Amours et HainesMichel Lévy frères, éditeurs (p. 156-157).


AU BAL.


Souvent, dans une fête et durant tout un soir,
Il advient qu’on s’éprend d’une femme inconnue,
Brune ou blonde, au hasard, la première venue,
Qu’on aime d’un amour étrange — et sans espoir.

On ne lui parle pas, on ne s’en fait pas voir ;
Mais de loin, l’œil fixé sur son épaule nue,
Dans son silence ardent cette amour contenue
A de muets transports qu’elle ne peut savoir.


À travers le tumulte et la foule et l’espace,
On parle à cette femme, on prie, on pleure, on passe
De l’ivresse au dédain, de la rage au pardon.

Et la belle ignorante, à sentir autour d’elle
Notre désir ainsi frissonner comme une aile,
Parfois s’arrête et songe, et se dit : « Qu’ai-je donc ? »