DÉDALE ET ICARE.

La fable raconte qu’un habile ouvrier nommé Dédale[1], pour s’échapper d’une île où il était retenu prisonnier, se fabri- briqua des ailes sans autres matériaux que des plumes unies avec de la cire, et que, osant se confier à l’espace, il se fraya un chemin par une voie nouvelle et arriva enfin à gagner la terre et la liberté.

Tel ne fut pas le sort de son fils Icare, qui l’avait accompagné. Trop faible pour soutenir longtemps son vol, ou bien s’étant, nous dit-on, trop approché du soleil, dont la chaleur fondit la cire qui unissait les plumes de ses ailes, le malheureux jeune homme tomba dans la mer au-dessus de laquelle il avait voulu s’élever.

Ce conte retrace la destinée de ceux qui veulent sortir de la condition où ils sont nés, et suivre une carrière flatteuse pour leur amour-propre. S’ils ont un génie réellement au-dessus de leur état, c’est-à-dire, une raison droite avec une forte intelligence, alors ils peuvent se maintenir et faire route dans la sphère où ils ont voulu prendre rang. S’ils n’ont pas ces rares qualités, ils succombent, épuisés par leurs efforts, ou bien se perdent en voulant s’élever trop haut.

Généralement, sachons rester dans la condition où le ciel nous a placés, et bornons nos désirs à nous y faire estimer par notre conduite honnête et un travail intelligent. Se placer ainsi à un rang distingué parmi les siens, n’est-ce pas assez pour l’ambition d’un homme sage ?


  1. Dédale appartient à cette époque éloignée et confuse qu’on appelle les temps fabuleux. On le regarde comme l’inventeur de plusieurs instruments utiles, entre autres de la scie. On lui attribue aussi la construction du Labyrinthe, édifice composé de tant de salles que l’on s’y perdait, si l’on n’avait pas soin, en parcourant, de dévider un peloton de fil au moyen duquel on retrouvait la route par laquelle on était venu.