Amours et Haines (1869)/Ivresse
IVRESSE.
à M. Louis Leroy.
C’est quand avril, le mois rêvé,
C’est quand avril est arrivé
Qu’il fait bon vivre !
Les cœurs sont émus et tremblants,
il neige des papillons blancs,
Le monde est ivre !
Le grillon crie un cri d’acier.
Il faut, si l’on n’est pas huissier,
Bonjour, monsieur, embrassez-moi !
Je me sens là je ne sais quoi,
Et vous, madame ?
Que l’air est doux et le ciel bleu !
Décidément je crois en Dieu
Pour le quart d’heure.
Mais j’aime mieux ma mie, ô gué…
Savez-vous, quand on est très-gai,
Pourquoi l’on pleure ?
Baisers ! chansons ! parfums ! couleurs !
Amours d’oiseaux ! amours de fleurs !
Flamme infinie !
C’est en avril, un beau matin,
Que Fourrier trouva, c’est certain,
Son harmonie !
Debout, voisin, mon cher ami,
Éveillez-vous, bel endormi,
Allons sous le ciel, n’importe où,
Allons courir le guilledou
Chez ma maîtresse.
Corsage plein et lourd chignon,
Rire sonore et bourguignon,
Haleine pure,
La joue en fleur, la lèvre en feux,
Elle est à toi si tu la veux…
C’est la nature !
Oui, mais prends garde seulement.
Car ma belle aime rudement,
Elle est farouche,
Et j’en sais plus d’un en péril
Rien que pour avoir, cet avril,
Baisé sa bouche.
Bah ! l’amour est fait pour les forts,
Nous vivons, si d’autres sont morts,
Et tant pis pour les mal portants
À qui le vin pur du printemps
Casse la tête !