Anciens poètes français/Philippe Desportes



ANCIENS
POÈTES FRANCAIS.

PHILIPPE DESPORTES.

Je n’ai pas fini avec ces poètes du XVIe siècle ; plus on considère un sujet, pour peu qu’il ait quelque valeur, et plus on y découvre une diversité de points de vue et de ressources ; bien loin de s’épuiser, il se féconde. J’ai montré en Du Bartas[1] le plus grand exemple peut-être de la célébrité viagère ou même posthume, hors du centre et à l’étranger ; je montrerai aujourd’hui en Desportes le plus grand exemple de la fortune et de la condition, même politique, d’un poète à la cour.

On a beaucoup écrit de Desportes, et j’en ai souvent parlé moi-même : je tâcherai ici de ne pas me répéter et de ne pas trop copier les autres, du moins les récens. Mais il m’a semblé curieux de le traiter à part, sous un certain aspect. On a bientôt dit qu’il avait 10,000 écus de bénéfices et que c’était le mieux renté des beaux-esprits de son temps ; mais rien ne saurait rendre l’idée exacte de cette grande existence, si on n’en rassemble tous les détails et si on ne la déroule dans son entier.

Philippe Desportes (ou plutôt Des Portes, comme on l’écrivait au XVIe siècle) naquit à Chartres, en 1546, de Philippe Desportes, bourgeois de cette ville, et de Marie Édeline. Dreux du Radier, dans un intéressant article que je citerai souvent[2], s’attache fort à prouver que Desportes ne fut pas enfant naturel comme les savans auteurs du Gallia christiana l’avaient dit en un endroit par mégarde (tome VIII, p. 1268), et comme le furent très honorablement d’ailleurs, en leur temps, Baïf et Mellin de Saint-Gelais. Il démontre la légitimité de naissance du poète avec un grand surcroît de preuves et en lui rendant tout le cortége nombreux de sa parenté authentique. Thibaut Desportes, sieur de Bevilliers, grand audiencier de France, était son frère et devint son héritier. Mathurin Regnier était son neveu avéré du côté maternel, et il ressemblait à son oncle, dit-on, non-seulement d’esprit, mais aussi de visage. Dans une assez belle élégie latine de Nicolas Rapin, où celui-ci contemple en songe et nous représente les funérailles idéales de Desportes, on voit ce frère et ce neveu menant le deuil et fondant en larmes à la tête des proches qui suivent à pas lents :

Tum procedebant agnati et sanguine juncti.

Il n’y a rien en tout cela qui sente le bâtard. Desportes en eut, mais il ne l’était pas[3].

Tallemant des Réaux, dans un autre curieux article (Historiettes, tome I), et qu’il faut croiser avec celui de Du Radier, donne quelques détails, trop peu certains, sur les premières années et les aventures du jeune Philippe. D’abord clerc de procureur, puis secrétaire d’évêque, il va de Paris en Avignon, il voyage en Italie : il rapporta de ce pays, à coup sûr, toute sorte de butin poétique et de matière à imitations gracieuses. On l’aperçoit en pied à la cour de France vers 1570 ; il débute, il est amoureux et célèbre ses martyres avec une douceur qui paraît nouvelle, même après tant d’amours de Du Bellay, de Ronsard et de Baïf. Ces deux derniers, vivans et régnans, l’accueillent et le célèbrent à leur tour dans des pièces de vers pleines de louanges. Desportes n’a que vingt-cinq ans, et déjà son heureuse étoile a chassé tous les nuages. Sa fortune marche devant, il n’a plus qu’à la suivre.

La situation n’avait jamais été meilleure en haut lieu pour les poètes ; Charles IX régnait, et il portait dans la protection des arts, dans le goût des vers en particulier, cette même impétuosité qu’il mettait à tout. L’habitude des poètes est de se plaindre des choses, et il n’est que trop vrai que de tout temps plusieurs, et des plus dignes, ont encouru d’amères rigueurs de la destinée. Pourtant l’âge des Mécènes ou de ceux qui y visent ne se trouve pas non plus si rare qu’on voudrait bien le dire, et, à prendre les diverses époques de notre histoire, les règnes favorables aux lettres et aux rimeurs n’ont pas manqué. Sans remonter beaucoup plus haut que le moment où nous sommes, il y avait eu de belles fortunes littéraires à la cour : le renom d’Alain Chartier résonnait encore ; les abbayes et les prélatures de Mellin de Saint-Gelais et de Hugues Salel étaient d’hier, et le bon Amyot cumulait toutes sortes d’honneurs à son corps défendant. Je crois pourtant qu’il faut distinguer entre la première faveur dont François Ier environna les poètes et savans, et celle dont ses successeurs continuèrent de les couvrir : celle-ci fut, à certains égards, beaucoup moins importante pour l’objet, mais, pour l’effet, beaucoup plus réelle et plus libérale que l’autre. François Ier avait bien commencé, mais la fin se soutint mal, et la dernière moitié de son règne coupa court au gracieux et libre essor du début. Ceux qu’il avait tant excités et favorisés d’abord, il se crut obligé de les réprimer ou du moins de les laisser poursuivre. Une assez grande obscurité entoure la plupart de ces vies, de Marot, de Des Periers, de Dolet[4] ; mais il paraît trop bien que sur la fin de François Ier tout se gâta. C’est qu’aussi, dans ce premier mouvement de nouveauté qu’avait si fort aidé l’enthousiasme du roi chevaleresque et qui fut toute une révolution, de grandes questions étaient en jeu, et que les idées, une fois lancées, ne s’arrêtèrent pas sur la pente ; ces gracieux et plaisans esprits de Marot, de Marguerite de Navarre, de Rabelais, étaient aisément suspects d’hérésie ou de pis encore. Plus tard on se le tint pour dit et on prit ses précautions : le bel-esprit et le sérieux se séparèrent.

L’école de Ronsard n’eut pas même grand effort ni calcul à faire pour ne pas se compromettre dans les graves questions du jour, dans ces disputes de politique, de théologie et de libre examen. Naturellement païens de forme et d’images, les poètes de cette génération restèrent bons catholiques en pratique et purement courtisans. On n’en trouverait que deux ou trois au plus qui firent exception, comme Théodore de Bèze ou Florent Chrestien. Quant à D’Aubigné et à Du Bartas, ils appartiennent déjà à une troisième génération, et ils essayèrent précisément à leur manière de se lever en opposans contre ce genre de poésie mythologique, artificielle et courtisanesque, qui les offensait.

Elle atteignit à son plus grand éclat et à sa perfection la plus polie avec Desportes, et c’est vers 1572 qu’elle se produisit dans cette seconde fleur. Je suis bien fâché de le dire, mais cette année 1572, celle même de la Saint-Barthélemy, fut une assez belle année poétique et littéraire. En 1572, dans un recueil intitulé : Imitations de quelques Chants de l’Arioste par divers Poètes françois, le libraire Lucas Breyer offrait au public la primeur des poésies inédites de Desportes, qui paraissaient plus au complet l’année suivante[5]. Dans le même temps, les œuvres revues de Ronsard étaient recueillies chez Gabriel Buon. Frédéric Morel mettait en vente celles de Jacques et Jean de La Taille (1572-1574.). Abel L’Angelier préparait une réimpression de Jacques Tahureau ; et enfin le même Lucas Breyer donnait une édition entière d’Antoine de Baïf, Amours, Jeux, Passetems et Poèmes (1572-1574). Or, dans le volume des Passetems, on lisait cet exécrable sonnet sur le corps de Gaspard de Coligny gisant sur le pavé :

Gaspar, tu dors ici, qui soulois en ta vie
Veiller pour endormir de tes ruses mon Roy ;
Mais lui, non endormi, t’a pris en désarroy,
Prévenant ton dessein et ta maudite envie.


Ton ame misérable au dépourvu ravie…

Je fais grace du reste de cette horreur. Et voilà ce qu’un honnête poète écrivait en manière de passetemps, tout à côté d’agréables idylles traduites de Bion ou de Moschus[6]. Ce Baïf, l’aîné de Desportes, était devenu son intime ami et, avec bien moins d’esprit, mais un goût passionné pour les lettres, il s’était fait une grande et singulière existence : il nous la faut bien connaître pour mieux apprécier ensuite celle de Desportes, la plus considérable de toutes.

Nul parmi les condisciples et les émules de Ronsard n’avait poussé si loin l’ardeur de l’étude et de l’imitation antique que Jean-Antoine de Baïf. Né en Italie, à Venise, vers 1532, fils naturel de l’ambassadeur français Lazare de Baïf, et d’une jeune demoiselle du pays, il semblait avoir apporté de cette patrie de la renaissance la superstition et l’idolâtrie d’un néophyte. Après avoir chanté ses amours comme tous les poètes du temps, il s’était mis sans trève à traduire les petites et moyennes pièces des anciens, et, au milieu du fatras laborieux qu’il entassait, il rencontrait parfois de charmans hasards et dignes d’une muse plus choisie. On en aura bientôt la preuve. Mais, riche et prodigue, c’était avant tout un patron littéraire et un centre. Écoutons le bon Colletet en parler avec abondance de cœur et comme si, à remémorer cet âge d’or des rimes, l’eau vraiment lui en venait à la bouche : « Le roi Charles IX, dit-il, qui aimoit Baïf comme un excellent homme de lettres, parmi d’autres gratifications qu’il lui fit, l’honora de la qualité de secrétaire ordinaire de sa chambre. Le roi Henri III voulut qu’à son exemple toute sa cour l’eût en vénération, et souvent même Sa Majesté ne dédaignoit pas de l’honorer de ses visites jusques en sa maison du faubourg Saint-Marcel, où il le trouvoit toujours en la compagnie des Muses, et parmi les doux concerts des enfants de la musique qu’il aimoit et qu’il entendoit à merveille[7]. Et comme ce prince libéral et magnifique lui donnoit de bons gages, il lui octroya encore de temps en temps quelques offices de nouvelle création et de certaines confiscations qui procuroient à Baïf le moyen d’entretenir aux études quelques gens de lettres, de régaler chez lui tous les savans de son siècle et de tenir bonne table. Dans cette faveur insigne, celui-ci avisa d’établir en sa maison une Académie des bons poètes et des meilleurs esprits d’alors avec lesquels il en dressa les lois, qui furent approuvées du roi jusques au point qu’il en voulut être et obliger ses principaux favoris d’en augmenter le nombre. J’en ai vu autrefois l’Institution écrite sur un beau velin signé de la main propre du roi Henri III, de Catherine de Médicis sa mère, du duc de Joyeuse et de quelques autres, qui tous s’obligeoient par le même acte de donner une certaine pension annuelle pour l’entretien de cette fameuse Académie. Mais hélas !…[8]

Et Colletet arrive aux circonstances funestes qui la ruinèrent. J’ai moi-même parlé ailleurs avec quelque détail de ce projet d’Académie, et j’en ai indiqué les analogies anticipées avec l’Académie française. Lorsque la reine Christine fit visite à celle-ci, en 1658 ; l’illustre compagnie, surprise à l’improviste, n’avait pas résolu la question de savoir si on resterait assis ou debout devant la reine. Un académicien présent, M. de La Mesnardière, rappela à ce sujet que, « du temps de Ronsard, il se tint une assemblée de gens de lettres et de beaux-esprits à Saint-Victor, où Charles IX alla plusieurs fois, et que tout le monde étoit assis devant lui. » Ce précédent fit loi[9].

Sur ce chapitre des libéralités des Valois, nous apprenons encore qu’en 1581 le roi donna à Ronsard et à Baïf la somme de douze mille livres comptant[10] pour les vers (mascarades, combats et tournois) qu’ils avaient composés aux noces du duc de Joyeuse, outre les livrées et les étoffes de soie dont cet illustre seigneur leur avait fait présent à chacun. Cet argent comptant avait alors un très grand prix ; car trop souvent, à ces époques de comptabilité irrégulière, les autres libéralités octroyées demeuraient un peu sur le papier. On cite l’exemple d’Henri Estienne à qui le roi (1585) avait donné mille écus pour son traité de la Précellence du Langage français ; mais le trésorier ne lui voulut délivrer sur son brevet que six cents écus comptant. Et comme Henri refusait, le trésorier lui dit en se moquant : « Je vois bien que vous ne savez ce que c’est que finances ; vous reviendrez à l’offre et ne la retrouverez pas. » Ce qui se vérifia en effet ; aucun autre trésorier n’offrit mieux ; un édit contre les protestans survint à la traverse, et Henri Estienne dut s’en retourner à Genève en toute hâte, le brevet en poche et les mains vides.

Sous Louis XIV même, sous Colbert, on sait l’éclat que firent à un certain moment ces fastueuses pensions accordées à tous les hommes de lettres et savans illustres en France et à l’étranger. Il alla de ces pensions, dit Perrault (Mémoires), en Italie, en Allemagne, en Danemarck et jusqu’en Suède ; elles y arrivaient par lettres de change. Quant à celles de Paris, on les distribua la première année à domicile, dans des bourses de soie d’or ; la seconde année, dans des bourses de cuir. Puis il fallut les aller toucher soi-même ; puis les années eurent quinze et seize mois, et, quand vint la guerre avec l’Espagne, on ne les toucha plus du tout. Aujourd’hui, il faut tout dire, si on est par trop rogné au budget, on est très sûrement payé au trésor.

Les poètes favoris et bons catholiques savaient sans doute profiter des créations d’offices et des petites confiscations en leur faveur, mieux que le calviniste Henri Estienne ne faisait de son brevet. On voit pourtant, à de certaines plaintes de Baïf, que lui aussi il eut un jour bien de la peine à se défaire de deux offices de nouvelle création, dont Charles IX l’avait gratifié, et l’honnête donataire s’en prend tout haut à la prodigieuse malice d’un petit secrétaire fripon. Quoi qu’il en soit, dans sa retraite de Saint-Victor, où tous les illustres du temps vinrent s’asseoir, et où nous verrons Desportes en un moment de douleur se retirer, Baïf continua de vivre heureux et fredonnant, menant musiques et aubades, même au bruit des arquebusades du Louvre, et chamarrant sa façade de toutes sortes d’inscriptions grecques bucoliques et pindariques, jusqu’à l’heure où les guerres civiles prirent décidément le dessus et où tout s’y abîma. Ses dernières années furent gênées et chagrines ; il mourut du moins assez à propos (1589) pour ne pas voir sa maison chérie mise au pillage[11].

Mais revenons ; nous ne sommes guère qu’au début de Desportes, à ce lendemain de la Saint-Barthélemy où Bèze et les autres poètes huguenots comparent Charles IX à Hérode, et où notre nouveau venu lui dédie son Roland furieux imité de l’Arioste. Son Rodomont, autre imitation, qui n’a guère que sept cents vers, lui était payé 800 écus d’or, de ces écus dits à la couronne ; plus d’un écu par vers. Demandez à D’Aubigné et même à Malherbe : le Béarnais, avant ou après la messe, et ne fût-ce que d’intention, fit-il mine jamais d’être si généreux ?

Dreux du Radier a très bien remarqué le tact de Desportes au début, dans les moindres choses : à Charles IX, prince bouillant et impétueux, il s’adresse avec les fureurs de Roland en main et avec les fiertés de Rodomont ; au duc d’Anjou, plutôt galant et tendre, il dédie dans le même temps les beautés d’Angélique et les douleurs de ses amans. Courtisan délicat, il savait avant tout consulter les goûts de ses patrons et assortir ses offrandes.

Mais je ne suivrai pas Du Radier dans sa discussion des amours et des maîtresses de Desportes. Celui-ci a successivement célébré trois dames, sans préjudice des amours diverses. La première, Diane, était-elle en effet cette Diane de Cossé-Brissac qui devint comtesse de Mansfeld et eut une fin tragique, surprise et tuée par son mari dans un adultère ? La seconde maîtresse, Hippolyte, et la troisième, Cléonice, étaient-elles d’autres dames que nous puissions nommer de cette cour ? Du Radier s’y perd, et Tallemant le contredit. Ce qui paraît certain, c’est que Desportes aimait en effet très haut, et que son noble courage, comme on disait, aspirait aux plus belles fortunes ; si ses sonnets furent très platoniques, sa pratique passait outre et allait plus effectivement au réel. Un jour qu’il était vieux, Henri IV lui dit en riant devant la princesse de Conti : « Monsieur de Tiron, il faut que vous aimiez ma nièce ; cela vous réchauffera et vous fera faire encore de belles choses. » La princesse répondit assez vivement : « Je n’en serois pas fâchée, il en a aimé de meilleure maison que moi. » Elle faisait allusion à la reine Marguerite, femme d’Henri IV ; on avait jasé d’elle autrefois et du poète.

Desportes ne célébrait pas moins les amours de ses patrons que les siens, et on peut deviner que cela l’avançait encore mieux. On a des stances de lui pour le roi Charles IX à Callirée : était-ce la belle Marie Touchet d’Orléans, la seule maîtresse connue de Charles IX ? Il y a dans la pièce un assez beau portrait de ce jeune et sauvage chasseur, qui eut le malheur de tourner au féroce :

J’ai mille jours entiers, au chaud, à la gelée,
Erré, la trompe au col, par mont et par vallée,
Ardent, impatient ..........

Dans d’autres stances pour le duc d’Anjou allant assiéger La Rochelle (1572), on entend des accens plus doux ; le guerrier élégiaque se lamente pour la demoiselle de Chateauneuf, la plus belle blonde de la cour, qu’il laissa bientôt pour la princesse de Condé, et à laquelle il revint après la mort de celle-ci. Le ton est tout différent pour les deux frères ; Charles IX résistait et se cabrait contre l’amour ; le duc d’Anjou y cède et s’y abandonne languissamment.

La pièce qui suit, ou Complainte pour M. le duc d’Anjou élu roi de Pologne (1573), et l’autre Complainte pour le même étant en Pologne (1574), regardent la princesse de Condé[12], à ce que Du Radier assure. Nous assistons aux moyens et aux progrès de la faveur de Desportes. Il accompagna le prince dans son royaume lointain, et, après neuf mois de séjour maudit, il quitta cette contrée pour lui trop barbare avec un Adieu de colère. Dans le siècle suivant, Marie de Gonzague appelait à elle en Pologne le poète Saint-Amant, qui ne s’y tint pas davantage. Bernardin de Saint-Pierre, plus tard, a réparé ces injures, et, tout comblé d’une faveur charmante, il a laissé à ces forêts du Nord des adieux attendris.

Mais rien n’explique mieux le degré de familiarité et l’insinuation intime de Desportes que deux élégies sur lesquelles Du Radier a fixé son attention, et dont nous lui devons la clé. L’Aventure première a pour sujet le premier rendez-vous heureux d’Eurylas (Henri III, encore duc d’Anjou) avec la belle Olympe (la princesse de Condé). Olympe était d’abord toute cruelle et rigoureuse, ignorant les effets de l’amour, et son amie la jeune Fleur-de-Lys (Marguerite de Valois) l’en reprenait et lui disait d’une voix flatteuse :

Que faites-vous, mon cœur ? quelle erreur vous transporte
De fermer aux Amours de vos pensers la porte ?
Quel plaisir aurez-vous vivant toujours ainsi ?
Amour rend de nos jours le malheur adouci ;
Il nous élève au ciel, il chasse nos tristesses,
Et, au lieu de servir, nous fait être maîtresses.
L’air, la terre et les eaux révèrent son pouvoir ;
Il sait, comme il lui plaît, les étoiles mouvoir ;
Tout le reconnaît Dieu. Que pensez-vous donc faire
D’irriter contre vous un si fort adversaire ?
Par lui votre jeunesse en honneur fleurira ;
Sans lui cette beauté rien ne vous servira,
Non plus que le trésor qu’un usurier enserre,
Ou qu’un beau diamant caché dessous la terre.
On ne doit sans Amour une Dame estimer ;
Car nous naissons ici seulement pour aimer !

À ces doux propos, pareils à ceux d’Anna à sa sœur Didon, la sévère Olympe résiste encore ; mais son heure a sonné ; elle a vu le bel et indifférent Eurylas ; leurs yeux se rencontrent,

.......Et, sans savoir comment,
Leurs deux cœurs sont navrés par un trait seulement.

Le mari jaloux s’en mêle et enferme Olympe : l’imprudent ! rien ne mûrit une ardeur amoureuse comme de se sentir sous les verroux. Olympe ne pense plus à autre chose qu’à en sortir et qu’à oser. Le sommeil et Vénus en songe lui viennent en aide. Au fond du vieux palais (de Fontainebleau peut-être) est un lieu propice, un sanctuaire réservé aux amans fortunés : Vénus le lui indique dans le songe, en y joignant l’heure de midi et tous les renseignemens désirables :

Vénus, ce lui sembloit, à ces mots l’a baisée,
Laissant d’un chaud désir sa poitrine embrasée,

Puis disparut légère. Ainsi qu’elle partoit,
Le Ciel tout réjoui ses louanges chantoit ;
Les Vents à son regard tenoient leurs bouches closes,
Et les petits Amours faisoient pleuvoir des roses.

Olympe s’éveille et n’a plus qu’à obéir. Vénus lui a également permis de conduire avec elle Camille, sa compagne, qui doit combler les vœux d’un certain Floridant ; mais Olympe va plus loin, elle songe de son propre conseil à mettre la jeune Fleur-de-Lys de la partie, et sans le lui dire ; car Fleur-de-Lys est éprise du gracieux Nirée, et Olympe, en ce jour de fête, veut faire le bonheur de son amie comme le sien.

Tout se passe à ravir, et au gré de la déesse ; les couples heureux se rencontrent ; mais seule la jeune Fleur-de-Lys s’étonne et résiste ; elle blâme la téméraire Olympe, laquelle sait bien alors lui rappeler les anciens conseils, et lui rendre malicieusement la leçon à son tour :

Hé quoi, lui disoit-elle, où est votre assurance ?
Où sont tous ces propos si pleins de véhémence
Que vous me souliez dire afin de m’enflammer,
Avant que deux beaux yeux m’eussent forcé d’aimer ?
..................
Comme un soldat craintif, qui, bien loin du danger,
Ne bruit que de combats, de forcer, d’assiéger,
Parle haut des couards, leur lâcheté reproche,
Puis fuit honteusement quand l’ennemi s’approche ;
Vous fuyez tout ainsi, d’un cœur lâche et peureux,
Bien que votre ennemi ne soit pas rigoureux.

Si l’on n’était en matière si profane, j’allais dire que c’est en petit la situation de Polyeucte et de Néarque quand celui-ci, après avoir poussé son ami, recule. Mais la sage Fleur-de-Lys tient bon jusqu’à la fin. On se demande, à voir cette discrétion extrême et ce demi-voile jeté sur un coin du tableau, quel peut être ce gracieux et timide Nirée, compagnon d’Eurylas. Est-ce le duc de Guise, se dit Du Radier ? est-ce Du Guast ? est-ce Chanvallon ? Et moi je demande bien bas : Ne serait-ce pas Desportes lui-même, le discret poète, qui fait ici le modeste et n’a garde de trahir l’honneur de sa dame ?

Cette élégie finit par quelques traits charmans pour peindre les délices mutuelles dans cette rencontre :

Ô jeune enfant Amour, le seul dieu des liesses,
Toi seul pourrois conter leurs mignardes caresses… ;

et après une énumération assez vive :

Tu les peux bien conter, car tu y fus toujours !

Il me semble que l’on comprend mieux maintenant le talent, le rôle amolli et la grace chatouilleuse de Desportes[13].

La seconde élégie ou Aventure, intitulée Cléophon, nous fait pénétrer encore plus curieusement dans ces mœurs d’alors et dans cette fonction aussi séduisante que peu grandiose du poète. Il s’agit en cette pièce de déplorer l’issue funeste du duel qui eut lieu le 27 avril 1578, près de la Bastille (là où est aujourd’hui la Place Royale), entre Quelus, Maugiron et Livarot d’une part, d’Antragues, Riberac et Schomberg de l’autre. Des six combattans quatre finalement périrent, dont surtout les deux mignons d’Henri III, Quelus et Maugiron. Celui-ci fut tué sur la place ; Quelus, auteur de la querelle, ne mourut de ses blessures que trente-trois jours après. Le poète raconte donc le malheur, le dévouement des deux amis, Damon (Quelus) et Lycidas (Maugiron), et l’inconsolable douleur de l’autre ami Cléophon, c’est-à-dire d’Henri III, qui ne quitte pas le chevet du survivant, tant qu’il respire,

Et de sa blanche main le fait boire et manger.

Les souvenirs de Nisus et d’Euryale animent et épurent assez heureusement cette complainte. On y retrouve un écho de ces accens étrangement sensibles que Théocrite a presque consacrés dans l’idylle intitulée Aïtès ; et le poète français ne fait guère que retourner et paraphraser en tous sens ces vers de Bion : « Heureux ceux qui aiment, quand ils sont payés d’un égal amour ! Heureux était Thésée dans la présence de Pirithoüs, même quand il fut descendu dans l’affreux Ténare. Heureux était Oreste parmi les durs Axéniens, puisque Pilade avait entrepris le voyage de moitié avec lui. Bienheureux était l’Eacide Achille, tant que son compagnon Patrocle vivait ; heureux il était en mourant, parce qu’il avait vengé sa mort[14] ! »

Nous sommes tout préparés maintenant à bien admettre la faveur de Desportes, le crédit immense dont il disposa, et sa part active dans les affaires. Prenons-le donc de ce côté et voyons-le à l’œuvre.

Il ne faut plus que savoir encore que notre abbé, si chargé de bénéfices et de titres ecclésiastiques, n’en omettait pourtant pas tout-à-fait les fonctions. On lit dans le Journal d’Henri III, à la date de 1585, et parmi les anecdotes burlesques de ces années de puérilité et de scandale : « Le dernier jour du mois (octobre), le Roi s’en alla à Vincennes pour passer les fêtes de la Toussaint et faire les pénitences et prières accoutumées avec ses confrères les Hiéronimites, auxquels, ledit jour du mois de septembre précédent, il avoit fait lui-même, et de sa bouche, le prêche ou exhortation ; et, quelques jours auparavant, il leur avoit fait faire pareille exhortation par Philippe Des Portes, abbé de Tiron, de Josaphat et d’Aurillac[15], son bien-aimé et favori poète. » Ainsi tour à tour, ce roi à bilboquets et à chapelets employait le bel esprit accommodant à prêcher ses confrères comme à pleurer ses mignons[16].

Si bien qu’il se sentît de longue main auprès d’Henri III, Desportes avait cru devoir s’attacher très immédiatement au duc de Joyeuse, le plus brillant et le plus actif des favoris d’alors ; il était son conseil en tout et comme son premier ministre. On en a un piquant exemple raconté par De Thou en ses Mémoires. Celui-ci, âgé de trente-trois ans, n’était encore que maître des requêtes ; il avait passé sa jeunesse aux voyages. Le président De Thou, son oncle, le voulait pourvoir de sa survivance, et il se plaignait de la négligence de son neveu à s’y pousser. Il en parlait un jour sur ce ton à François Choesne, lieutenant-général de Chartres, qui courut raconter à l’autre De Thou les regrets du vieil oncle, et le presser de se mettre en mesure. Mais le futur historien allégua que le moment n’était pas venu, que les sollicitations n’allaient pas à son humeur, qu’il en faudrait d’infinies dans l’affaire en question ; enfin toutes sortes de défaites et d’excuses comme en sait trouver le mérite indépendant et peu ambitieux. Mais Choesne l’arrêta court : « Rien de plus simple, lui dit-il ; si vous croyez votre dignité intéressée, abstenez-vous, laissez-moi faire ; je me charge de tout. Vous connaissez Philippe Desportes, et vous n’ignorez pas qu’il est de mes parens et de mes amis. Il peut tout près du duc de Joyeuse, lequel fait tout près du roi. Ce sera, j’en réponds, leur faire plaisir, à Desportes et au duc, que de les employer pour vous. »

Et tout d’un trait, Choesne court chez Desportes qu’il trouve près de sortir et le portefeuille sous le bras, un portefeuille vert de ministre : oui, en vérité, notre gracieux poète en était là. Desportes allait chez le duc de Joyeuse travailler, comme on dit. En deux mots Choesne le met au fait ; c’était le matin : « Revenez dîner aujourd’hui, lui dit Desportes, et je vous rendrai bon compte[17]. » À l’heure du dîner, Choesne trouve l’affaire faite et De Thou président à mortier en survivance ; il court l’annoncer à celui-ci qui, tout surpris d’une telle facilité et d’une telle diligence, est confondu de se voir si en retard de civilité, et qui se rend lui-même au plus vite chez Desportes, entamant dès l’entrée toutes sortes d’excuses. Mais Desportes ne souffrit pas qu’il lui en dît davantage, et lui répondit noblement : « Je sais que vous êtes de ceux à qui il convient mieux de témoigner leur reconnaissance des bons offices, que de prendre la peine de les solliciter. Quand vous m’avez employé pour vous auprès du duc de Joyeuse, comptez que vous nous avez obligés l’un et l’autre ; c’est en pareille occasion qu’on peut dire qu’on se fait honneur, quand on rend service à un homme de mérite. »

Certes Desportes, on le sait trop, n’avait pas un sentiment moral très profond ni très rigide ; ce qu’on appelle dignité de conscience et principes ne doivent guère se chercher en lui ; mais, tout l’atteste, il avait une certaine libéralité et générosité de cœur, un charme et une séduction sociale qui font beaucoup pardonner, un tour, une représentation aisée, pleine de magnificence et d’honneur, enfin ce qu’on peut appeler du moins des parties de l’honnête homme.

De Thou reconnaissant le priait de l’introduire sur-le-champ chez le duc de Joyeuse pour offrir ses remerciemens confus. Mais Desportes, qui savait combien les grands sont légers et peu soucieux, même de la reconnaissance pour le bien qu’ils ont fait sans y songer autrement, éluda cette louable effusion, et lui dit qu’ils ne trouveraient pas le duc à cette heure ; qu’un remerciement si précipité le pourrait même importuner dans l’embarras d’affaires où l’on était, et qu’il se chargeait du compliment et des excuses. Cependant Joyeuse partit pour son commandement de Normandie ; la visite fut remise au retour. Quelque temps après (1587), survint la défaite de Coutras, où périt ce jeune seigneur, et le long enchaînement des calamités civiles recommença.

Ce fut un coup affreux pour Desportes, et qui semblait briser sa fortune au moment où elle touchait au faîte. L’affection pourtant, on aime à le penser, eut une grande part à ses regrets. Dans l’accablement où il tomba à la première nouvelle de cette mort, fuyant la société des hommes, il se retira chez Baïf à Saint-Victor, en ce monastère même des muses que nous avons décrit précédemment. C’est De Thou encore qui nous apprend cela, et qui alla l’y voir pour le consoler.

La poésie dut alors lui revenir en aide ; tout en suivant l’ambition, il l’avait maudite souvent. Il aimait la nature, il la sentait avec une sorte de vivacité tendre ; il put, durant ces quelques mois de retraite, se reprendre avec regret aux beaux jours envolés, et se redire ce sonnet de lui, déjà ancien, qu’il adressait au vieux Dorat :

Quel destin favorable, ennuyé de mes peines,

Rompra les forts liens dont mon col est pressé ?
Par quel vent reviendrai-je au port que j’ai laissé,
Suivant trop follement des espérances vaines ?

Verrai-je plus le temps qu’au doux bruit des fontaines,
Dans un bocage épais mollement tapissé,
Nous récitions nos vers, moi d’amour offensé,
Toi bruyant de nos Rois les victoires hautaines ?

Si j’échappe d’ici, Dorat, je te promets
Qu’Apollon et Cypris je suivrai désormais,
Sans que l’ambition mon repos importune.

Les venteuses faveurs ne me pourront tenter,
Et de peu je saurai mes désirs contenter,
Prenant congé de vous, Espérance et Fortune.

C’était également, si l’on s’en souvient, le vœu final de Gil Blas, mais qui, plus sage, paraît s’y être réellement tenu.

Convient-il de placer déjà à ce moment plusieurs des retours chrétiens de Desportes, de ces sonnets spirituels et de ces prières qui, dans une ame mobile, ne semblent pas avoir été sans émotion et sans sincérité ? Les Psaumes ne vinrent que plus tard, et furent l’œuvre de sa vieillesse. Mais, dès l’époque où nous sommes, il avait composé des pièces contrites, dont plusieurs datent certainement d’une grande maladie qu’il avait faite en 1570. On a cité souvent ce sonnet, assez pathétique, qui paraît bien avoir été l’original dont s’est inspiré Des Barreaux pour le sien devenu fameux :

Hélas ! si tu prends garde aux erreurs que j’ai faites,
Je l’avoue, ô Seigneur ! mon martyre est bien doux ;
Mais, si le sang de Christ a satisfait pour nous,
Tu décoches sur moi trop d’ardentes sagettes.

Que me demandes-tu ? Mes œuvres imparfaites,
Au lieu de t’adoucir, aigriront ton courroux ;
Sois-moi donc pitoyable, ô Dieu ! père de tous ;
Car où pourrai-je aller, si plus tu me rejettes ?

D’esprit triste et confus, de misère accablé,
En horreur à moi-même, angoisseux et troublé,
Je me jette à tes pieds, sois-moi doux et propice !

Ne tourne point les yeux sur mes actes pervers,
Ou, si tu les veux voir, vois-les teints et couverts

Du beau sang de ton Fils, ma grace et ma justice[18].

Il est probable que, durant les semaines d’affliction, ces pensées graves lui repassèrent au moins par l’esprit, de même que plus tard, après la Ligue, et vieillissant, il fut peut-être plus sincèrement repentant par accès qu’on ne l’a cru. Ces natures sensibles, même raffinées, sont ainsi.

Dans tous les cas cette variation, pour le moment, dura peu, et l’ambition le reprit de plus belle. Henri III mort (ce qu’il faut noter pour sa décharge), on retrouve Desportes ligueur, bien que sentant un peu le fagot, et attaché à l’amiral de Villars, cousin de Joyeuse : il l’avait probablement connu dans cette maison. Du Havre-de-Grace, où l’avait placé Joyeuse, Villars s’était jeté dans Rouen et y concentrait en lui tous les pouvoirs. C’était un caractère violent et fougueux, un capitaine plein d’ambition et d’ailleurs capable. Desportes s’est insinué près de lui ; il le conduit et le domine ; il se fait l’ame de son conseil et le bras droit de ses négociations ; il devient le véritable premier ministre enfin de ce roi d’Yvetot : la Satire Ménippée appelle ainsi Villars, qui était mieux que cela, et une espèce de roi en effet dans cette anarchie de la France. Quant à Desportes, le poète ingrat de l’Amirauté, comme la Ménippée dit encore, sa fortune en ces années désastreuses (1591-1594) se trouve autant réparée qu’elle peut l’être ; ses bénéfices sont saisis, il est vrai ; mais il a en main de quoi se les faire rendre, et avec usure. Dans toutes les négociations où il figure, il ne s’oublie pas.

Palma Cayet raconte que, dans le temps même où Villars se cantonnait à Rouen et préparait son indépendance, ce capitaine, très prudent et avisé à travers ses fougues, négociait secrètement avec le cardinal de Bourbon, qui présidait alors le Conseil du roi, tantôt à Chartres, tantôt à Mantes, « et ce par le moyen de Des Portes, et qu’en furent les paroles si avant qu’il fût parlé au dit conseil de donner main levée des abbayes et bénéfices dudit sieur Des Portes occupés par les royaux. » L’affaire rompit par le refus des détenteurs, et le poète-diplomate se vengea, montrant bientôt ce que peut un homme de conseil, quand il rencontre un homme d’exécution[19].

Mais Sully, en ses Économies royales, est celui qui nous en apprend le plus sur la situation et l’importance du conseiller de Villars. Après des pourparlers préliminaires et des tentatives avortées qui avaient eu lieu durant le siége même de Rouen, le principal serviteur d’Henri IV y revient en titre, muni de pleins pouvoirs pour traiter (1594). Les affaires de la Ligue allaient fort mal ; Paris était à la veille de se rendre à son roi ; mais Rouen tenait bon, et c’était un embarras considérable. Sully, à peine arrivé dans la ville rebelle, y trouve La Font, son ancien maître d’hôtel, et qui l’était de M. de Villars ; ce La Font servait d’entremetteur secondaire. Dès le premier moment, Sully envoie Du Perat, un de ses officiers, visiter de sa part M. de Villars, Mme de Simiers et M. de Tiron, les trois grands personnages. Qu’était-ce que Mme de Simiers ? Demandez à Tallemant : Mme de Simiers (Mlle de Vitry), ancienne fille d’honneur de Catherine de Médicis, avait passé comme maîtresse de Desportes à Villars, et dans ce moment elle s’arrangeait comme elle l’entendait entre tous deux[20]. M. de Tiron et elle font aussitôt répondre à Sully, qui leur demandait comment il avait à se conduire, de se reposer ce jour-là, et que le lendemain matin ils lui feraient savoir de leurs nouvelles. Mais M. de Tiron ne s’en tient pas là, et, dès que la nuit est venue, il arrive en personne ; c’est ici que toute sa diplomatie se déploie.

Après les complimens ordinaires et extraordinaires, il commence par regretter le retard de l’arrivée de M. de Rosny ; il explique au long, en les exagérant peut-être, quelques incidens qui ont passé à la traverse, et les changemens d’humeur de l’homme (M. de Villars). Deux envoyés en effet, l’un, dom Simon Antoine, de la part du roi d’Espagne, l’autre, La Chapelle-Marteau, de la part de la Ligue, venaient d’apporter des propositions au gouverneur. Desportes développe tout cela ; il étale les difficultés : il n’est pas fâché de se rendre nécessaire. Plusieurs catholiques des principaux de la cour du roi avaient de plus écrit à Villars de se méfier, de ne pas trop accorder sa confiance à un négociateur hérétique comme M. de Rosny. Desportes a eu soin de se munir de ces lettres ; mais il ne les montre qu’avec discrétion. Puis il montre sans aucune réserve trois autres lettres d’un ton tout différent : l’une du cardinal de Bourbon à M. de Villars pour l’enhardir à traiter, l’autre de M. de Vitry à Mme de Simiers sa sœur dans le même sens, et la troisième enfin de l’évêque d’Évreux, Du Perron, à Desportes lui-même. Celle-ci nous est très curieuse en ce qu’elle témoigne du singulier respect et de la déférence avec laquelle ce prélat éminent s’adresse à son ancien patron, se dit son obligé, et confesse ne devoir qu’à lui d’avoir pu connaître la cour. Après avoir communiqué ces pièces, Desportes donne son avis sur la marche à suivre, sur les écueils à tourner ; il promet son assistance : « Mais qu’on laisse seulement passer à M. de Villars toutes ses fougues… Et peu à peu nous le rangerons, dit-il, à ce qui sera juste et raisonnable. » Sully, bien qu’il jugeât qu’il pouvait bien y avoir de l’artifice en tout ce langage, ne laissa pas d’en demeurer d’accord, et, sur cette première conversation, on se donna le bonsoir.

Je ne dirai pas la suite avec détail ; on peut recourir à Sully lui-même ; il suffit qu’on ait le ton. Dans les conditions sine qua non que posait Villars, et à côté de l’amirauté exigée pour lui, il se trouvait les abbayes de Jumièges, Tiron, Bonport, Vallasse et Saint-Taurin, stipulées comme appartenant à de ses serviteurs. Nous savons quel serviteur, du moins le principal : il ne se perd pas de vue[21]. L’abbé de Tiron d’ailleurs aida bien réellement et efficacement à la solution ; il s’employa avec toute sa finesse à adoucir Villars et à le déterminer. Il faisait son pont à lui-même, près d’Henri IV, et ce prince pouvait répondre à ceux des fidèles et ultrà qui auraient trouvé à redire ensuite sur l’abbé ligueur : « M. de Tiron a rendu des services. »

Ceci obtenu, Desportes n’eut plus qu’à vieillir riche et honoré. Il traduisit les Psaumes, sans doute pour réparer un peu et satisfaire enfin aux convenances de sa situation ecclésiastique. Le succès, à le bien voir, fut contesté (1603) ; Malherbe lui en dit grossièrement en face ce que Du Perron pensait et disait plus bas. Mais ces sortes de vérités se voilent toujours d’assez d’éloges aux oreilles des vivans puissans, et Desportes put se faire illusion sur sa décadence[22]. Il se continuait avec harmonie par Bertaut ; il rajeunissait surtout avec éclat et bonheur dans son neveu, l’illustre Mathurin Regnier. Tout comblé de biens d’église qu’il était, ayant refusé vers la fin l’archevêché de Bordeaux, il sut encore passer pour modeste, et son épitaphe en l’abbaye de Bonport célébra son désintéressement. C’est dans cette dernière abbaye qu’il coula le plus volontiers ses dernières années, au sein d’une magnifique bibliothèque dont il faisait les honneurs aux curieux avec une obligeance infinie, et qu’après lui son fils naturel laissa presque dilapider : elle ne fut sauvée en partie que par la diligence du Père Sirmond[23]. On parle aussi d’une belle maison de lui à Vanves, où il allait recueillir ses rêves, et dont le poète La Roque a célébré la fontaine. Il mourut à Bonport en octobre 1606, âgé d’environ soixante et un ans. L’Estoile lui a prêté d’être mort assez impénitent et de n’avoir cru au purgatoire non plus que M. de Bourges (Renaud de Beaune) ; on allègue comme preuve qu’il aurait enjoint expressément, à sa fin, de chanter seulement les deux Psaumes : O quam dilecta tabernacula, et Lætatus sum. Peu avant de mourir, il aurait dit en soupirant : « J’ai trente mille livres de rente, et je meurs ! »

Mais tout cela m’a l’air de propos sans conséquence, et tels qu’il en dut circuler : on a prêté à Rabelais le rieur d’être mort en riant ; on a supposé que le riche abbé de Tiron ne pouvait faire autrement que de regretter ses richesses[24].

Ce qu’il faut redire après les contemporains, à la louange de Desportes, c’est qu’il n’eut pas d’ennemis, et que, dans sa haute fortune, il fit constamment le plus de bien qu’il put aux personnes. D’Aubigné seul paraît l’avoir détesté dans ses écrits, et la Confession de Sancy est envenimée d’injures à ce nom de Tiron. Mais les auteurs de la Ménippée eux-mêmes ne gardèrent pas rancune à Desportes ; ni lui à eux ; Passerat, Gillot, Rapin, on les retrouve tout-à-fait réconciliés, et ce dernier a célébré la mort de son ami dans une pompeuse et affectueuse élégie latine.

Malherbe, à sa manière, fut cruel ; on sait l’exemplaire de Desportes annoté par lui. M. Chastes en a rendu un compte judicieux et piquant[25] ; moi-même j’y ai appelé l’attention autrefois, et j’en ai signalé les chicanes. Il y a de ces hommes prépondérans qui ont de singuliers priviléges : ils prennent le droit de se faire injustes ou du moins justes à l’excès envers les autres, et ils imposent leurs rigueurs, tandis qu’avec eux, quoi qu’ils fassent, on reste juste et déférent : ainsi de Malherbe. Censeur impitoyable et brutal pour Ronsard, pour Desportes, il se maintient lui-même respecté : dans quelques jours, il paraîtra une édition de lui annotée par André Chénier, et qui est tout à sa gloire[26].

Je ne voulais ici que développer l’existence sociale de Desportes, son influence prolongée et cette singularité de fortune qui en a fait alors le plus grand seigneur et comme le D’Épernon des poètes. Il serait fastidieux d’en venir, après tant de pages, à apprécier des œuvres et un talent suffisamment jugés. Un mot seulement, avant de clore, sur sa célèbre chanson : Ô nuit ! jalouse nuit, qui se chantait encore sous la minorité de Louis XIV. Elle est imitée de l’Arioste, du Capitolo VII des poésies diverses : O ne’ miéi danni[27]… Dans le Capitolo précédent, l’aimable poète adressait une hymne de félicitation à la nuit et à tout ce qu’elle lui avait amené de furtif et d’enivré ; ici, au contraire, il lui lance l’invective pour sa malencontreuse lumière. Il faut dire à l’honneur de Desportes que plusieurs des traits les plus heureux de sa chanson ne se rencontrent pas dans l’italien, et que, s’il n’est pas original, il est peut-être plus délicat :

Je ne crains pas pour moi, j’ouvrirois une armée,
Pour entrer au séjour qui recèle mon bien,

n’appartient qu’à lui, aussi bien que ce délicieux vers :

Les beaux yeux d’un berger de long sommeil touchés.

Cette jolie chanson de Desportes rappelle aussi une invocation antique attribuée à Bion, et qu’un amoureux adresse à l’étoile du soir, à Vesper. Je m’étais donné le plaisir de la traduire, lorsque je me suis aperçu qu’elle était traduite déjà ou imitée par nos vieux poètes, par Ronsard, au ive livre de ses Odes, et surtout par le bon Baïf en ses Amours. Voici la charmante version de celui-ci, je n’y ai changé qu’un petit mot :

De l’aimable Cypris ô lumière dorée !
Hesper, de la nuit noire ô la gloire sacrée,
Qui excelles d’autant sur les astres des cieux
Que moindre que la lune est ton feu radieux,
Je te salue, Ami. Conduis-moi par la brune
Droit où sont mes amours, au défaut de la lune
Qui cache sa clarté. Je ne vas dérober,
Ni pour d’un pélerin le voyage troubler ;
Mais je suis amoureux ! Vraiment c’est chose belle
Aider au doux désir d’un amoureux fidèle.

Oserai-je ajouter à côté ma propre imitation comme variante ?

Chère Étoile du soir, belle lumière d’or
De l’aimable Aphrodite, ornement et trésor
Du noir manteau des nuits, et qui, dans ses longs voiles,
Luis moins que le croissant et plus que les étoiles,
Ô cher Astre, salut ! Et comme, de ce pas,
Je vais chanter ma plainte au balcon de là-bas,
Prête-moi ton rayon ; car la lune nouvelle
S’est trop vite couchée. Ah ! lorsque je t’appelle,
Ce n’est pas en larron, pour guetter méchamment ;
Mais j’aime, et c’est honneur d’être en aide à l’amant !

Et dans des vers à cette même étoile, un poète moderne, M. Alfred de Musset, a dit, comme s’il eût mêlé au pur ressouvenir de Bion un sentiment ému de Byron :

Pâle Étoile du soir, messagère lointaine,
Dont le front sort brillant des voiles du couchant,
De ton palais d’azur, au sein du firmament,

Que regardes-tu dans la plaine ?
La tempête s’éloigne, et les vents sont calmés…

et dans tout ce qui suit, une teinte d’Ossian continue de voiler légèrement la sérénité antique :

Tu fuis en souriant, mélancolique amie…
Triste larme d’argent du manteau de la nuit…

Ce n’est plus simplement l’astre d’or ; et le dernier trait enfin, le dernier cri s’élance et se prolonge dans l’infini comme un soupir du cœur :

Étoile de l’amour, ne descends pas des cieux !

Je renvoie au volume que chacun a lu ; mais j’avais besoin, en terminant, de ramener un parfum de vraie poésie après ces anecdotes des Valois et cette vie diplomatique du plus courtisan et du plus abbé des poètes.


Sainte-Beuve.
  1. Voir précédemment Revue du 15 février.
  2. Il faut l’aller chercher dans le Conservateur, ou Collection de morceaux rares… (septembre 1757). Il vient un moment où ces morceaux enterrés ainsi en d’anciens recueils sont presque introuvables.
  3. Dreux du Radier, au moment où il redresse l’inadvertance des auteurs du Gallia christiana, en a commis lui-même une assez piquante et singulière. Dans l’élégie latine de Rapin, le frère de Desportes est ainsi désigné :

    Primus ibi frater lentè Beuterius ibat

    Du Radier découvre là un second frère de Desportes, qu’il appelle M. de Beutière. Mais Niceron et Goujet disent positivement que Desportes n’eut qu’un frère unique, M. de Bevilliers ; et si en effet, au lieu de Beuterius, on lit Beulerius, on retrouve ce Bevilliers en personne. Une faute d’impression avait déguisé l’identité.

  4. La biographie de nos poètes français ne devient guère possible au complet et avec une entière précision qu’à dater du milieu du XVIe siècle, et à partir de l’école de Ronsard.
  5. Les premières Œuvres de Philippe Des Portes, dédiées au roi de Pologne, Paris, Robert le Manguier, 1573, in-4o.
  6. Il convient, en jugeant à froid, de modérer sa propre rigueur et de faire la part de la fièvre du temps. Le Tasse jeune, qui était à Paris en 1571, à la veille de la Saint-Barthélemy, ne paraît pas avoir pensé autrement que Baïf ; l’excès de son zèle catholique dépassait celui du cardinal d’Este, et un mémoire de lui sur les troubles de France, retrouvé en 1817, le doit faire regarder, on rougit de le dire, comme un approbateur et un apologiste de la Saint-Barthélemy. On peut lire là-dessus l’intéressant chapitre intitulé Le Tasse en France, que M. Valery vient de donner dans ses Curiosités et Anecdotes italiennes ; on y trouvera rassemblées de piquantes particularités sur les mœurs et le ton de cette cour.
  7. On cite en effet, de fameux musiciens de ce siècle qui mettaient des airs aux paroles des poètes : Orlande le jeune avait noté en musique un certain sonnet d’Olivier de Magny, un petit dialogue entre un amant et le nocher Caron, qui avait tenu long-temps en émoi toute la cour ; Thibault de Courville et Jacques Mauduit conduisaient les concerts de Baïf ; Guedron et Du Cauroy faisaient les airs des chansons de Du Perron.
  8. Vie de Baïf, manuscrit de Colletet.
  9. L’Académie des Valois ne tenait pas toujours ses séances à Saint-Victor. D’Aubigné, qui dut à son talent de bel-esprit agréable d’y être admis par le roi, dans le temps où il était attablé au Béarnais captif et à la veille de l’évasion de 1576, D’Aubigné nous apprend (Histoire universelle) qu’alors cette Académie s’assemblait dans le cabinet même du roi, deux fois par semaine, et qu’on y entendait toutes sortes d’hommes doctes, et même des dames qui avaient étudié : on y posait des problèmes de bel esprit et de métaphysique.
  10. Deux mille écus à chacun.
  11. Moreri et Goujet retardent cette mort jusqu’en 1591. — Colletet fils a ajouté la note suivante au manuscrit de son père : « Il me souvient, étant jeune enfant, d’avoir vu la maison de cet excellent homme que l’on montroit comme une marque précieuse de l’antiquité ; elle étoit située (sur la paroisse de Saint-Nicolas-du-Chardonnet) à l’endroit même où l’on a depuis bâti la maison des religieuses angloises de l’ordre de saint Augustin, et sous chaque fenêtre de chambre on lisoit de belles inscriptions grecques en gros caractères, tirées du poète Anacréon, de Pindare, d’Homère et de plusieurs autres, qui attiroient agréablement les yeux des doctes passans. » Une de ces inscriptions, j’imagine, et non certes la moins appropriée, aurait été celle-ci, tirée de Théocrite : « La cigale est chère à la cigale, la fourmi à la fourmi, et l’épervier aux éperviers ; mais à moi la Muse et le chant. Que ma maison tout entière en soit pleine ! car ni le sommeil, ni l’éclat premier du renouveau n’est aussi doux, ni les fleurs ne plaisent aux abeilles autant qu’à moi les Muses me sont chères… »
  12. Marie de Clèves, fille du duc de Nevers, morte en couches le 30 octobre 1574.
  13. Il y a une sotte histoire sur son compte, et qui le ferait poète beaucoup plus naïf vraiment qu’il n’était ; nous en savons déjà assez pour la démentir. On raconte qu’il parut un jour en habit négligé devant Henri III, tant, ajoute-t-on, il était homme d’étude et adonné à sa poésie ! et Henri III lui aurait dit : « J’augmente votre pension de tant, pour que vous vous présentiez désormais devant moi avec un habit plus propre. » De telles distractions seraient bonnes chez La Fontaine ; mais Desportes avait à la cour l’esprit un peu plus présent. S’il parut un jour en tel négligé, après quelque élégie, ce ne fut, de la part du galant rimeur, qu’une manière adroite et muette de postuler un bénéfice de plus.
  14. Il faudrait ici, en contraste immédiat et pour représailles sanglantes, opposer des passages de D’Aubigné en ses Tragiques : style sauvage, inculte, hérissé, indignation morale qui ne se contient plus, injure ardente, continuelle, forcenée, rien n’y manque comme châtiment de l’élégie ; mais, la plupart du temps aussi, cette trop grossière éloquence ne se saurait citer, et, des deux poètes, le moins moral est encore le plus facile à transcrire. Dans la satire intitulée les Princes, on sent à tout moment l’allusion à Desportes :

    Des ordures des grands le poète se rend sale,
    Quand il peint en César un ord Sardanapale…
    .........Leurs poètes volages
    Nous chantent ces douceurs comme amoureuses rages…
    Qu’ils recherchent le los des affétés poètes… etc.

  15. Desportes eut bien encore d’autres titres et qualités : il fut chanoine de la Sainte-Chapelle, abbé de Bonport, de Vaux-de-Cernai ; cette dernière abbaye ne lui vint pourtant qu’en échange de celle d’Aurillac, qu’il permuta. Le Gallia christiana est tout marqué, à chaque volume, de son nom et de ses louanges. Nous lui découvrirons en avançant d’autres abbayes encore ; ç’a été sa vocation d’être le mieux crossé des élégiaques.
  16. D’Aubigné y pensait évidemment quand il s’écriait :

    Si, depuis quelque temps, vos rimeurs hypocrites,
    Déguisés, ont changé tant de phrases écrites
    Aux profanes amours, et de mêmes couleurs
    Dont ils servoient Satan, infames bateleurs,
    S’ils colorent encor leurs pompeuses prières

    De fleurs des vieux païens et fables mensongères,
    Ces écoliers d’erreur n’ont pas le style appris,
    Que l’Esprit de lumière apprend à nos esprits.
    De quelle oreille Dieu prend les phrases flatresses
    Desquelles ces pipeurs fléchissoient leurs maîtresses ?

    (Satire des Princes.)
  17. À propos de dîner, ceux de Desportes étaient célèbres et lui faisaient grand honneur : « Nullus enim eum vel hospitalis mensæ liberalibus epulis, vel omni denique civilis vitæ splendore superavit, » a dit Scévole de Sainte-Marthe.
  18. Le dernier tercet a été ainsi reproduit et agrandi par Des Barreaux :

    J’adore en périssant la raison qui t’aigrit :
    Mais dessus quel endroit tombera ton tonnerre,
    Qui ne soit tout couvert du sang de Jésus-Christ ?

    Dans les dernières éditions de Desportes, au lieu du beau sang de ton Fils, on lit du clair sang, que j’aime moins. Ce qui dénote, à coup sûr, que Des Barreaux connaissait le sonnet de Desportes, c’est moins la ressemblance du sentiment, et même du dernier trait, que quelques mots insignifians, comme propice, aigrir, qui se trouvent avoir passé dans son sonnet. Du Radier fut le premier, dans l’article du Conservateur, à dénoncer cette imitation, et il en revendique la découverte avec une certaine vivacité, au tome Ier de ses Récréations historiques et critiques. Dans l’intervalle, en effet, un M. de La Blaquière avait écrit de Verdun une lettre à Fréron (Année littéraire, mars 1758), pour annoncer la même trouvaille. On pourrait soutenir également que Desportes a inspiré à Racan sa belle pièce de la Retraite ; il l’y a du moins aidé.

  19. Et notez comme Desportes sait bien choisir ceux à qui il s’attache : d’abord, c’était Joyeuse, le plus politique des favoris, et qui tendait même à se substituer à Guise en tête de la Ligue ; aujourd’hui, c’est Villars, le plus valeureux et le plus capable du parti.
  20. « Mme de Simiers priait souvent Desportes de lui rimer des élégies qu’elle avoit faites en prose : elle appeloit cela envoyer ses pensées au rimeur. » (Costar, suite de la Défense de M. de Voiture.) — Le poète La Roque, en ses Mélanges, adresse un sonnet à Mme de Simiers, non loin d’un autre sonnet à Desportes ; il parle du bel-esprit de cette dame : Votre beauté des Muses le séjour. Elle avait dû être de l’Académie d’Henri III.
  21. Toutes ces abbayes furent-elles stipulées pour lui seul ? Ce serait plus qu’on ne lui en connaît. Quand on regarde le ciel par une belle nuit, on y découvre étoiles sur étoiles ; plus on regarde dans la vie de Desportes, et plus on y découvre d’abbayes.
  22. Ses Psaumes survécurent même, dans la circulation, à ses Premières Œuvres, lesquelles ne passent guère en réimpression l’année 1611. Dom Liron (Bibliothèque chartraine) nous apprend que Thibaut Desportes, sieur de Bevilliers, frère du nôtre, fit faire, en 1624, une très belle édition de ces Psaumes avec des chants de musique.
  23. Voir le Père Jacob, Traité des Bibliothèques.
  24. On cite encore de lui ce mot assez vif et plus vraisemblable, quand il refusa l’archevêché de Bordeaux, ne voulant pas, disait-il, avoir charge d’ames : « — Mais vos moines ? lui répondit-on. — Oh ! bien, eux, ils n’en ont pas. »
  25. Revue de Paris, 20 décembre 1840.
  26. Dans la Bibliothèque-Charpentier, et par les bons soins de M. Antoine de La Tour, à qui on en doit la découverte.
  27. Je dois à l’obligeance de M. Aroux, traducteur récent de l’Arioste et du Dante, l’indication précise de cette imitation, qui n’avait été jusqu’ici que vaguement dénoncée.