Amours et Haines (1869)/À un saint homme
À UN SAINT HOMME
À UN SAINT HOMME.
Voilà qu’il recommence ! — On allait oublier
Cet Arlequin mystique et dévot à lier,
Et sa double démence ;
Et l’on n’en parlait plus, voulant être poli.
Aussi près de la mort qu’il est près de l’oubli,
Voilà qu’il recommence !
Cet homme est un chrétien, — d’ailleurs il se pourrait,
S’il ne récrivait pas, peut-être on le croirait, —
Et c’est pour un salaire,
Qu’il relève sa voix, rallume son ardeur,
Et nous fait rougir tous : les femmes de pudeur,
Les hommes de colère.
Cet homme est un soldat, — il combat pour sa foi.
Combattre étant son but, provoquer est sa loi ;
Il le dit, c’est sa tâche.
Et, quand on veut le joindre, il plonge dans l’égout,
Et parce qu’à le suivre on sent quelque dégoût,
Il vous appelle lâche !
Cet homme est un vieillard, — cet âge est sans courroux,
Car le vieillard est bon comme le soir est doux ;
Mais lui s’emporte, il jure,
Il se gonfle, il s’emplit de venin et de vent,
Et lance, pour prouver qu’il est encore vivant,
Une dernière injure.
Il s’essouffle, il écume, il injurie, il mord ;
À défaut du vivant, il déterre le mort.
Sur toute belle chose
Il s’acharne, il trépigne, il en cherche l’envers ;
Ne pouvant la détruire, il la salit en vers,
Il la salit en prose.
Bonhomme, calmez-vous. — Vous êtes imprudent ;
Votre esprit prend du ventre, et vous manquez de dent
Pour remâcher vos haines.
Laissez nos dieux : progrès, amour et liberté ;
Bonhomme, calmez-vous, — le bouc, en vérité,
Ne broute pas les chênes !
S’attarder dans la fange, ô vieillard, n’est pas bien ;
C’est quand on est enfant — ou qu’on le redevient —
Qu’on s’y traîne et s’y joue.
Un chrétien est clément et ne blasphème point,
Et, — quand on est soldat et qu’on a l’arme au poing,
On ne prend pas la boue.
Faire rire aux éclats ses amis et les sots,
Insulter tout le monde avec de vilains mots,
En citant l’Évangile,
Vieillard, je vous le dis, c’est un œuvre malsain…
D’ailleurs n’êtes-vous pas bien jeune pour un saint
Et bien vieux pour un Gille ?
Je sais bien qu’on vous parle et qu’on vous prêche en vain ;
Votre vieille jeunesse est là comme un levain
Qui fermente et pétille,
Car vous fûtes un jour, comme Paul le Romain,
Renversé, vous aussi, jadis sur un chemin,
Celui de la Courtille.
Je sais bien que dans l’ombre on vous pousse, on vous suit
Que vous clignez de l’œil du côté de la nuit ;
Je soupçonne la rage
De l’insulteur caduc sans être plus bénin,
Et qu’il vous reste encore un vieux fonds de venin
Très-joli pour votre âge.
Il n’importe, cessez, taisez-vous, croyez-moi,
N’insultez plus au rêve, à l’espoir, à la foi,
Qui ne sont pas les vôtres.
Vos colères, c’est vrai, rapportent un bon prix ;
Mais craignez à la fin votre propre mépris…
Après celui des autres.
Ne vous indignez plus en vous battant les flancs,
Car, lorsqu’un homme parle, un homme à cheveux blancs,
Il ne faut pas qu’on rie ;
Répandez sur le sol votre restant de fiel,
Tout en y songeant plus, parlez-nous moins du ciel,
Bonhomme, on vous en prie.
Cessez ! ne mettez plus cet orgueil et ce soin
À vous faire appeler La Bruyère du coin,
Vadé de sacristies ;
Faites cela pour Dieu, pour vous-même, pour nous…
Ah ! gamin enfroqué, quand donc jetterez-vous
Votre blouse aux orties ?
Plus qu’un mot. S’il vous vient de telles âcretés
Qu’il faille un exutoire à vos sénilités,
En vrai fils de la balle,
Traduisez de l’hébreu la Genèse en argot,
Ou tâchez de fonder pour le peuple cagot
Une chaire — à la halle.