Analyse du décret du 13 février 1883, réorganisant l’instruction primaire en Algérie

Anonyme
Analyse du décret du 13 février 1883, réorganisant l’instruction primaire en Algérie
Revue pédagogique, premier semestre 1883 (p. 270-275).

Algérie. — Un décret, en date du 13 février 1883, a réorganisé l’instruction primaire en Algérie. Les décrets antérieurs des 16 août 1848, 15 août 1875 et 27 mai 1878 avaient déjà apporté un certain ordre et un certain ensemble dans le fonctionnement de cet important service, et réglé assez avantageusement la situation des instituteurs. Mais il faut avouer que ces divers règlements n’étaient guère appliqués et demeuraient souvent lettre morte dans la pratique. D’autre part, la réforme qui, depuis quelques années, a profondément modifié l’organisation de l’enseignement primaire en France, n’avait point encore pénétré dans la colonie, qui restait quelque peu en arrière.

Le décret de février semble inspiré par trois idées principales : 1° approprier à l’Algérie, autant que son état actuel le comporte, la nouvelle législation de la métropole ; 2° intéresser au succès de cette grande entreprise les pouvoirs locaux et y associer le plus possible les diverses autorités qui se partagent l’influence dans la colonie ; 3° amener progressivement les indigènes à la fréquentation scolaire, à la connaissance et à l’usage de la langue française, et les appeler à faire partie du personnel enseignant, sous la direction et la surveillance des instituteurs français. Nous insisterons sur ces trois points dans une rapide analyse du nouveau : décret.

I. — Toute commune algérienne de plein exercice ou mixte[1] est tenue d’entretenir une ou plusieurs écoles primaires, ouvertes gratuitement aux enfants européens et indigènes.

Les frais d’installation et d’entretien incombent à la commune, qui doit payer également le traitement de l’instituteur. Mais elle peut participer aux avances et aux subventions de la caisse nationale des lycées et écoles, et elle ne contribue au parement des traitements que jusqu’à concurrence d’une somme représentant le sixième du produit de l’octroi de mer. Pour couvrir les autres dépenses obligatoires de l’enseignement primaire, la contribution de la commune pourra être portée du sixième au tiers de ce produit. Le surplus est à la charge de l’État.

Le taux des traitements est fixé par l’article 1er du décret du 27 mai 1878 :

Instituteurs titulaires, divisés en 4 classes, minimum : 1,500 francs ; maximum 2,100 francs. Institutrices, divisées en 3 classes, de 1,200 francs à 1,500 francs. Adjoints français (3 classes), de 1,200 à 1,500 francs. Adjoints indigènes (3 classes) de 1,000 à 1,400 francs. Adjointes (2 classes) 1,000 à 1,100 francs.

Outre ce traitement minimum, les suppléments actuellement payés par les communes, diverses allocations attachées à la possession des diplômes de l’enseignement primaire (brevet, certificat d’aptitude pédagogique, etc.) ou de la médaille d’argent, une prime pour la connaissance de la langue arabe, le logement et le mobilier personnel ou une indemnité équivalente, sont autant d’avantages assurés aux instituteurs algériens.

En aucun cas, le traitement des instituteurs actuellement en exercice ne peut devenir inférieur au plus élevé des traitements dont ils ont joui pendant les trois dernières années qui ont précédé la publication du décret.

Le passage d’une classe à l’autre est de droit au bout de cinq années d’exercice dans la classe inférieure et au bout de trois ans pour les instituteurs les plus méritants.

Les écoles de filles dans les communes de plus de quatre cents âmes, les écoles maternelles, les classes enfantines peuvent donner lieu à une subvention de l’État, à défaut de ressources communales, et le personnel enseignant de ces établissements est assimilé aux instituteurs et institutrices proprement dits.

La loi du 28 mars 1882 sur l’obligation, et celle du 16 juin 1881 sur la gratuité, sont applicables à l’Algérie. Les programmes d’enseignement et l’organisation pédagogique sont les mêmes qu’en France. L’inspection est exercée dans des conditions identiques : les ministres des divers cultes n’ont pas droit d’entrée à l’école. L’instruction religieuse est donnée en dehors des édifices scolaires.

Toutefois, dans les communes où le conseil municipal le demanderait, en l’absence de locaux convenables et par suite de conditions spéciales à l’Algérie, le préfet pourra, à titre exceptionnel et par une autorisation provisoire toujours révocable, accorder l’usage des édifices scolaires en dehors des heures de classe pour l’instruction religieuse des enfants appartenant aux différents cultes. (Art. 13.)

Le brevet de capacité est exigé des titulaires et des adjoints. Les auxiliaires et les moniteurs employés dans les écoles doivent avoir au moins le certificat d’études primaires, dont l’institution, en Algérie, est consacrée par l’article 17 du décret.

II. — On sait que, dans la colonie, le recteur a conservé les attributions que lui conférait la loi de 1850 et qui en France ont passé, en ce qui concerne l’enseignement primaire, aux mains ces préfets.

D’après le nouveau décret, c’est toujours le recteur qui nomme et révoque les instituteurs ; mais le gouverneur général prend une part plus active à l’administration scolaire. Il rend exécutoires, en les sanctionnant, les décisions du conseil départemental relatives à la fixation du nombre des écoles publiques, et adresse chaque année au ministre un tableau des créations effectuées au cours de l’année précédente. Il règle le fonctionnement de la caisse des écoles, établie dans chaque commune, et détermine, sur le rapport du recteur, les communes où, par suite de l’insuffisance des locaux, la loi sur l’obligation ne peut être appliquée, et celles, au contraire, où elle peut être étendue aux indigènes eux-mêmes. C’est sur sa proposition que le ministre fixe le nombre, le siège et l’organisation de cours normaux destinés à préparer les indigènes aux fonctions de l’enseignement. Il est appelé à statuer sur les créations d’écoles dans les communes indigènes, et nomme le directeur de l’école principale, sur la présentation du recteur.

Le recteur est plus spécialement chargé de l’organisation pédagogique. Il règle le mode d’examen et d’appréciation des épreuves du certificat d’études primaires spécial aux indigènes, et peut modifier le règlement modèle, notamment en ce qui concerne les jours de congé.

Le préfet nomme un délégué aux commissions scolaires, délivre aux instituteurs les mandats de paiement, d’après un état dressé par l’inspecteur d’académie, apprécie le montant des indemnités accordées par les communes, pour le logement ou le mobilier de l’instituteur, détermine les cas où l’instruction religieuse peut être donnée dans les édifices scolaires, ct présente les adjoints et les moniteurs indigènes à la nomination du recteur.

L’inspecteur d’académie préside le comité des inspecteurs primaires chargé de désigner les instituteurs les plus méritants, et exerce en général les mêmes attributions que dans la métropole. Il peut proposer au gouverneur général l’établissement de nouvelles écoles dans les communes indigènes.

Les conseils municipaux sont toujours consultés dans toutes les questions relatives à la création et à l’installation des écoles publiques.

III. — Nous arrivons aux dispositions spéciales concernant l’instruction des indigènes.

Art. 30. — Il est établi pour les indigènes une prime pour la connaissance de la langue française. Cette prime sera de 300 francs. La dépense sere imputée sur le budget de l’instruction publique.

Les formes de l’examen et les conditions du droit à cette prime seront réglées par arrêté ministériel, après avis des conseils départementaux et du conseil académique.

Art. 31. — Les examens du certificat d’études primaires élémentaires, institué par l’article 17 du présent décret, porteront, pour les indigènes, sur les épreuves ci-après énumérées :

Langue française : lecture, écriture, notions usuelles et sommaires de grammaire et d’orthographe constatées par une dictée et une explication orale.

Calcul : les quatre règles ; règle de trois.

Notions essentielles du système métrique.

Notions très sommaires sur la géographie et l’histoire de la France et de l'Algérie.

Langue arabe ou berbère : lecture et écriture.

Pour les jeunes filles, la couture en plus.

Pour les jeunes gens, facultativement la gymnastique et le travail manuel.

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Art. 32. — L’indigène muni du certificat d’études établi par l’article 31 pourra être employé comme moniteur dans les écoles publiques, et recevoir. en cette qualité, le traitement prévu par l’article 39.

Art. 33. — Il pourra être accordé aux élèves indigènes des écoles publiques qui se distingueront par leur assiduité et par leur travail, des primes de fréquentation et des encouragements sous la forme de dons en nature (aliments, vêtements, chaussures, livres, fournitures scolaires).

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Art. 35. — Dans toute école publique, la liberté de conscience des enfants indigènes est formellement garantie : ils ne peuvent être astreints à aucune pratique incompatible avec leur religion, et ont droit en particulier à l’application de l’article 13.

Art. 36. — Il sera établi dans chacun des départements d’Algérie des cours normaux destinés à préparer les indigènes aux fonctions de l’enseignement. Le nombre, le siège et l’organisation de ces cours normaux seront déterminés par le ministre de l’instruction publique, sur la proposition du gouverneur général et du recteur. La dépense résultant de l’établissement et de l’entretien de ces cours sera supportée par le budget de l’instruction publique.

Il pourra être établi dans les mêmes conditions des cours normaux spécialement destinés à l’étude de l’arabe ou du berbère pour les instituteurs et institutrices français.

Art. 37. — Le ministre de l’instruction publique mettra au concours un ou plusieurs livres scolaires spécialement destinés à l’instruction élémentaire les indigènes.

Art. 38. — Dans les communes de plein exercice et les communes mixtes, les enfants indigènes sont reçus aux écoles publiques aux mêmes conditions que les européens ; ils sont soumis aux mêmes règles d’hygiène, de propreté et d’assiduité. Nul enfant ne peut être reçu dans une école publique s’il n’est vacciné ou n’a eu la petite vérole.

Art. 39. — Dans toute école publique comptant au moins vingt-cinq élèves indigènes, l’instruction de ces élèves, pendant la durée du cours élémentaire. sera confiée de préférence à un adjoint indigène muni du brevet de capacité ou, à son défaut, à un auxiliaire ou moniteur indigène muni du certificat d’études.

L’adjoint breveté sera assimilé, pour le traitement et l’avancement, aux adjoints français, par dérogation au paragraphe 4 de l’article 1er du décret du 27 mai 1818.

Les moniteurs pourvus du certificat d’études recevront : 1° un traitement fixe qui pourra s’élever par augmentations successives, à un an au moins d’intervalle, de 400 à 900 francs ; 2° une allocation éventuelle de 1 franc par élève et par mois de présence.

Les adjoints et moniteurs indigènes sont nommés par le recteur dans la même forme que les adjoints français ; toutefois cette nomination dans les communes mixtes devra être faite sur la présentation du préfet.

Art. 40. — Il pourra être créé, pour les enfants indigènes des deux sexes de quatre à huit ans, des écoles enfantines dirigées par des institutrices munies du brevet de capacité ou du diplôme des salles d’asile. Elles pourront être assistées par des monitrices indigènes rétribuées de la même façon que les moniteurs.

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Art. 42. — Dans les communes indigènes, des écoles peuvent être créées par décision du gouverneur général sur la proposition du général commandant la division ou à la requête de l’inspecteur d’académie, et, dans les deux cas après avis du conseil départemental.

Pour l’établissement de ces écoles, les communes pourront recevoir des subventions de la caisse des lycées et écoles. Le traitement des instituteurs sera à la charge de l’État, les autres dépenses à la charge de la commune.

Art. 43. — L’enseignement sera donné dans les écoles des communes indigènes en français et en arabe.

Art. 44. — Les écoles des communes indigènes seront de deux sortes : Écoles principales ou du centre dirigées par un instituteur français ; Écoles préparatoires ou de section confiées à des adjoints ou à des moniteurs indigènes, sous la surveillance du directeur de l’école principale.

Art. 45. — Le directeur de l’école principale est nommé par le gouverneur général, sur la présentation du recteur. Il doit remplir les conditions suivantes :

Être pourvu du brevet de capacité ;

Être marié ;

Avoir résidé deux ans au moins en Algérie ;

Avoir obtenu la prime de langue arabe ;

S’engager à exercer, pendant cinq ans au moins, dans une commune indigène, sauf en cas de force majeure.

Il recevra un traitement de début de 3.000 francs avec augmentation annuelle de 100 francs ; à ce traitement pourront s’ajouter les allocations prévues par l’article 6 du présent décret.

Il aura un logement avec jardin ou champ.

Il aura droit, en outre, si la résidence l’exige, au nombre de prestations en nature que l’autorité militaire locale déterminera pour assurer ses approvisionnements.

Il aura droit, tous les deux ans, à l’époque des vacances, au transport gratuit pour lui et sa famille sur un point quelconque de l’Algérie, ainsi qu’à l’autorisation de passage gratuit en France et au parcours à demi-tarif sur les chemins de fer français.

Il recevra un supplément de traitement de 200 francs par an, passible de retenue, pour chaque école préparatoire qui s’ouvrira sous la conduite d’un de ses élèves.

Art. 46. — La mère, la femme, la fille ou la sœur de l’instituteur peut être chargée de la surveillance et du soin des plus jeunes enfants et recevoir à ce titre une allocation de 500 à 800 francs. Si elle est brevetée et peut diriger une école enfantine, elle recevra un traitement de 1,500 francs susceptible d’augmentations annuelles de 100 francs.

Art.. 47. — Les adjoints et les moniteurs indigènes chargés des écoles préparatoires seront nommés et rétribués comme il est dit à l’article 39.

Art. 48. — Pour assurer la prompte exécution des mesures prescrites par le titre IV du présent décret, le ministre de l’instruction publique mettra à la disposition du recteur d’Alger, par une délégation temporaire, un inspecteur d’académie, et, s’il ya lieu, un ou plusieurs inspecteurs primaires, avec mission d’organiser, sous les ordres du recteur, le service de l’instruction primaire des indigènes.

  1. Les trois départements de l’Algérie sont divisés chacun en deux parties assez inégales : l’une est le département que le préfet administre, c’est le territoire civil ; l’autre relève du général commandant la division, c’est le territoire militaire ou de commandement.

    En territoire civil, la commune de plein exercice a une administration analogue à celle de nos communes françaises, quel que soit le nombre des indigènes. La commune mixte comprend quelques douars indigènes du territoire civil ayant chacun une djemâa (conseil). Un administrateur a la direction des affaires avec l’assistance des présidents de djemâa et des notables européens.

    En territoire militaire, les subdivisions, sous les ordres des généraux de brigade, correspondent aux arrondissements. Des officiers supérieurs administrent les cercles ; des capitaines ou des lieutenants sont chargés des annexes.

    Un arrêté du 13 novembre 1874 a prévu la création de communes indigènes en territoire militaire. Le nombre de ces communes peut s’accroître si les annexes ont des ressources qui en facilitent la transformation. (H. Le Bourgeois, Rapport sur l’instruction primaire en Algérie, 1880.)