Anciennetés/La Magdeleine aux parfums

Anciennetés : poèmes
Société du Mercure de France (p. 45-64).


LA MAGDELEINE AUX PARFUMS



À Catulle Mendès



Le Bel au front de sacre éventé par la palme
Honore de sa faim l’orthodoxe Simon.
L’olive et le raisin, son pressoir de dents calme
En fait l’offrande fraîche à son divin limon.







Depuis la Crèche où zézayaient les ailes blanches
Des séraphins éclos parmi l’avènement
Et depuis Nazareth où l’on sciait des planches,
Nombreux fut le voyage, aussi l’événement.


Il est allé, versant la pacifique obole
En les cœurs tourmentés de la frêle maison ;
Il a passé, contant la claire parabole
Où se marient le grain, la plume, la toison.

Genoux et bras chargés de puériles joues,
Maintes fois il parut un humain oranger.
Les femmes de la plaine, analogues aux proues
Vers le salut, appareillaient vers l’Étranger.

Céramique des puits, jarres de Samarie,
Il vous enjolivait d’une phrase de ciel.
Du haut de la colline il prêchait la prairie,
Et ce n’était qu’épis, que bruit d’aile, que miel.


Par un geste efficace autant qu’une harangue,
Il raviva la perle en le chaton des cils.
Les muets à la main souple comme une langue,
Il leur mit dans la gorge un nid plein de babils.

Il conquit, moyennant le chanvre aux mille mailles,
Les joyaux savoureux qui vivent dans les eaux.
Il fut le boulanger sans four et sans semailles.
Il ralluma la lampe maigre des tombeaux.

Tel, il eût pu florir emmi la Galilée
Où les regards l’ornaient d’un hommage de paon,
Mais il n’oubliait point qu’à sa vie exilée
Fut prédit le trépas vilain du chenapan.


C’est pour cela qu’assis sur son trône qui marche,
Une mule docile aux prunelles de jais,
II traverse la foule en jeune patriarche,
Émerveillant les gueux d’un espoir de palais.

Il porte aux funérailles sa splendeur de cygne
Afin de consommer le serment éternel.
Sur un farouche mont deux rameaux lui font signe,
Que n’a pas caressés le rabot paternel.







A table chaque bras, tel un cou de cigogne,
Alimente la bouche avec son bec de main,
Les Disciples aux traits couleur de la besogne
Mangent, vieillis par la poussière du chemin.


Tandis que, pavoisé d’un air de fiançailles,
Le Bel ouvre son âme, harmonieux grenier,
A l’écart, sous l’auvent de ses torves broussailles,
L’Iscariote attise un œil comme un denier.

Déjà se sont vidés les plats et les corbeilles
Quand survient une femme au visage de fard
Et dont la chevelure est un essaim d’abeilles.
Simon l’Amphitryon sursaille, aigre et blafard.

— « N’est-ce pas le Scandale qui sort de son antre
A l’heure oblique afin de marchander aux chairs
Veuves d’abri le vestibule de son ventre ? »
Sur son épaule un vase empli de parfums chers,


Lentement la publique va vers le Messie
Avec tous les ramiers de l’angoisse en son sein.
Les convives ont peur sous ses yeux de cassie,
Car elle est belle ainsi que l’on est assassin.

Se fanant à genoux, elle épand la magie
De son urne d’albâtre sur les pieds du Bel
Pendant que de l’ardente face d’élégie
Crèvent éperdûment les réservoirs de sel.

La pécheresse enfin se tord entre la pieuvre
Énorme des remords qui la tenaille au sol.
On dirait qu’un marteau fit tomber un chef-d’œuvre.
Une âme se lamente en le gracile col.







Les parfums gravissant le sentier des narines,
C’est, au cerveau de tous, un prompt enchantement
Qui sous la cloche taciturne des poitrines
Fait se pâmer les cœurs délicieusement.


Dans les crânes, des anges tissent en mirage
Un spontané vallon de fenouil et de thym
Avec, à son mitan, un timide village
Symbolisant le repentir de la putain.

Étrange vision de candides miracles !
Brebis enseignant à bêler aux loups gloutons ;
Ventres de monstres, purs comme des tabernacles ;
Torrents à pic, plus doux que des dos de moutons.

Pâle, un corbeau roucoule un vieil air des légendes ;
Une colombe endeuille ses plumes de lys ;
Les serpents ne sont plus que flexibles guirlandes
D’oiseaux bleus aspirés par les faims de jadis.


Rompus, des tournesols, orphelins de ton charme,
O Magdeleine, effarent l’herbe d’encensoirs.
Là-bas, près d’un tronc mort, une tombe sans larme
Recèle, au lieu d’un corps, un rire et des miroirs.







Alors Celui tombé du pommier de Marie
Sur la paille parmi l’encens, la myrrhe et l’or,
Se lève, étend les mains sur la chair de féerie
Et dit ces mots pareils aux pièces d’un trésor :


— « Fille qui, suppliant le Fils à barbe d’astre,
As choisi pour miroir l’ongle de mon orteil,
J’admire l’hirondelle éclose en ton désastre,
Et la honte me plaît qui t’a peinte en soleil.

C’est bien de tendre ses vertèbres à la corde,
O toi qui me chaussas de suaves parfums
Pour que le bleu pardon, fleur de miséricorde,
Étoilât le fumier de tes péchés défunts.

Mon âme est maternelle ainsi qu’une patrie
Et je préfère au lys un pleur de sacripant.
Les regrets sont la clef bonne à ma bergerie,
Je fais une brebis du loup qui se repent.


Venez, tous les vaincus aux griffes du reptile,
Le faible sans sourire et le pauvre sans fleur,
J’ouvre l’amène auberge de mon évangile
Aux vagabonds fourbus des routes de douleur.

C’est pour vous seuls, gens de misère ou de rapines,
Que sous le fouet j’irai vers le mont des rachats,
Ayant sur mon génie un royaume d’épines
Et le long de ma peine un manteau de crachats.

Les malins m’y cloueront au sycomore infâme
Et leur regard de fer me percera le flanc,
Mais de ce large trou s’envolera mon âme
Et tout s’anoblira de son passage blanc.


Or je veux d’ici-bas, rosier des allégresses
En humiliation devant mon front d’azur,
Je veux, avec les roses qui sont tes caresses,
Composer ta couronne d’archange futur.

Car j’applaudis à la détresse nonpareille
Qui fait jaillir deux océans de tes grands yeux,
O Fille au nom joli comme un pendant d’oreille
Et dont le corps sera le diamant des cieux !

Ta beauté ne pouvait sombrer dans la tempête,
O tragique symbole de la charité,
Cueille donc une palme au palmier de ma fête :
Être belle, vois-tu, c’est de l’éternité !


Souris ! Par le chemin léger de ton haleine
Un ange s’est blotti sous ta peau de baiser.
Retourne vers le peuple et dis-lui, Magdeleine,
Qu’une larme a suffi pour te diviniser ! »







La chevelure en pleurs à la façon des saules,
L’intruse se leva comme on sort de la mer.
Un frisselis subtil à fleur de ses épaules
Indiquait que deux ailes germaient de sa chair.


Tous enfin, revenus du magique village
Et se frottant les yeux comme après le sommeil,
Suivirent, à genoux dans le joli sillage,
La femme au cœur plus grand qu’un lever de soleil.


Paris, mai 1887.
Beg-Meil, en Bretagne, octobre 1890.