Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences2 (p. 29-32).
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COMPOSITIONS POÉTIQUES D’AMPÈRE.


Ampère avait composé, pendant sa première jeunesse, une tragédie sur la mort d’Annibal, dans laquelle on remarquait de très-bons vers et les plus nobles sentiments. J’ajouterai que, pendant son séjour dans le chef-lieu du département de l’Ain, les sciences n’absorbaient pas tellement toutes les pensées d’Ampère, qu’il ne trouvât le temps de cultiver les lettres et même la poésie légère. Témoin une épître que notre savant confrère, M. Isidore Geoffroy, m’a tout récemment apportée de Bourg, dont il fut donné lecture, le 26 germinal an xi, à la Société d’Émulation de l’Ain, et qui commence ainsi :


Vous voulez donc, belle Émilie,
Que de Gresset ou d’Hamilton
Dérobant le léger crayon,
J’aille chercher dans ma folie,
Sur les rosiers de l’Hélicon,
S’il reste encor quelque bouton
De tant de fleurs qu’ils ont cueillies :
Souvent mes tendres rêveries, etc.


Je ne sais si la belle Émilie n’était pas un de ces êtres imaginaires sur lesquels les poètes jettent à pleines mains toutes les perfections qu’ils ont rêvées ; mais aucun des amis d’Ampère n’ignore que la femme éminemment belle, bonne etdistinguée qui unit sa destinée à la sienne, avait, elle aussi, excité sa muse ; plusieurs se rappelleront une pièce dont le début surtout a été remarqué :

Que j’aime à m’égarer dans ces routes fleuries,
Où je t’ai vue errer sous un dais de lilas ;
Que j’aime à répéter aux nymphes attendries,
Sur l’herbe où tu t’assis, les vers que tu chantas.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Les voilà ces jasmins dont je t’avais parée ;
Ce bouquet de troène a touché tes cheveux, etc.


Certain mathématicien commit, un jour, la faute de mettre le public dans la confidence de quelques vers, bien mesurés, bien rimés, et qui n’en étaient pas meilleurs pour cela. Une dame d’esprit, qui les entendait lire, s’écria qu’à l’exemple de M. Jourdain, l’auteur de ces vers faisait de la prose sans le savoir. Bien des auteurs qu’on a qualifiés du titre de poëtes, sont tombés dans le même défaut sans avoir passé par la géométrie. Il n’est donc pas à craindre qu’une piquante saillie fasse revivre la thèse tant rebattue de la prétendue influence desséchante des études scientifiques : les noms de Platon, de Lucrèce, de Descartes, de Pascal, de Haller, de Voltaire, de Jean-Jacques, ont déjà largement répondu. L’épître d’Ampère, dont je viens de citer quelques vers, pourrait, en tout cas, et sans trop de désavantage, figurer dans le débat, s’il se renouvelait.

Peut-être trouverez-vous, Messieurs, et non sans quelques motifs, que j’ai bien longuement insisté sur les œuvres poétiques d’Ampère ; je rappellerai, toutefois, que le grand géomètre Huygens adressa, jadis, à la célèbre Ninon de l’Enclos, quatre vers, pas davantage, que les littérateurs ont reproduits avec une affectation très-peu charitable. La règle du talion nous eût autorisé à placer, en regard du malencontreux quatrain, les erreurs scientifiques de divers poëtes. Boileau lui-même, si nous l’avions jugé utile, aurait figuré dans notre polémique, par ces deux vers de sa satire des femmes, où vraiment il se montre disciple bien arriéré de la savante Uranie :


Que l’astrolabe en main, une autre aille chercher,
Si le soleil est fixe ou tourne sur Son Axe.


L’excellent abbé Delille n’eût guère semblé plus orthodoxe, dans le passage de son discours de réception, où il attribue aux productions équatoriales, de plus vives couleurs, plus de parfum et d’activité, parce que le soleil les chauffe de plus près.

Cette statistique singulière se serait élevée, ou, si on l’aime mieux, abaissée par degrés, jusqu’à ce vers d’un homme qui, assurément, n’avait jamais doublé le cap Horn, ni même lu les voyages de Cook ; jusqu’à ce vers après lequel il eût fallu tirer l’échelle :


Que du pôle glacé jusqu’au pôle brûlant !


Mais j’ai cru, Messieurs, que, dans cette enceinte, au lieu de chercher quels poëtes n’étaient pas savants, il serait mieux de citer des savants qui ont été quelque peu poëtes.