Texte établi par Claude-Bernard PetitotFoucault (p. 241-264).


Du siège, assaut, prise et destruction du fort de Rouleboise, et de la prise de Mante et de Meulan, dont les murailles furent abbattuës.


La prise de Rouleboise, de Mante et de Meulan, paroissoit d’une si grande consequence aux affaires du Dauphin, qu’il fut resolu de mettre tout en œuvre pour les enlever sur les Anglois et les Navarrois, qui s’en étoient emparez, et les Parisiens ne recevoient plus tous les secours que la Seine avoit accoûtumé de leur donner par les bateaux qu’elle portoit chargez de vivres et de provisions qu’elle amenoit au pied de leurs murailles, tout étant arrété par les garnisons ennemies, qui s’étoient saisies de ces places situées sur le même fleuve. Dix mille bourgeois de Roüen choisirent entr’eux un nommé le Lievre pour leur capitaine, et marchèrent à sa suite au siège de Rouleboise, qu’ils investirent d’un côté, tandis que Bertrand vint se camper de l’autre avec ce qu’il put ramasser de gens lestes et déterminez pour une prompte expedition. L’attaque fut fort chaude des deux cotez ; mais la resistance ne fut pas moins opiniâtre, et le gouverneur de la place se promettoit bien que les assiegeans s’en retourneroient sans rien faire.


Bertrand et les principaux officiers de son armée voyans bien que la prise de Rouleboise n’étoit pas une affaire d’un jour, se persuadèrent que celle de Mante n’étant pas si difficile, il falloit tenter la conquête de celle-cy pour venir ensuite à bout de la première. Guillaume de Launoy, capitaine fort estimé dans les troupes de France, ouvrit cet avis le premier dans le conseil de guerre ; il ne fut pas d’abord suivy dans son sentiment. On luy fit entendre qu’il falloit débuter par la prise de Rouleboise et qu’en suite on songeroit à Mante, et que ce seroit decrediter les armes du Dauphin, que de se présenter devant une place, et de l’abandonner aprés pour entreprendre le siege d’une autre. De Launoy leur persuada que sans quiter le dessein qu’ils avoient sur Rouleboise, ils pouvoient tourner leurs pensées sur Mante, qu’il se faisoit fort de prendre en trois jours, si l’on vouloit exactement suivre et pratiquer ce qu’il avoit médité là dessus. Tout le monde entra dans son sentiment, et l’on se reposa sur luy de toute la conduite de cette entreprise.

De Launoy se servit d’un stratagême fort ingénieux pour exécuter le dessein qu’il avoit dans l’esprit. Il choisit vingt de ses soldats, qu’il fit habiller en vignerons, et les déguisa si bien, qu’ils avoient tout à fait l’air de gens de ce métier. Il leur donna de bonnes armes, qu’ils cacherent sous leurs vestes de toile, et les instruisit fort exactement de tout ce qu’ils devoient faire. Il avoit fait loger auparavant trente soldats qui çà, qui là, dans les cabarets de Mante, qui, pour devenir moins suspects, demeuroient separez et faisoient semblant de ne se point connoître ; ils avoient grand soin de témoigner leur zele pour le roy de Navarre, et leur aversion pour le Dauphin, duc de Normandie, publians dans toutes les tavernes, que si ce prince faisoit attaquer Mante, ils se feroient ensevelir sous les ruines de la ville, avant qu’il s’en rendît le maître.

Toutes les choses étant ainsi disposées, Guillaume partit avec ses gens dans une nuit bien obscure, et quand il se vit prés de Mante, il mit pied à terre et fit descendre de cheval ceux qui l’accompagnoient, apprehendant que le hannissement des chevaux et le bruit de leur marche ne les fît découvrir, et ne reveillât les bourgeois de la ville. Ils se présentèrent aux barrières à la petite pointe du jour, lors qu’on faisoit l’ouverture des portes pour envoyer les bêtes aux pâturages. Quand quatre bourgeois, qui gardoient les clefs de la ville, eurent ouvert le guichet et la moitié de la barriere, ils apperçurent ces prétendus vignerons un peu éloignez les uns des autres, qui faisoient mine de vouloir entrer pour travailler aux vignes et gagner leur journée. Leur contenance leur paroissoit si simple et si naïve, qu’ils ne balancerent point à leur ouvrir toute la barriere, et se retirerent en suite à leur corps de garde pour y mettre bas leurs armes, et faire sortir les bestiaux ; quatre de ces vignerons travestis passerent la porte, dont six autres qui les suivoient se saisirent aussitôt, et mirent tous ensemble l’épée à la main. L’un d’eux sonna d’un cors qu’il avoit dans sa poche, pour avertir Guillaume de Launoy qui se tenoit là tout auprès dans une embuscade, et n’attendoit que l’heure du signal pour entrer dans la ville avec le reste de ses gens. Il eut l’adresse d’embarrasser le pont avec une charette pour empêcher les bourgeois de le lever sur ceux qui le devoient joindre. De Launoy se jetta dans Mante lors que la plûpart des habitans étoient encore au lit.

Ces trente soldats qu’il avoit auparavant apostez dans la ville, se déclarèrent en sa faveur et se joignirent à luy crians Launoy ! Launoy !. Bertrand, le comte d’Auxerre, et d’autres chevaliers, accompagnez de beaucoup de troupes, se jetterent à corps perdu dans la place. Les habitans se voyans surpris firent mine de courir aux armes ; mais Bertrand se saisit de tous les postes et de toutes les avenues pour les tenir dans le devoir. Il y en eut quelques-uns qui se mirent en état de se defendre en jettant des pierres par les fenêtres ; mais on les en faisoit retirer à grands coups d’arbalètes. La plupart coururent en foule dans la grande église pour s’y mettre à couvert de la fureur du soldat, et faire leur condition bonne. Les femmes s’y jettoient aussi chargeans leurs enfans sur leur cou, Bertrand marcha contre cette église à la tête de cinq cens arbalêtriers, en força les portes, et menaça tous ceux qu’il y trouva de les faire passer au fil de l’épée s’ils ne se rendoient à sa discretion. La crainte de la mort les obligea de subir la loy du vainqueur. Ce gêneral les assura qu’en se soûmettant à l’obeïssance du dauphin de France, on leur conserveroit leurs biens et leurs vies, et que s’il ne luy rendoient réponse sur l’heure, il alloit faire un sac de leur ville, en abandonnant tout au pillage et à la licence du soldat. Les bourgeois de Mante ne se le firent pas dire deux fois ; ils donnerent les mains à tout ce qu’on voulut, et firent serment de reconnoître le duc de Normandie pour leur souverain durant l’absence et la prison du roy Jean, son pere, et demanderent par grâce à Bertrand qu’il voulut au plûtôt attaquer aussi la ville de Meulan, parce que cette place leur seroit une épine au pied, tandis qu’elle tiendroit pour le roy de Navarre, et pour les Anglois, qui feroient sans cesse des courses sur eux et les recoigneroient dans leurs portes.

Bertrand leur promit qu’on alloit mettre incessamment les fers au feu pour cet effet, mais il leur dit qu’il falloit auparavant s’assurer de la tour de Rouleboise, qui ôtoit à Paris la communication de la Seine, et le secours qu’il avoit accoûtumé de tirer de cette rivière. C’est ce qui fut aussitôt arrêté dans le conseil de guerre. Le gouverneur de cette tour étoit au desespoir de ce que Mante avoit été surprise, et reprochoit par les créneaux aux François qu’ils ne s’en étoient rendus les maîtres que par trahison ; qu’ils n’auroient pas si bon marché du poste qu’il occupoit[1], et qu’il se defendroit au péril de sa vie. Des paroles l’on en vint aux coups. Bertrand se mit à la tête des milices de Roüen pour attaquer la tour. On fit des efforts incroyables pour l’emporter, mais les assiégez, qui s’étoient préparez à soûtenir l’assaut se défendirent en gens de cœur, et jetterent tant de dards, tant de pierres, et tant de cailloux sur les assiegeans, qu’ils les obligèrent à se retirer.

Bertrand, qui ne se rebutoit jamais pour un mauvais succès et dont les ressources étoient inépuisables, fit amener par charroy des beliers et d’autres machines de guerre pour battre la tour. Cet appareil épouvanta le gouverneur, qui s’appercevant qu’on ne luy feroit aucun quartier, s’il s’opiniâtroit à ne se pas rendre, prit le party de capituler, et demanda quelque argent pour être dédommagé de ses pertes. Bertrand, avec lequel il s’aboucha, luy voulut bien donner cette petite satisfaction, pourveu qu’il sortît aussitôt de la tour. Ce qui fut exécuté sur l’heure ; et Guesclin s’étant assuré de ce poste, y voulut régaler le soir même les principaux officiers de l’armée, qui tenans conseil de guerre avec ce general, furent d’avis de depêcher au plutôt auprès du Dauphin, pour luy faire part de cette nouvelle, et pour sçavoir de luy si tel étoit son plaisir qu’on rasât cette tour en la faisant sauter par une mine, afin de se delivrer du soin d’y mettre garnison, dont on auroit ailleurs assez de besoin. Le duc de Normandie leur envoya là dessus tous les ordres nécessaires pour démolir la tour, qui fut aussitôt abbattuë, si bien qu’il ne restoit plus, pour achever de debarrasser entièrement la Seine, que de prendre Meulan, dont les Parisiens souffroient de fort grandes incommoditez. Bertrand assembla tous les officiers de l’armée pour leur représenter qu’il falloit achever par la prise de cette place, ce qu’ils avoient déja si genereusement commencé, que c’étoit l’intention de Charles, Dauphin, dont ils avoient épousé la querelle contre le roy de Navarre et les Anglois, qu’on ne la marchandât pas davantage, afin que les environs de Paris pussent devenir entièrement libres. Le comte d’Auxerre fit aussi de son côté toutes les instances possibles, afin que toute l’armée prit la même résolution ; chacun témoigna beaucoup d’empressement pour le siege de Meulan, dont le retardement pouvoit beaucoup nuire aux affaires de la Couronne.

Toutes les troupes firent donc un mouvement de ce côté là, dans la résolution d’emporter la place ou d’y laisser la vie. Ceux de Meulan furent bientôt avertis du dessein qu’on avoit sur eux par un cavalier, qui fut à toute jambe leur donner cette triste nouvelle, dont ils furent fort alarmez ; ce qui les obligea de veiller à leur défense et de se tenir sur leurs gardes plus que jamais. Ils étoient déjà fort consternez de la prise de Mante et de Rouleboise ; mais ils ne tomberent pas tout à fait dans le desespoir de disputer à leurs ennemis le terrain pied à pied. Chacun fut commandé de travailler aux fortifications de la ville, sans en excepter les femmes et les enfans. Il y avoit au dessus une citadelle assez forte et bien pourvûë de vivres et de munitions ; le gouverneur se vantoit de tenir longtemps, parce qu’il avoit des farines, des vins et des chairs salées pour plus de quinze mois. Bertrand fit charger une partie des troupes sur des bateaux, tandis que les archers et les gendarmes côtoyoient la rivière. Quand tout fut arrivé devant Meulan, Bertrand et le comte d’Auxerre caracollerent tout autour pour étudier l’assiette de la place et la reconoître ; ils observeront la situation de la tour, qui commandoit beaucoup à la ville, étant bâtie sur une haute eminence, et remarquerent que le pont avoit été nouvellement fortifié par les Anglois et les Navarrois, qui paroissoit à Bertrand fort difficile à prendre.

Il pria le comte d’Auxerre de lui dire ce qu’il en pensoit, mais le Comte luy fit connoître que la prise de la citadelle et de la ville étoit bien d’une autre importance que celle du pont : que c’étoit à cela qu’il falloit particulierement s’attacher, et que si l’on pouvoit emporter les deux premières, l’attaque et la prise du pont ne seroit pas dans la suite une affaire. Qu’il étoit donc de la dernière consequence de débuter par la tour de Meulan, qu’il falloit assieger dans les formes ; et comme les troupes destinées pour ce siege, qui pouroit peut-être durer longtemps, auroient beaucoup de fatigues à essuyer, il fut d’avis qu’on les logeât autour de Paris, dans de fort commodes endroits, afin qu’elles se pûssent délasser et refaire de leurs peines et de leurs travaux, et recouvrer de nouvelles forces, pour revenir à la charge quand il en seroit temps. Bertrand goûta fort le conseil du comte d’Auxerre, et luy témoigna qu’il étoit dans la resolution d’y entrer. On prépara donc toutes choses pour l’attaque de la ville. Bertrand fit sonner la trompette par tout le camp, afin que chacun fût alerte pour cette expédition. Tandis qu’il se donnoit du mouvement pour encourager ses troupes, et leur inspirer la résolution de bien payer de leurs personnes, les assiégez, qui le voyoient et le redoutoient, tirerent sur luy de dessus leurs murailles, un grand carreau de pierre, qui vint tomber aux pieds de son cheval, et qui l’auroit infailliblement tué s’il eût porté juste. Les arbalêtriers eurent ordre aussitôt d’ouvrir l’action, tirans sans cesse contre les assiégez, qui paroissoient sur les rempars pour les amuser et faciliter le dessein de Bertrand, qui se mit à la tête des gendarmes, et s’en alla tout droit se présenter aux barrières de la ville, qu’il abbatit à grands coups de hache, avec tant de bravoure et d’intrépidité, que les bourgeois n’osans pas tenir tête, se retirerent en grand desordre dans la tour, où ils avoient mis à couvert tout ce qu’ils avoient d’or, d’argent et de meubles. Il y en eut quelques autres qui s’enfuirent du côté du pont, y croyans trouver plus de sûreté.

Bertrand, poursuivant sa pointe après avoir renversé les barrières, alla s’attacher à la porte de la ville, qu’il fendit et mit en éclats et en pièces avec la même hache, et s’étant ouvert par là l’entrée de Meulan, tout son monde se répandit aussitôt avec luy dans les ruës. L’alarme fut extrême. Les habitans qui ne s’étoient pas réfugiez dans la tour, se tenoient cachez dans leurs maisons, n’attendans plus que l’heure de la mort. Bertrand et le comte d’Auxerre, croyans n’avoir encore rien fait s’ils ne se rendoient maîtres de la tour et du pont, tournèrent toutes leurs pensées de ce côté là, mais pour y reüssir avec plus de succés, ils crurent qu’il falloit commencer par jetter l’épouvente par tout. Ils abandonnèrent donc la ville au pillage de leurs soldats, qui se jetterent avec tant de furie dans les maisons, que les bourgeois s’estimoient trop heureux d’avoir la vie sauve et de se mettre à rançon, si bien que la soldatesque s’enrichit non seulement de leurs dépoüilles, mais du prix qu’elle leur faisoit payer pour leur liberté.

Les habitans qui gardoient le pont, craignans la fureur de Bertrand, ne balancerent point à le rendre, de peur qu’à la chaude, on ne les fît passer au fil de l’épée s’ils entreprenoient de faire une plus longue résistance. Il ne s’agissoit donc plus pour achever toute la conquête, que d’enlever la tour. Bertrand s’avisa devant que d’en venir aux mains, de tenter s’il ne pouroit point engager le gouverneur à la luy rendre, en l’intimidant. Il le fit donc appeller, pretextant qu’il avoit quelque chose d’important à luy communiquer. Le gouverneur parut aux créneaux de la tour, pour apprendre de luy tout ce qu’il avoit à luy dire. Bertrand le somma de la part de Charles, dauphin de France, régent du royaume et duc de Normandie, de luy rendre incessamment la place, et que s’il refusoit d’obeïr, il luy en coûteroit la tête, jurant qu’il ne sortiroit point de là ; ny luy, ny ses gens, qu’il n’en fût le maître de gré ou de force.

Le gouverneur ne témoigna point d’être ébranlé de ces menaces, et se mettant à plaisanter, il luy demanda s’il avoit appris à voler, et si le ciel luy avoit donné des aîles pour monter si haut, Bertrand se retirant tout en colere, luy dit qu’il le feroit bientôt repentir de sa prétenduë raillerie. L’attaque fut aussitôt commencée : mais comme elle faisoit plus de bruit que d’effet, on ne l’employa seulement que pour empêcher les assiégez de découvrir au pied de la tour le travail des mineurs, qui pousserent leur ouvrage avec tant de secret et de diligence, qu’ils s’avancerent jusques sous le fondement des murailles, qu’ils étançonnerent ensuite de leur mieux. Quand l’ouvrage fut achevé, les mineurs en donnèrent incessamment avis à Bertrand, luy disans que quand il lui plairoit, il auroit la satisfaction de voir crouler cette tour par terre. Guesclin leur commanda de la faire sauter, ajoutant que puisque les ennemis avoient refusé de se rendre, ils ne devoient pas trouver mauvais s’il en venoit contre eux aux dernières extremitez. Les mineurs mirent aussitôt le feu au bois et aux poutres dont ils avoient étançonné cette tour, qu’ils tenoient ainsi suspenduë.

Les flammes venant à brûler les pièces de bois qui servoient d’appuy aux murailles, en firent tomber un grand pan. Cette chûte alarma si fort les assiegez, qui s’apperçurent bien que le reste alloit croûler, qu’ils demandèrent quartier : crians aux creneaux qu’ils se rendoient à la discretion de Bertrand, s’offrans de payer rançon pour leur personnes, et ne demandans qu’à sortir au plutôt de ce même lieu, dans lequel ils se croyoient auparavant si fort en sûreté. Bertrand les envoya tous prisonniers à Paris avec leur gouverneur, fit achever la demolition de la tour, et raser les murailles de la ville, se contentant de s’assurer du pont, et d’y laisser une fort bonne garnison. Les milices de Roüen furent renvoyées en leur païs, chargées de dépouilles. Bertrand et le comte d’Auxerre prirent le chemin de Paris, pour rendre compte au Dauphin de la dernière expédition qu’ils venoient de faire.

Ce prince les combla tous deux de bienfaits, et les conjura de se réserver pour la première campagne, où la couronne auroit encore besoin de leur service. Ils prirent tous deux congé de ce Duc, après l’avoir assuré qu’ils n’épargneroient point leur sang, ny leur vie, pour luy conserver le sceptre que ses ennemis vouloient arracher de ses mains. Bertrand alla se délasser pour quelque temps de toutes ses fatigues en son château de Pontorson, jusqu’à ce que le retour du printemps luy donnât lieu de reprendre les armes en faveur du Dauphin, qui monta sur le trône bientôt après ; car le roi Jean, son pere, ayant été delivré de sa prison par le secours d’une grosse rançon, ne survécut pas long temps à sa liberté. Le retour qu’il fit en Angleterre lui coûta la vie. Cette perte tira des larmes des yeux de tous les François, qui regrettèrent avec une douleur extrême un si brave et si généreux souverain, dont le sort avoit été si déplorable.

Les Anglois et les Navarrois voulans tirer avantage de la consternation dans laquelle cette mort avoit jette toute la France, renouvellerent leurs alliances ensemble, et firent une nouvelle confederation, dont tout le but étoit la ruine de ce beau royaume. Ce fut dans cet esprit qu’ils se répandirent dans la Normandie, dont ils desolerent et pillerent toutes les campagnes, et s’acharnerent plus particulièrement sur les environs de Roüen et de Vernon, dont ils affectoient de desoler tout le voisinage. Bertrand les veilloit de fort prés, et lors qu’ils y pensoient le moins, il leur tomboit souvent sur le corps, et leur donnoit la chasse avec le peu de troupes qu’il commandoit. Mais il étoit tellement redouté, que ses ennemis tâchoient toujours d’éviter sa rencontre, et refusoient d’en venir au mains avec luy.

Le Dauphin se reposoit entierement sur luy, tandis qu’il n’étoit que duc de Normandie : mais depuis qu’il fut Roy, il luy donna le commandement de ses troupes, avec un pouvoir absolu de tout entreprendre, quand il en trouveroit une favorable occasion. Guesclin jura Dieu qu’il feroit les Anglois coùroucier, ou qu’il serait occis par eux en bataille. Il donna le rendez-vous à ses troupes à Roüen, qui fut le lieu qu’il marqua pour y assembler les généraux et les officiers qui devoient servir dans l’armée qu’il alloit commander. Grand nombre de Normans, Bourguignons, Champenois et Picards, se rangèrent sous ses enseignes, pour témoigner le zèle et l’affection qu’ils avoient pour leur souverain, et c’est la loüable passion dont les François se sont toujours piqué entre les autres nations (ny en ayant aucune au monde qui prenne plus de part à la gloire de son roy, ny qui s’expose plus volontiers à tous les périls pour l’honneur de sa patrie que la françoise.) Cela s’est remarqué de tout temps.

Bertrand en fit pour lors une très heureuse experience, quand il vit une si grande foule de gens qui se présentèrent pour marcher sous ses étendars, il se promit un très grand succés des opérations de la guerre qu’il alloit entreprendre. Le comte d’Auxerre, messire Baudoin d’Ennequin, grand maître des arbalêtriers de France, le vicomte de Beaumont, Loüis de Havenquerque, flamand, Thierry de Bournonville, Jean des Cayeux, Guillaume Trenchant de Granville, messire Enguerrand d’Eudin, le sire de Ramburre, le sire de Sempy, Robert de Villequier, le sire de Betancour, Robillard de Frontebois, Rebert de la Treille, et plusieurs autres chevaliers[2], avec ce qu’ils purent amasser de gens les plus déterminez, se joignirent tous à Bertrand, et firent ensemble un corps de troupes fort considérable. Le grand maître des arbalêtriers demanda quelle route il falloit prendre pour aller à la rencontre des Anglois et des Navarrois. Le comte de Beaumont dit qu’il étoit d’avis qu’on envoyât auparavant des coureurs pour les reconnoître. Bertrand fît marcher droit au pont de l’Arche, et dépêcha quelques cavaliers du côté de Cocherel et de la Croix Saint Leufroy, pour observer la contenance des ennemis, et pour aller par tout à la découverte. C’étoit un agréable spectacle de voir la belle ordonnance de l’armée françoise, dont les bataillons et les escadrons étant tous de fer, jettoient une grande lueur par toute la campagne : parce que le soleil dardant sur leurs casques, excitoit une réverbération qui répandoit partout un fort grand éclat. Les drapeaux et les enseignes que le vent agitoit exposoient les lys aux yeux des spectateurs, et les faisoient souvenir qu’ils en devoient soûtenir la gloire au dépens de leur sang et de leur vie.

Toute la belle jeunesse de Roüen voulut être de la partie, sans se laisser attendrir des larmes de leurs mères et de leurs sœurs, qui tâchoient de les détourner d’un si genereux dessein, dans la crainte qu’elles avoient de ne les jamais plus revoir. Rien ne les put ébranler là dessus. Toute l’armée se mit en marche aussitôt et s’alla reposer la première nuit au pont de l’Arche, où les soldats trouverent des artisans, qui leur avoient apporté de Paris des haches, des dagues, et des épées qui furent achetées comptant, pour en fournir à ceux qui pouvoient en manquer. Ils se disoient les uns aux autres qu’ils n’avoient qu’à se bien tenir, que Bertrand ne demeureroit pas longtemps sans rien faire, et qu’infailliblement trois jours ne se passeroient pas, sans qu’il y eût bataille. Guesclin fît la reveüe de ses gens à la sortie du pont de l’Arche, et trouva que ses troupes ne montoient qu’à seize cens hommes : il les encouragea de son mieux, en leur representant que le Ciel répandoit toujours sa benediction sur les armées qui soûtenoient la plus juste cause, et qu’ils dévoient se promettre qu’ils battroient les Anglois, quand même ils seroient deux contre un.

Il détacha sur l’heure quelques coureurs pour découvrir où pouvoit être le captal de Buc[3] et les Anglois qu’il commandoit, et leur donna l’ordre de le venir trouver à Cocherel pour luy en rendre compte. Ce fut où l’armée demeura campée jusqu’au retour des cavaliers qu’il avoit dépêché pour reconnoître les ennemis ; et comme Bertrand avoit envie de joüer des mains, il tenoit toujours ses gens en haleine, allant de rang en rang pour les disposer au combat, leur disant qu’ils devoient avoir devant les yeux la gloire des lys, et l’honneur de leur patrie, qui leur tendoit les bras pour leur demander du secours contre des étrangers qui la vouloient soumettre à leur joug ; que le ciel, au reste, se declareroit en leur faveur, puis qu’ils alloient entrer en lice pour la querelle de leur legitime souverain ; que s’il y avoit entr’eux quelqu’un dont la conscience luy reprochoit quelques péchez, il luy conseilloit d’aller incessamment aux Cordeliers pour s’y confesser, de peur que le déreglement des uns n’attirât la malédiction de Dieu sur les autres.

Ces paroles assûrerent davantage toute l’armée qu’on joüeroit bientôt des coûteaux, ce qui fît prendre à plusieurs le pari y de se mettre en bon état, et d’aller faire leur bon jour, pour s’exposer ensuite avec plus de courage à tous les evenemens du combat. Les Cordeliers furent remplis de penitens que la presence du peril rendit plus contrits sur les desordres de leur vie passée. Quand ils eurent ainsi déchargé leur conscience du poids de leurs crimes, ils se mirent en campagne avec plus d’assurance, et vinrent rabattre à la Croix Saint Leufroy, faisans alte à l’abbaye pour s’y raffraichir, eux et leurs chevaux, tandis que leurs valets iroient au fourrage, et quand ils pouvoient trouver dans les maisons des haches ou des coignées propres à couper du bois, il s’en saisissoient aussitôt, prétendans qu’avec ces gros instrumens, ils feroient bien plus d’exécution dans une mêlée qu’avec des épées, et c’est ce qui leur fit aussi dans la suite gagner la bataille de Cocherel contre les Anglois, qu’ils hacherent et charpenterent avec tant de rage et de furie, qu’ils faisoient voler têtes, bras et jambes sur le champ du combat.

Bertrand demeuroit toûjours avec ses troupes dans cette abbaye, dans une impatience extrême du retour de ses coureurs, qu’il avoit envoyé battre l’estrade par tout. Ils revinrent lui dire qu’ils n’avoient rencontré personne à la campagne, ny homme, ny femme, ny berger, ny laboureur, qui leur pût dire où pouvoit être à présent le captal de Bue et ses Anglois ; que tout ce qu’ils en avoient pû tirer de certain, c’étoit que ce general étoit sorty d’Evreux avec bien treize cens combattans, gens fort determinez et fort lestes ; mais qu’on ne sçavoit pas positivement quelle route il avoit pris. Guesclin, mal satisfait d’une réponse si vague, les renvoya sur leurs pas, leur commandant de faire un tric trac dans les bois, dans la pensée qu’il avoit qu’ils y pouvoient être dans une embuscade, pour faire la guerre à l’œil et le surprendre à leur avantage. Il leur donna l’ordre de le revenir trouver à Cocherel, pour luy rapporter des nouvelles. Il sortit aussitôt de cette abbaye ; faisant plus loin quelque mouvement, il disoit sur la route aux officiers qui l’environnoient, qu’il n’auroit ny paix ny repos qu’il n’eût vû de prés les Anglois. Il ajoûta que ces gars y laisseroient la pel, et fussent ores trois contre un. Cet intrepide general jura que s’il y en avoit quelqu’un dans son armée qui fût assez lâche pour prendre la fuite, il le feroit aussitôt brancher au premier arbre, et que s’il y en avoit qui ne se sentissent pas assez de cœur pour bien payer de leurs personnes, qu’ils eussent à le declarer avant le combat et qu’il leur donneroit volontiers congé, de peur que, dans l’occasion, leur crainte ne fût contagieuse aux autres, et ne fît perdre la journée. Tous luy répondirent qu’il n’avoit rien à craindre là dessus et qu’ils étoient bien resolus de le seconder, et de vendre avec luy bien cherement leurs vies aux Anglois qu’ils esperoient de combattre et de vaincre. Ils hâtèrent donc leur marche avec tant de diligence qu’ils arrivèrent le soir même à Cocherel, dans un temps bien chaud. Le succès de la bataille qui s’alloit donner, étoit d’une très-grande importance aux affaires du roy Charles, parce que le captal de Bue avoit affecté d’entrer dans le royaume pour troubler la ceremonie de son couronnement, qui se devoit faire à Rheims le jour de la Trinité, se vantant qu’il feroit tant de conquêtes en France, en faveur du roy d’Angleterre, son maître, qu’il ne laisseroit à Charles qu’un vain titre de souverain, sans villes et sans sujets.

Il marchoit avec une fierté toute extraordinaire, ayant avec soy les plus braves et les plus aguerris de sa nation. Bertrand avoit déjà passé la rivière d’Evre, et s’étoit posté tout auprès de Cocherel (petit hameau devenu fameux par la celebre victoire que Guesclin remporta prés de ses murailles) : il attendit là des nouvelles de ses espions et de ses coureurs, qui, se rendans auprès de luy, ne luy donnèrent pas plus de satisfaction que la première fois, luy disans qu’ils avoient fait toutes les recherches possibles pour apprendre des nouvelles de la marche du general anglois, et qu’ils n’en avoient pû faire aucune découverte. Bertrand[4] leur reprocha leur peu de vigilance et d’adresse, les accusant de craindre les ennemis, et les traitant de lâches et de gens plus capables de piller la campagne, que de faire aucune action digne d’honneur et de recompense. Il ajoûta que s’il avoit eu cet ordre, il s’en seroit mieux aquité qu’eux, et qu’il falloit absolument que les Anglois ne fussent pas loin d’eux ; qu’il étoit donc dans la résolution de ne pas décamper de là, qu’il n’en eût des nouvelles certaines, parce qu’il étoit bien trompé si les ennemis n’étoient pas à leurs côtez. Son pressentiment se trouva véritable, parce que les Anglois marchoient dans les bois joignant la montagne de Cocherel.

Bertrand, ravy de les avoir déterrez, fit aussitôt tout préparer[5] pour le combat. Le comte d’Auxerre et le vicomte de Beaumont, qui commandoient sous luy, firent armer leurs gens qui brûloient d’envie de combattre et n’attendoient que le moment qu’on en viendroit aux mains. Un heraut vint tout à propos leur dire qu’ils se tinssent sur leurs gardes, puisque les Anglois n’étoient éloignez d’eux que de trois ou quatre traits d’arbalête. Bertrand leur renouvella le discours qu’il leur avoit fait auparavant, pour les encourager au combat. Il n’eût pas plutôt achevé de parler qu’il apperçut sur la montagne l’étendart d’Angleterre qui flottoit au vent, ce qui luy servit de signal pour ranger ses gens en bataille, et qui faisoient fort bonne contenance. Le vicomte de Beaumont luy representa qu’il devoit demeurer dans le vallon qu’il occupoit, et que s’il faisoit quelque mouvement pour changer de poste et monter la montagne pour aller aux ennemis, il courroit grand risque de se faire battre. Bertrand luy répondit que c’étoit bien aussi son intention de ne pas quitter le terrain sur lequel il étoit, et d’attendre là les Anglois de pied ferme[6], et qu’il se promettoit de donner pour étrene au nouveau roy de France le captal de Bue en personne, en qualité de prisonnier de guerre. Tandis qu’il tenoit ce discours, les Anglois étoient postez sur la montagne en fort belle ordonnance, et faisoient montre de leurs drapeaux et de leurs enseignes avec beaucoup de faste et de fierté.

Le captal ne sçavoit quel party prendre ; il s’imaginoit que les François, ne bougeans de leurs places, apprehendoient de risquer le combat. Ce fut dans cette pensée qu’il voulut pressentir les officiers de son armée, pour sçavoir s’il n’étoit point à propos de descendre pour aller aux François et les attaquer, tandis qu’ils étoient tous saisis de crainte et de peur. Mais Pierre de Squanville le fit revenir de ce sentiment, en luy témoignant qu’il étoit dangereux de faire descendre ses troupes, qui, ne pouvans faire ce mouvement sans beaucoup fatiguer, donneroient beaucoup de prise sur elles, quand il faudroit en venir aux mains ; qu’il valoit donc bien mieux ne pas abandonner la montagne, jusqu’à ce que les François eussent pris un autre party. Jean Joüel goûta fort la pensée de ce chevalier, soutenant que s’ils gardoient encore ce poste trois jours, les François seroient afiamez dans le leur et seroient obligez de décamper dans peu. Cet avis étoit si judicieux que Bertrand s’appercevant que c’étoit là le but des Anglois, assembla le conseil de guerre, composé du comte d’Auxerre, du Besque de Vilaines, du vicomte de Beaumont, du grand maître des arbalêtriers, et de tous les autres chevaliers et seigneurs de l’armée, ausquels il témoigna qu’il étoit tout visible que les Anglois n’avoient pas envie de descendre de la montagne qu’ils occupoient, dans l’esperance qu’ils avoient que les François seroient bientôt obligez de desemparer, de peur de se voir affamez dans leur camp ; qu’il étoit donc d’avis qu’on leur envoyât un trompette pour les inviter au combat et leur marquer un champ de bataille où les deux armées pouroient mesurer leurs forces sur un égal terrain, sans que le poste de l’une fût plus avantageux que celuy de l’autre. Tout le monde donna les mains à la proposition de Bertrand, qui depêcha sur l’heure, un heraut au captal de Buc, pour sçavoir s’il vouloit accepter le party ; mais ce general, qui ne brûloit pas du desir de se battre comme Guesclin, luy répondit avec beaucoup de flegme qu’il ne consulteroit pas Bertrand sur ce qu’il avoit à faire en ce rencontre ; qu’il sçauroit choisir son temps à propos, et qu’il n’avoit garde de rien hasarder, sçachant qu’il luy venoit un secours fort considerable.

Bertrand voyant par cette réponse que le captal de Bue reculoit, prétendant tirer avantage du peu de vivres qui restoit dans le camp des François, que la faim pressoit beaucoup, tandis que les Anglois en avoient une fort grande abondance, s’avisa de suggerer d’autres moyens à son armée, pour engager les ennemis au combat. Il fit connoître à tous les officiers qu’il falloit plier bagage devant les Anglois, et faire semblant de fuir, pour les porter à descendre de la montagne ; et que, quand on les tiendroit dans la vallée, l’on rebrousseroit aussitôt chemin, pour les venir charger de front en flanc, et par derrière. La chose fut ponctuellement exécutée comme Bertrand l’avoit projettée. Il donna l’ordre qu’on chargeât tous les équipages sur leurs mulets, et qu’on les fit marcher devant, afin que la gendarmerie, qui les suivoit, les pût tout à fait couvrir.

Quand les Anglois aperçurent de dessus leur montagne cette démarche des François, ils la prirent plutôt pour une fuite que pour une retraite. Ils en allèrent aussitôt donner avis au captal, qui, voyant aussi ce mouvement, ne pouvoit se tenir de joye, croyant que Bertrand n’avoit point d’autre dessein que celui de se tirer d’affaire, et du mauvais pas dans lequel il s’étoit embarqué. Mais Pierre de Squanville, qui connoissoit le caractère de Bertrand, essaya de le détromper de l’opinion dont il paroissoit prevenu, luy disant qu’il étoit à craindre que la contenance de Bertrand ne fût une feinte et un stratagême, pour retourner sur ses pas contre eux, et qu’on avoit beaucoup manqué quand on avoit quité la montagne, où l’on étoit si bien posté. Le chevalier Bambroc enchérit encore sur ce qu’avoit dit Pierre de Squanville, et fit toutes les instances imaginables pour engager le captal de Bue à reprendre le chemin de la montagne ; mais Jean Joüel leur reprochant leur crainte, jura qu’ils feroient mieux de quiter l’armée que d’y jetter l’alarme de la sorte. Il ajoûta que Bertrand n’étoit point un homme si fort à redouter ; que s’il s’étoit jusqu’alors signalé dans la guerre, il ne s’ensuivoit pas qu’il fût également heureux par tout ; que les armes étoient journalieres, que tel étoit aujourd’huy vainqueur qui, le lendemain, pouvoit être battu ; qu’enfin il seroit honteux aux Anglois de faire un, arrierepied devant une armée qui fuyoit.

Tandis que ces generaux se prenoient ainsi de paroles, Bertrand fît volteface, et, faisant sonner toutes les trompettes, il marcha droit aux Anglois qui furent bien surpris de ce changement. Le Captal et ses sens eussent bien souhaité de se revoir sur la montagne, mais il n’étoit plus temps, car les François étoient trop prés d’eux, et les auroient chargé par derrière en leur marchant sur les talons ; si bien qu’il ny avoit point d’autre party à prendre pour le Captal que celuy de se préparer au combat, et d’exhorter ses Anglois à bien faire, en leur representant qu’ils étoient en plus grand nombre que leurs ennemis, dont ils auroient fort bon marché, parce que la famine qui les avoit attenüez leur laissoit à peine la force de soutenir leurs armes ; que les François n’en pouvans plus, quelque bonne contenance qu’ils fissent, seroient fort aisément défaits ; que chacun se disposât donc à joüer des mains en gens de cœur, et pour le faire avec plus de succés, il fit publier dans toute l’armée qu’on fit alte pour prendre tous une soupe au vin, pour avoir plus de force à combattre.

Le captai et Jean Joüel tâchoient de les encourager, en les assurant qu’ils leur donneroient les premiers de beaux exemples de bravoure et de valeur, et qu’on ne les verroît pas fuir comme des lievres devant les François. Bertrand se servit de cette pose des Anglois pour faire toujours avancer ses troupes et les ranger en bataille. Il donna tout à loisir tous les ordres nécessaires afin que la journée luy fût glorieuse, et que le nouveau roy de France remportât une victoire sur ses ennemis, aussitôt qu’il auroit été couronné dans Rheims, dont il put faire part à tous ceux de la Cour.


  1. Fist (Bertrand) appeller le chastellain pour parlementer à lui… Et adonc lui dist : « Je vous signifie et commande de par nostre Regent de France, que vous nous rendez la tour ; ou par la foy que je doy à Dieu, ja decy ne partiray, si l’auray prise avant. » Et le chastellain lui respondi : « Sire je croy que ainçois que vous peussiez entrer en ceste tour, il vous convendra aprendre à voler hault. (Ménard, p. 91.)
  2. Parmi ces chevaliers on remarquoit Jean de Châlons, dit le Chevalier Vert, frère du comte d’Auxerre, Pierre de Vilaines, dit le Bègue, Odard de Renty, le sire de Beaujeu, le sire de Vienne, Aimart de Poitiers, Petiton de Coiuton, le Souldich de l’Estrade, Aymon de Pommiers, Perduccas d’Albret, Olivier Du Guesclin, Guillaume Bouestel, Olivier de Mauny, Eustache de La Houssaye, Roland du Bois, etc.
  3. Jean de Grailly, captal (seigneur) de Buch, étoit gascon.
  4. « Adonc, dist Berlran : je ne sçay que dire, mais se j’eusse couru, je ne double point que je n’eusse trouve le captal et ses gens. Mais je croy que vous doublez les Engloiz. Vous sçauriez mieulx trouver une grant huche, ou un coffre bien rempli, pour piller les joyaulx qui dedens seroient, qui vostres ne sont pas, que de trouver les Engloiz. Car je oseroie bien jurer pour vray, que ilz ne sont pas loing decy ; ne me partiray, si en auray nouvelles. Car vecy le chemin qui doit aler envers nos adversaires. » Et il disoit vérité. (Ménard, p. 100.)
  5. Ce fut là qu’Engorrant de Ilédin vint joindre l’armée françoise… Messire Engorrant de Hédin qui sur son corcier armé, le bassinet à son harson, passa la rivière de Sayne à noe (à la nage) au dessouz de Vernon, pour estre à la journée : car la royne Blanche suer du roi de Navarre, qui dedens Vernon se tenoit le jour de la bataille, fit fermer les ponts que nul ne peut secourir Bertrand, (Extrait des faiz de Du Guesclin, p. 33, colonn. 1 et 2.)
  6. « Attendons icy, dist Berlian, noz ennemiz à pié, jusques à tant qu’ilz soient à nous venuz. Je donne au Roy nostre sire à son estraine de sa noble royaulté celui que on appelle le captal. » (Ménard, p. 101.)