Madame,
Ce n’eſt pas ſans sujet que ie mets voſtre illuſtre Nom à la teſte de cet Ouurage. Et de quel autre nom pourrois-ie eſbloüir les yeux de mes Lecteurs, que de celuy dont mes Spectateurs ont eſté ſi heureuſement eſbloüis ? On ſçauoit que VOSTRE ALTESSE ROYALE auoit daigné prendre ſoin de la conduite de ma Tragedie. On ſçauoit que vous m’auiez preſté quelques-unes de vos lumieres, pour y adjoûter de nouueaux ornemens. On ſçauoit enfin que vous l’auiez honnorée de quelques larmes, dés la premiere lecture que ie vous en fis. Pardonnez-moy, MADAME, ſi i’oſe me vanter de cet heureux commencement de ſa deſtinée. Il me conſole bien glorieuſement de la duretè de ceux qui ne voudroient pas s’en laiſſer toucher. Ie leur permets de condamner l’Andromaque tant qu’ils voudront, pourueû qu’il me ſoit permis d’apeller de toutes les ſubtiliteZ de leur eſprit, au Cœur de V. A. R.
Mais, MADAME, ce
n’eſt pas ſeulement du cœur que
vous iugez de la bonté d’vn
Ouurage, c’eſt auec vne intelligence,
qu’aucune fauſſe lueur
ne ſçauroit tromper. Pouuons-nous
mettre ſur la Scene vne Hiſtoire que vous ne poſſediez
auſſi bien que Nous ? Pouuons-
nous
faire joüer vne intrigue,
dont vous ne penetriez tous les
reſſorts ? Et pouuons-nous conceuoir
des ſentimens ſi nobles
& ſi delicats, qui ne ſoient infiniment
au deſſous de la nobleſſe & de la delicateſſe de vos
penſées ?
On ſçait, MADAME, & V. A. R. a beau s’en cacher, que dans ce haut degré de gloire où la Nature & la Fortune ont pris plaiſir de vous eſleuer, Vous ne dédaignez pas cette gloire obſcure que les gens de lettres s’eſtoient reſeruée. Et il ſemble que vous ayez voulu auoir autant d’auantage ſur noſtre Sexe par les connoiſſances & par la ſolidité de voſtre eſprit, que vous excellez dans le voſtre par toutes les grâces qui vous enuironnent. La Cour vous regarde comme l’Arbitre de tout ce qui ſe fait d’agreable. Et nous qui trauaillons pour plaire au public, nous n’auons plus que faire de demander aux Sçauans ſi nous trauaillons ſelon les Regles. La Regle ſouueraine, eſt de plaire à V. A. R.
Voila ſans doute la moindre de vos excellentes qualitez. Mais, MADAME, c’eſt la ſeule dont i’ay pû parler auec quelque connoiſſance ; les autres ſont trop éleuées au deſſus de moy. Ie n’en puis parler ſans les rabaiſſer par la foibleſſe de mes penſées, & ſans ſortir de la profonde veneration auec laquelle ie ſuis,
MADAME,
DE VOSTRE ALTESSE ROYALE,