 ; — le Carrosse de Rouen ;la Harelle de Rouen ;un grand Dîner du Chapitre de Rouen, à l’Hôtel de Lisieux, à Rouen, 1835 ; — l’Élection faite par le chapitre de l’église cathédrale de Georges d’Amboise, premier du nom, 1837 ; — le Petit Saint-André ;le droit de grâce des archevêques de Rouen, 1838.

Ces anecdotes, auxquelles il en joignit deux autres, la Basoche de Rouen et la Boise de Saint-Nicaise, qui avaient paru dans la Revue de Rouen, furent publiées, cette dernière année, à un nombre assez restreint d’exemplaires, qui furent rapidement enlevés.

Depuis, M. Floquet composa et lut à l’Académie de Rouen cinq nouvelles anecdotes : la Vocation, anecdote normande sur l’abbé Gervais De la Rue, 1839 ; — l’Arrêt du sang damné, 1840 ; — le Mot d’Ordre, 1841 ; — Notre Dame-de-Bonsecours, 1842 ; — Encore un procès, 1844.

On les trouvera jointes au présent recueil, dont elles nous ont paru devoir augmenter assez sensiblement l’intérêt.

Ce n’est pas sans raison qu’on a vanté la verve, la gaîté, la parfaite décence de ces petits contes, d’une facture savante et recherchée.

Les éléments en ont été empruntés aux sources les plus variées, aux manuscrits de la Bibliothèque nationale, aux archives du palais de justice de Rouen, à celles du département de la Seine-Inférieure, et, plus rarement, à des documents imprimés. Parmi ces récits, on n’en voit point qui soient dépourvus de valeur historique : mais tous, à ce point de vue, ne sont pas recommandables au même degré. Quelques-uns sont exacts de tout point, et le conteur n’a permis aucun écart à son imagination ; tels sont, par exemple, le Dîner du Chapitre, l’Élection de Georges d’Amboise, le Droit de grâce des archevêques de Rouen. Ceux-là ont été composés à l’aide de documents authentiques, dont ils ne sont souvent que l’élégante traduction et le simple commentaire.

Dans d’autres un fond sérieux a servi de thème à une mise en scène de pure imagination : tels sont Louis XI et la Normande et l’Arrêt du sang damné.

Une pièce de la Muse normande, de David Ferrand, a fourni la donnée de la charmante anecdote : Un procès, à mon avis, le chef-d’œuvre du recueil. Un chapitre des Recherches d’Étienne Pasquier n’a eu besoin que d’être arrangé pour devenir l’Aveugle d’Argenteuil.

Des renseignements oraux ont donné les sujets des anecdotes : le Carrosse de Rouen et Notre-Dame-de-Bonsecours.

Ce qui ajoute au prix de ces tableaux, c’est que l’auteur s’y peint lui-même, et que nous y trouvons les impressions qu’avaient laissées dans son esprit les différentes étapes de sa vie.

Des souvenirs, chers à son enfance, nous ont valu la Boise de Saint-Nicaise, qui retrace d’une manière si piquante la lutte qui s’engagea entre les Purins du quartier des drapiers et les damerets du quartier aristocratique et parlementaire. Saint-Nicaise et Saint-Godard furent, à Rouen, les deux paroisses favorites de l’auteur ; la première lui rappelait sa mère, le plaisir qu’il avait éprouvé à écouter, encore enfant, assis près d’elle, ces hymnes sacrées qu’il savait toutes par cœur, et dont il ressentait les charmes, comme s’il eût été un contemporain de Santeuil. Saint-Godard était la paroisse de sa jeunesse, celle aussi de son âge mûr : il y avait vu, dans un superbe vitrail, les scènes de la légende de saint Romain, qu’à son tour il devait faire revivre dans une de ses meilleures productions. Les années qu’il avait passées à Caen, comme étudiant, nous ont valu la Vocation, c’est-à-dire son histoire à lui-même, que nous reconnaissons sous les traits de Gervais De la Rue, regardant d’un œil curieux les anciens chapiteaux de l’église Saint-Pierre, hésitant entre la poésie, l’éloquence et l’érudition, et s’éprenant enfin d’un beau feu pour l’histoire du passé, à laquelle il consacra d’abord tous ses loisirs, ensuite toute sa vie. Quelques-unes de ces anecdotes nous reportent aux années où il fut employé à la Bibliothèque royale ; d’autres, à celles que remplirent ses fonctions de greffier de la cour de Rouen. Encore un procès, où il raconte les obstacles qui s’opposèrent pendant quelque temps à l’exécution des dispositions testamentaires de l’abbé Legendre, est une sorte d’hommage et de cordial adieu à ses confrères de l’Académie de Rouen, qui tous professaient pour lui l’estime la plus sincère, comme ils lui en donnèrent un témoignage, le plus significatif qu’il fut en leur pouvoir de lui offrir, en lui décernant, en 1862, une médaille d’honneur.

Il est inutile, après tant d’autres, de parler de son extrême aménité, de la distinction de ses manières, qui lui gagnaient tous ceux qui avaient le bonheur de l’approcher ; de cette bienveillance inaltérable, qui ne lui laissa jamais échapper un mot désobligeant pour personne ; de cette sensibilité qui lui faisait payer les plus légers services d’une reconnaissance hors de proportion avec le bienfait, et dont il aimait à renouveler sans cesse l’expression[6] ; de cet attachement à ses amis (les plus vieux furent pour lui les meilleurs), qui ne tenait rien de l’amour des louanges, ni de l’intérêt. Ce qui frappe le plus chez lui, c’est une constance, qui ne se démentit jamais, dans les sentiments, dans les goûts, dans le genre de vie. Tel il était dans son adolescence, tel à peu près on le retrouve dans sa vieillesse. L’expérience, sans doute, l’avait éclairé, mûri ; elle avait modifié quelques-uns de ses jugements, fait tomber quelques-unes de ses illusions ; mais elle n’exigea de lui aucun notable sacrifice. Ce qu’il avait aimé, il l’aimait encore, parce qu’il n’avait rien aimé que de noble et délicat. Sous le rapport du style et des sentiments, il est aisé de constater aussi un parfait accord entre les livres qu’il a publiés et sa correspondance la plus intime et la plus familière.

Je ne veux emprunter à ses lettres qu’une citation, parce qu’elle fait connaître l’homme.

« Je souffre (écrivait-il en 1846, à la vue de polémiques passionnées qui avaient la politique pour objet) ; je souffre cruellement en voyant les hommes, tant les agresseurs que les attaqués, tant les grands que les petits, si passionnés, si intéressés, si malheureux, si vindicatifs, et je m’applaudis bien de m’être, toute ma vie, tenu loin de tous ces mouvements. On n’obtient sans doute à ce compte que de petits bonheurs, mais on évite certainement de grandes tempêtes. »

Gardons-nous de croire, cependant, que M. Floquet fut un stoïcien indifférent, et que le souci de sa tranquillité, en l’exemptant des tourments de l’ambition, l’ait jamais empêché de prendre parti quand il le fallait, et ait éteint en lui l’ardeur des fortes convictions et des sympathies généreuses.

Pendant le séjour qu’il avait fait à Paris, il avait eu l’honneur d’être présenté à Mgr de Quélen et de recevoir de lui les marques les moins équivoques, non seulement d’intérêt, mais d’amitié. On croira sans peine qu’il en conserva toujours le plus respectueux souvenir. Ce n’était jamais sans attendrissement qu’il parlait de ce vénérable prélat. Il aimait surtout à rappeler avec quelle paternelle bonté celui-ci l’avait accueilli, s’était appliqué à le consoler un jour que, sous le coup d’un deuil cruel, tout récent, il était venu lui confier sa peine et son découragement. Ce jour-là, il reçut de Mgr de Quélen un livre intitulé : les Consolations de la religion dans la perte des personnes qui nous sont chères, livre qu’il conservait comme une relique et sur une page duquel il avait inscrit, en souvenir du donateur, cette citation qu’il avait empruntée à D’Olivet, dans son éloge de Daniel Huet : « On doute, lorsqu’il s’agit de grands hommes, si c’est amour-propre ou reconnaissance qui fait que nous parlons de leur amitié, et souvent, de peur d’être soupçonnés d’une faiblesse, nous manquons à un devoir de reconnaissance. »

C’est à la louange de Mgr de Quélen et de M. Floquet que nous nous permettrons de rapporter la lettre suivante, écrite à la date du 18 octobre 1830 :

« Ne me plaignez pas, mon cher ami, félicitez-moi plutôt d’avoir été trouvé digne de souffrir quelque chose pour le nom de Jésus-Christ, car je ne pense pas que ce soit contre moi que ces violences aient été dirigées. Non potest mundus odisse vos : me autem odit. Ayant peu de temps pour vous écrire, je ne puis que vous exprimer à la hâte ma reconnaissance pour l’intérêt que vous me témoignez. J’ai été bien occupé de vous, et j’ai fait des vœux pour que ce bouleversement ne vous atteigne pas, non plus que votre existence. Je suis plus près de vous que vous ne le pensez, à huit heures seulement de distance de Rouen, mais je n’oserais vous offrir ni vous dire de venir ici. Je dois des ménagements à mes hôtes dans la vallée d’Eure. Je pense quelquefois à mes quartiers d’hiver. Si je ne puis rentrer dans mon diocèse, alors je profiterai de vos offres amicales. Vous pourrez vous servir, pour m’écrire, de la voie dont vous avez usé dans votre dernière lettre.

« Croyez, mon cher ami, que le souvenir de votre dévoûment et de votre affection est une des consolations que Dieu m’a envoyées, et dont je le remercie avec attendrissement. Avoir des amis, c’est beaucoup. Mais en trouver dans le malheur, c’est être doublement heureux.

« Je vous embrasse et vous renouvelle l’assurance de mon très tendre attachement.

Hyacinthe,
Archevêque de Paris. »


Ses relations avec Mgr de Quélen procurèrent à M. Floquet la connaissance de Mgr Surat, plus tard vicaire général et archiprêtre de la cathédrale de Paris, avec lequel il aimait à revenir sur un temps qui leur avait, à l’un et à l’autre, laissé de si chers souvenirs.

Les terribles événements de 1870 et 1871, la mort violente de Mgr Darboy et de Mgr Surat[7], massacrés l’un l’autre comme otages de la Commune de Paris, affectèrent M. Floquet de la manière la plus douloureuse. À partir de ce moment, il ne put se résoudre à reprendre ses travaux ; il renonça définitivement à l’espoir d’achever une œuvre qu’il avait jusque-là poursuivie avec une si admirable patience.

Dès lors retiré dans sa solitude de Formentin, où venaient le voir ses amis, où plus d’une fois il reçut la visite de M. Picard[8], archiprêtre de la cathédrale de Rouen, du docteur Hellis, et de M. le baron Adam, il employa tout son temps, d’abord à faire le bien, à répandre ses aumônes autour de lui, ensuite à lire ses auteurs favoris, Bossuet, surtout, dont il ne pouvait se lasser.

Mais, fidèle aux conseils d’Étienne Pasquier, qui considérait comme faites en pure perte les lectures qu’on entreprenait autrement que la plume à la main, il se mit à relever tous les passages qui le frappaient dans les livres qu’il lisait.

Deux des registres consacrés à ces citations portent le titre : In extremis. Il y avait transcrit tout ce qui avait trait à la mort, et avait pris soin d’indiquer, par une annotation particulière, ceux qu’il désirait qu’on lui relût, quand on le verrait près de sa fin.

Sa correspondance, cependant, ne subit guère de ralentissement, et ses amis n’eurent jamais à se plaindre des fatigues que la vieillesse lui apportait. Toutes ses lettres, écrites d’une main ferme, en caractères qui semblent d’une autre époque, respirent un parfum d’exquise politesse, et il est à remarquer que, bien qu’écrites au courant de la plume et sans le moindre effort, elles sont rédigées avec le même soin et la même correction que si elles eussent dû être imprimées.

La dernière qu’il put écrire en entier était adressée à M. de Tourville, président de Chambre honoraire à la cour de Rouen[9].

Il voulut ensuite adresser un dernier souvenir à M. Hébert, ancien Garde des sceaux, dont il aimait toujours à vanter le talent éminent et la noblesse de caractère ; mais il ne put tracer que quelques lignes : la lettre ne fut point achevée.

Peu de temps après, le 3 août 1881, M. Floquet s’éteignait à Formentin, dans les sentiments d’une vive piété, entouré des plus tendres soins d’une femme dévouée, qui, constamment, s’était associée de cœur et d’esprit aux travaux de son mari.

Il laisse après lui d’excellents ouvrages qu’on consultera toujours avec profit, et qu’on lira toujours avec plaisir. Sa mémoire a été honorée par des éloges d’amis, de littérateurs et d’érudits[10] ; mais, s’il m’est permis de le dire, elle l’a été bien plus encore par les regrets sincères et unanimes de cette population rustique, au milieu de laquelle s’écoulèrent ses dernières années, et qui ne connaissait en lui que l’homme de bien.


Ch. de BEAUREPAIRE.



  1. Tout dernièrement, une nouvelle édition des Anecdotes normandes était demandée par M. Siméon Luce, Membre de l’Institut, « au nom des amis et des admirateurs de M. Floquet, au nom de tous ceux qui ont le culte des gloires normandes. »
    Voir le discours prononcé par M. Luce, comme président d’honneur de la Société de l’Histoire de la Normandie, dans le Bulletin de cette Société, t. III, p. 109. Le même vœu avait été exprimé par M. l’abbé Le Nordez, dans une conférence donnée par lui au Cercle du Luxembourg, à Paris, en janvier 1882.
  2. Voir les articles de M, Quicherat.
  3. Fidèle à ses anciens confrères de l’Académie de Rouen, dont un des plus marquants était M. Chéruel, il les avait initiés à ses nouveaux travaux, en leur donnant lecture, en 1843, de sa dissertation sur la Bible de Bossuet. Il leur communiquait, en 1845, ses Réflexions à propos d’un opuscule autographe de Bossuet sur le style et l’écriture des écrivains et des Pères de l’Église ; en 1849, un mémoire intitulé : La première thèse de Bossuet. La Bible, dont il est ici question, est un exemplaire de la Grande Bible d’Antoine Vitré, sur les marges duquel sont consignées les notes recueillies par l’abbé Fleury et des annotations de la main de Bossuet, à la suite de conférences présidées par lui. M. Floquet avait pu s’en rendre acquéreur, grâce à l’intervention de l’excellent M. Gossin (fondateur de la Société de Saint-François-Régis), qui lui donna bientôt une preuve encore plus grande de son amitié en lui cédant un document, auquel il attachait le plus grand prix, le Panégyrique de saint Joseph, Depositum custodi, manuscrit autographe de Bossuet.
  4. Le second prix Gobert fut donné à M. Floquet pour cet ouvrage, au concours des Antiquités nationales de 1856.
  5. Cette dissertation fut lue à la séance solennelle des Antiquaires de Normandie, qui l’insérèrent dans leurs Mémoires, tome XIII (1844), p. VI-XXII. On la retrouve aussi, avec quelques légers changements, dans la Bibliothèque de l’École des Chartes, tome IV, p. 42-61.
  6. Il était aisé d’en juger par la manière dont il parlait de MM. Berger de Xivrey, Timothée Campenon, Pierre Clément, Léopold Delisle, Ernest de Fréville, Gomont, Homberg, Paulin Paris, André Pottier, Ch. Richard, N. de Wailly, etc..
  7. Mgr Darboy avait témoigné à M. Floquet la plus grande bienveillance, et prenait le plus vif intérêt aux Études sur Bossuet. Il faut en dire autant de Mgr Hugonin, évêque de Bayeux.
  8. La vie de M. Picard a été écrite, avec autant de cœur que de goût, par M. l’abbé J. Durier. On y trouve un très intéressant passage sur les vacances de M Picard à Formentin, p. 171-177.
  9. Cette lettre avait été écrite à l’occasion de la mort de M. de Tourville, jeune magistrat, d’une rare distinction.
  10. Discours prononcés sur la tombe de M. Floquet, par M. le baron Adam ; — par M. Conrad de Witt, reproduits par le Moniteur du Calvados. — Notice sur M. Floquet, due à la plume élégante de Madame de Barbarey (l’auteur bien connu d’Élisabeth Seton), dans l’Union, 4 sept. 1881. — Autres notices de M. le chanoine Denis, dans la Semaine religieuse de Meaux ; — de M. l’abbé Loth, dans la Semaine religieuse de Rouen ; — de M. E . de Beaurepaire, secrétaire de la Société des Antiquaires de Normandie, dans le Bulletin de cette Société ; — de M. le marquis de Beaucourt, dans le Bulletin de la Société de l’Histoire de France ; — Notice non signée dans le Français, numéro du 10 août 1881, etc.