Les Ailes d’or : poésies nouvelles, 1878-1880Bibliothèque-Charpentier (p. 85-86).

AMOURS POSTHUMES

Quand j’irai dormir sous les saules
Où, dans l’ombre, tu m’attendras,
J’enfermerai dans mes deux bras
Ta tête blonde et tes épaules.
Nous serons deux morts amoureux
Et nos baisers, parmi les herbes,
Feront croître des lis superbes
Mêlant leurs calices peureux.

Nos os frémiront d’allégresse,
La terre ayant brûlé nos chairs,
Et leurs embrassements plus chers
Nous fondront dans une caresse.
Leurs tronçons brisés se noueront
En des étreintes éperdues,
Et, sous les racines tordues,
De plus près ils s’enlaceront.

La ruine viendra tout entière,
La terre ayant brûlé nos os ;
Et, comme les nids sans oiseaux,
Nous nous en irons en poussière.
Mais, de nos cendres, montera
L’ivresse aux langueurs infinies
D’être, enfin, de si près unies
Que le néant les confondra !