Œuvres de Émile VerhaerenMercure de FranceIX. Toute la Flandre, II. Les Villes à pignons. Les Plaines (p. 249-251).


AMOURS


Voici le dernier mois vermeil :

Lunes rouges, pourpres soleils.

Et bellement, le long des haies,
Comme des clous, pointent les baies ;
Et brusquement c’est le coq clair,
Qui déchire d’un spasme et d’un éclair
Et d’un grand cri de violence
Le mol silence
Dont les voiles pendent et s’affaissent dans l’air.

Et c’est le temps aussi où les servantes,
Le soir, en des vergers assombris d’or,
Offrent aux valets lourds l’aubaine ardente

Et la kermesse de leur corps.


L’été ils s’assaillaient parmi les champs superbes,

Là-bas, au coin des bois, ici, au pied des gerbes ;
Mais aujourd’hui l’amour se mélange à la peur ;
La ferme est là qui inquiète et des lueurs
Bougent et regardent, de loin, dans les villages ;
Aussi, bien qu’on se pille et se saccage,
Rien ne s’entend du triomphal combat ;
Les dents mordent les crins, les pieds mordent la terre,
Comme un flux de bonheur s’épand en chaque artère.
On s’écrase le spasme à coups de baisers gras !
Oh ! cet étouffement et ces luttes muettes,
Et ces amours d’autant plus fous, d’autant plus forts.
Que leur ardeur est plus fermée et plus secrète,
Au fond des vergers noirs et des herbages d’or.
L’air est complice et doux ; des brumes flottent :
Le vent se bombe et s’apaise comme un désir,
Pour se gonfler encor et puis mourir ;
Unique, un cri s’entend, de pie ou de hulotte.

Lunes rouges, pourpres soleils,
Oh ! ces heures du dernier mois vermeil.

Et la fête ne s’alentit et ne s’achève
Qu’à l’heure où le matin se lève
Et s’essore des langes clairs de l’aube ;

La plaine alors, étincelante d’or,
Brille, de toutes les fleurs de sa robe :

Les bois, les toits, les eaux
Semblent de la clarté mise en faisceaux.
Et lentement, filles et gars reviennent
À leurs besognes quotidiennes ;
Les uns mènent vers les labours
Le pas massif des chevaux lourds ;
Et les autres, la chair encore en fête,
Partent traire et soigner leurs bêtes
Et grappillent et caressent, longtemps
Encor, les pis que leur tendent les flancs

Fermes et chauds du bétail blanc.